1906 - Clemenceau passe à Montaigu
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Cette page est l'une de : Le règne des bourgeois républicains (1837–1935), chapitre qui devrait être à terme constitué au moins des parties qui suivent, elles-mêmes susceptibles d’évoluer au fil du temps…
- 1845 : Charles Dugast-Matifeux crée une deuxième histoire de Montaigu
- 1866-1956 : Montaigu, le chemin de fer et l’industrie
- 1870 : le maire Armand Trastour contraint à la démission
• 1884-1890 : début et fin de la revue montacutaine, "Echos du Bocage vendéen"
• 1900 (avril) : mort du Montacutain Georges Villebois-Mareuil
• 1906 (sept.) : voyage officiel à Montaigu du ministre de l’intérieur, Georges Clemenceau
• 1910 : Gustave Mignen ébauche une troisième histoire de Montaigu
- 1925-1934 : élection de Joseph Chapelain et fin du règne des Gaillard-Trastour
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- 1906 : le voyage officiel à Montaigu du ministre de l’intérieur, Georges Clemenceau -
Le 30 septembre 1906, Georges Clemenceau (1841-1929), qui le 14 mars précédent avait été nommé ministre de l’intérieur, vint en voyage officiel à Montaigu. Il y inaugura le nouvel hôpital, dont la construction avait été lancée quelques années plus tôt.
A cette époque, la région était encore secouée par les inventaires et par les confiscations de biens qui avaient accompagné la loi de Séparation des Églises et de l’État, ainsi que par les fortes manifestations qui en avaient résulté localement1. De ce seul fait, ce voyage en Vendée, était d’une grande importance politique. Et pour Georges Clemenceau qui venait, à 65 ans, d’accéder enfin à son premier poste ministériel, il s’agissait de montrer qu’il y était bien à sa place.
La presse locale relata ce voyage de Georges Clemenceau en Vendée, du dimanche 30 septembre au mercredi 4 octobre 1906, au cours duquel les banquets succédèrent aux banquets, les discours aux discours, les remises de décorations aux remises de décorations. Arrivé à Chantonnay au petit matin, il fut à la Roche de 9 h à 15 h, et arriva à Montaigu peu après 15 h 30.
En voici le déroulement, à partir du journal le Patriote de la Vendée, du 4 et du 7 octobre 1906.
30 septembre 1906 : l’arrivée de Georges Clemenceau et de sa suite à Montaigu.
La fête de Montaigu, pour avoir été plus intime, n’a été ni moins vibrante ni moins enthousiaste.
Dans le train ministériel avaient pris place MM. Les députés G. Guillemet, Chailley et Daniel Lacombe ; le préfet Branet ; Robert Leroy ; de Winter ; Paul et Michel Clemenceau ; Péaud ; les sous-préfets de Fontenay et des Sables, etc.
A la gare magnifiquement ornée, M. Clemenceau a été accueilli aux accents de la Marseillaise jouée par la fanfare de Montaigu et la philarmonique de Mortagne-sur-Sèvre, et l’Orphéon de Montaigu. Les sapeurs-pompiers et la Société de secours mutuels, attendaient, drapeaux en tête.
Pour attendre le train ministériel, s’étaient donné rendez-vous : MM. Gaillard, maire de Montaigu ; Denis, adjoint ; les membres du Conseil municipal ; MM. Rouzeau, juge de paix ; Moreau, le docteur Mignen, Brunel, receveur-buraliste ; Deschamps, lieutenant de pompiers ; Guilbaud administrateur de l’hospice ; puis, parmi les personnalités étrangères à la ville : MM. Bonnet, préfet de la Loire-inférieure ; Sarradin, maire de Nantes ; Guillard, sous-préfet de Bressuire ; Maric-Baudry, maire de Cholet ; Laronze, recteur de l’Académie de Rennes, etc.
Une foule enthousiaste a acclamé le ministre auquel M. Gaillard a souhaité la bienvenue. Mlle Thomas, fille du chef de gare, a lu un compliment en vers. M. Clemenceau embrasse la jeune fille et l’on se dirige vers l’hôpital-hospice.
Le cortège s’avance au milieu d’une foule en délire d’enthousiasme. Un paysan de 80 ans s’écrie : "Ah ! J’sons qu’un paysan, mais j’ons jamais été chouan."
