le cimetière des Huguenots
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Le souvenir de l’ancienne noblesse protestante du Poiré
Le terrain dit "le cimetière des Huguenots" correspondait autrefois à un jardin d’environ 100 m², contigu à un petit pré (1700 m²) dit "le pré des Huguenots". Ils se situaient en bordure immédiate du centre-bourg du Poiré, entre "le Ruth", la route allant vers Aizenay et celle allant vers la Genétouze. Le souvenir de leur nom est perpétué par celui qui a été donné à la ruelle voisine : "la venelle des Huguenots".
Le "pré des Huguenots" et le "cimetière des Huguenots"
entre la route allant vers Aizenay et la route allant vers la Genétouze,
sur le plan cadastral de 1836 du Poiré et sur une vue aérienne vers 2014
(environ : 218 x 350 m) :
et une vue de l’emplacement de cet ancien "cimetière" en 2018.
Ces noms rappellent la présence d'adeptes du protestantisme au Poiré, pendant près d’un siècle et demi. Au milieu du XVIe siècle en effet, la plupart des familles nobles de la région rejoignirent la Réforme protestante. Ainsi au Poiré les Guinebaud à "la Millière", les Bonnevin (/ Boivin) à "la Rételière", les d'Aunis à "Pont-de-Vie", ou encore les Buor près de "la Mothe de l’Eraudière". Seuls les Marchand, à "la Métairie", demeurèrent alors dans le catholicisme, ce qui leur posa des difficultés à l’époque pour marier leurs enfants. Au cours des Guerres de Religion, ces familles participèrent activement aux combats, pillages, profanations, meurtres, incendies, perpétrés par les bandes armées huguenotes, ainsi en 1564 aux Lucs et à Beaufou ; en mars 1568 à Legé ; en avril de la même année à Rocheservière, Beaufou, Saint-Denis-la-Chevasse et Aizenay1…
En 1565, on trouve un Jean Mauclerc pasteur au Poiré et exerçant aussi son ministère sur Aizenay, Belleville et Saint-Denis-la-Chevasse2. Vers 1570 c’était Pierre Caillard, en 1572 du Bruert, avant 1590 Danthonet, de 1598 à 1603 Delaunay, en 1611 Balthazar Manceau, de 1620 à 1632 Antoine Brail, de 1660 à 1663 Théodore Tireau, de 1678 à 1683 Jean Bompar. Ce dernier s’exilera en Hollande vers 16853.
En 1620, les registres du Parlement4 citent…
"Jacob Guinebaud, Gédéon, Nicolas et Charles Boivin, escuyers, Antoine Brail, Benjamin Leduc, François et André Briaudeaux, Daniel et Paul Rocheteau, Jean Frondouille et Jean Prévost, Jacques Presandeau, tous de la paroisse du Poiré, faisant profession de la R.P.R.5…".
Le 21 février 1623, un arrêt de ce même Parlement enjoignit…
"tant des Habitants du dit Poiré catholiques que de la R.P.R. [de pourvoir] de lieu commode au dit Bourg de Poiré ou proche d’iceluy, pour la sépulture des corps qui seront décédés de la dite Religion"6.
En 1665, le temple, qui y aurait été établi dès 1562, fut fermé et détruit7.
On démêle mal dans l'adoption de la religion réformée dans la première moitié du XVIe siècle, ce qui tient des convictions spirituelles, et ce qui tient d’autres motivations telles que : pour la bourgeoisie des métiers de la basoche, le désir de concurrencer l’influence intellectuelle que le clergé pouvait avoir sur le peuple ; ou pour la noblesse, l’opposition provoquée à cette époque par les efforts du pouvoir royal et de l’Etat pour accroître leur pouvoir, ce qui se faisait au détriment des droits et privilèges seigneuriaux hérités des temps féodaux. Localement, en dehors de l’aristocratie, les protestants étaient très minoritaires, ainsi que le montrent les dimensions (9 m sur 9 m) de leur cimetière, mais étant des membres de catégories sociales aisées, ils ont laissé des traces importantes relativement à leur nombre8.
Après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, Charles et Florent Guinebaud, de "la Millière" s’exilèrent outre-Manche avec femmes et enfants. Au début du XVIIIe siècle les uns revinrent sur leurs terres au Poiré, après abjuration ; les autres s’assimilèrent, et on les trouve, sous le nom de "Guinebald de Lamillere", pasteurs protestants à Dublin, officiers dans l’armée britannique, ou partis s’installer dans les colonies anglaises d’Amérique du Nord9…
Longtemps après 1685, la présence récurrente dans une famille de prénoms à connotation biblique (tels que Jacob, Isaac, Zacharie, Elie… ou Esther, Judith, Rachel…) était le signe que cette famille avait été probablement protestante à un moment ou à un autre de son histoire ; ceci non seulement dans les familles nobles, mais aussi dans celles exerçant des métiers de robe (juges, notaires…), et parfois même chez certaines pratiquant des métiers artisanaux.
Cependant, lorsqu’advint la Révolution, toutes ces familles protestantes étaient revenues au catholicisme depuis plusieurs générations. Celles faisant partie de la noblesse rejoignirent le soulèvement vendéen ou émigrèrent, tandis que certaines, dans les autres catégories sociales (tels les Tireau, hommes de lois), utilisèrent les change-ments politiques pour renforcer leur fortune.
Dans le bourg du Poiré, on ignore quel bâtiment, sans doute modeste, a pu abriter le temple protestant, mais l’existence des noms de "cimetière des Huguenots" et "pré des Huguenots" sur le cadastre de 1836 montre que leur souvenir a persisté longtemps après la disparition de ceux-ci.
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Le lavoir le plus important du Poiré, et son dernier alambic
Petit à petit, les environs du "cimetière des Huguenots" et du "pré des Huguenots" ont vu l’implantation d’équipements et de petites activités (lavoir, alambic, tannerie, école, pont).
Ainsi à seulement une dizaine de mètres de ce pré, le long du "chemin du Beigneri" y menant, se trouvait le plus important des autrefois nombreux lavoirs du bourg du Poiré. Il est présent en 1836 sur le cadastre10, refait et agrandi en 186111, il était alimenté par un filet d’eau venant du parc de "la Gibretière", son trop plein rejoignait "le Ruth" voisin. Après son comblement autour de 1998, les seuls lavoirs subsistant dans le bourg étaient ceux, inutilisés, du parc de "la Gibretière" et de "la Minoterie".
Les lavoirs étaient aussi un lieu de convivialité pour les laveuses qui s’échangeaient là des nouvelles et des potins de tous genres, et parfois peu amènes… Tout comme pouvait l’être pour les hommes le local contigu abritant l’alambic. Au début du XXIe siècle, celui-ci ne fonctionnait plus que cinq jours par an, en février12, et son avenir était en bonne partie lié à l’extinction inéluctable des derniers bouilleurs de cru.
Le long du "chemin du Beigneri", conduisant au "pré des Huguenots" :
- en février 2018, Henri Bouard et Henri Mollé, les animateurs