Une femme, coiffée d’un bonnet breton, crie : "Vive Clemenceau !"
Le ministre dit en souriant : "Vous avez là une bien belle coiffe, dont la vue m’est toujours agréable. Chaque fois que j’en aperçois une semblable à Paris, j’ai toujours envie de m’arrêter et de dire : Bonjour ma payse !"
30 septembre 1906 : l’inauguration par Georges Clemenceau du nouvel hôpital de Montaigu,
héritier de celui de 1696 qui, au même endroit,
avait succédé à celui fondé au XIIe siècle par les seigneurs de Montaigu.
A l’hôpital-hospice, M. Gaillard lit le procès-verbal d’inauguration, que signe M. Clemenceau. Puis, après la visite de l’établissement, ont lieu les présentations.
A signaler que lorsque se présente M. le lieutenant de gendarmerie Tardiveau, M. le Préfet Branet fait remarquer au ministre qu’il s’est signalé pendant les inventaires.
M. Clemenceau prie alors le Maire de lui rappeler ce fait.
M. Tardiveau déclare qu’il peut passer capitaine dans six mois. Il serait désireux de rester dans la Vendée.
M. Gaillard, maire, dit ensuite son intention d’élever un monument à Dugast- Matifeux. Il compte à ce sujet sur le concours de la ville de Nantes.
M. Clemenceau procède à une remise des décorations suivantes2 :
Mérite agricole : MM. Rouzeau, Guitton.
Palmes : M. Denis.
Mutualité : M. Brunet.
Médaille d’honneur du travail : MM. Brochard, Bodin, Guimbretière, Mlle Hulin, Mme Bertrand, MM. Amiot, Buisson, Mlle Douillard, MM. Jaunet, Brochard, Bouin, Mme Méchineau, MM. Macé, Allard, Remigereau, Lesimple, Fonteneau, Mme veuve Brousselle, M. Bouchet, Mlle Guerry, M. Soulard.
Médaille d’honneur agricole : M. Clénet, Mlle Durand.
M. Clemenceau se retire ensuite chez le maire de Montaigu, où il désire se reposer jusqu’au banquet.
Le 30 septembre 1906, lors de son voyage officiel en Vendée,
le ministre de l’intérieur, Georges Clemenceau,
chez son cousin au 7e degré Joseph Gaillard, maire de Montaigu.
Un banquet de 600 couverts a suivi, au dessert duquel des discours ont été prononcés par MM. le Préfet ; Gaillard ; Héry, maire de Bressuire ; Chailley, député ; et Clemenceau.
Voici la péroraison du discours du Ministre :
"La Vendée, qui a le crime de ses aïeux à racheter, se lèvera bientôt toute entière.
Elle veut la rénovation sociale. Elle acclamera la République." […]
Le soir, Montaigu était illuminé et en fête. Feu d’artifice, retraite aux flambeaux, bal populaire, rien n’a manqué. M. Clemenceau a couché chez M. Gaillard.
Lundi matin, M. Clemenceau a laissé Montaigu en automobile. Il s’est arrêté à Saint-Georges-de-Montaigu, ou le Conseil municipal avait organisé une réception, qui a été des plus chaudes. […]
Les jours suivants, il continua son voyage en automobile par Sainte Hermine, près de ses terres et de son château de l’Aubraie, ouis par la Tranche, Luçon (discours), Mouilleron-en-Pareds, avant de se "faire conduire à Chantonnay pour prendre l’express et rentrer jeudi matin à Paris".
Si le journal le Patriote de la Vendée, s’est efforcé de faire un compte rendu à la fois factuel et globalement consensuel de l’événement que fut ce voyage, d’autres journaux en firent, dans des sens opposés, des relations plus "engagées".
Dans l’Indépendant de Luçon du dimanche 30 septembre 1906, on peut lire :
"A l’heure où paraîtront ces lignes, le cynique et sinistre vieillard de Mouilleron-en-Pareds ; le ‘tombeur’ de ministère devenu ministre, s’apprêtera à glorifier la République judéo-maçonnique, à la Roche-sur-Yon, en se goinfrant à l’ombre de la statue équestre de Napoléon le Grand !".
De son côté, la Vendée républicaine du samedi 6 octobre 1906 termine ses longs articles sur ce même sujet par :
"Clemenceau a pu être un instant méconnu ; la calomnie a pu pendant quelques années l’éloigner du pouvoir et interrompre sa carrière ; mais le temps à réparer l’erreur et la démocratie a vengé l’injustice. Des hommes de sa trempe et de sa valeur peuvent avoir une éclipse ; ils n’ont jamais de déclin"3.
Le 25 octobre suivant, tout en restant ministre de l’intérieur, Georges Clemenceau deviendra chef du gouvernement et le restera jusqu’au 20 juillet 1909. Il y conforta sa réputation de "briseur de grève" et de "premier flic de France", tout en préparant, lui l’anticolonialiste, la conquête du Maroc. Mais son rôle déterminant durant la Première Guerre mondiale, à partir de novembre 1917, effacera cette réputation pour lui attribuer celle de "Père la Victoire". Une image désormais si bien établie en France, que quasiment toutes ses biographies y tournent à l’hagiographie4.
1917 : "Le gouvernement, c’est Clemenceau à tous les ministères !"…
guerre, justice, marine, instruction publique / finances, affaires étrangères, intérieur, travail.
(Henri-Paul Gassier, le Canard enchaîné, n°74, 28 novembre 1917)
Puis, lors de l’élaboration des traités, il utilisa sa maîtrise de l’anglais et accepta l’abandon du français comme langue diplomatique unique, afin d’être le seul réel négociateur pour la France. Les pertes humaines et matérielles du pays lui firent exiger de l’Allemagne le paiement de réparations qui y entraînèrent à terme la montée prévisible de courants politiques extrémistes, tandis que dans le même temps son anticléricalisme obsessionnel le conduisait à détruire la monarchie austro-hongroise, mettant ainsi fin à l’équilibre géopolitique de l’Europe médiane, créant un terreau potentiellement favorable à la naissance d’un conflit futur.
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Notes, sources et références...
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Pour les "inventaires" dans la région de Montaigu, on se reportera, à titre d’exemples : à la relation de leur déroulement donnée dans la Chronique paroissiale de Saint-Philbert-de-Bouaine ; au souvenir de l’acquéreur d’une vigne spoliée à Saint-Georges-de-Montaigu, retrouvé mort un matin à un coin de celle-ci ; ou encore aux photos de ces inventaires à la Boissière-de-Montaigu, insérées dans Mémoire en image : Montaigu et son canton, 2004, p. 102 …avec les commentaires condescendants de l’auteur de ce livre.
2 La vanité humaine étant ce qu’elle est, les décorations étaient très recherchées à cette époque. Aussi les politiciens en usaient abondamment, mettant en pratique la formule de Bonaparte lors de la création de la Légion d’honneur en 1802 : "C’est avec des hochets que l’on mène les hommes". Elles étaient si prisées, qu’en 1887 elles donnèrent lieu à un trafic lucratif organisé à partir de l’Elysée par Daniel Wilson, gendre du Président Jules Grévy, ce qui causa un scandale mais n’empêchera pas Wilson d’être député par la suite.
3 On retrouve dans ces deux journaux, des échos d’affaires ayant émaillé la vie politique de Georges Clemenceau dans les années précédentes : l’affaire de Panama (1884-1893) et l’affaire Dreyfus (1894-1906). Lors de la première, il avait été accusé d’être un "chéquard" ayant reçu de l’argent pour modifier la loi afin de sauver la Cie du canal de Panama en difficulté ; une accusation à tort a-t-on dit, car seul le journal dont il était le directeur et propriétaire, la Justice, avait "touché" pour influencer le vote des députés. Eclaboussé par le scandale qui suivit la faillite de la compagnie, il fut battu aux élections de députés de 1893, et il ne deviendra sénateur du Var qu’en avril 1902. A partir de 1898, Georges Clemenceau s’était de plus en plus engagé dans la défense de Dreyfus, et le 12 juillet 1906, trois mois avant ce voyage, celui-ci avait été réhabilité. Cette seconde image de défenseur d’un innocent a effacé la première, de politicien corruptible.
4 Pour une biographie plus distanciée de Georges Clemenceau, voir ce qu’écrit sur lui l’historien britannique Théodore Zeldin dans History of French Passions, 1973-1977 : t. 4 "Politics and Anger", p. 334-343.
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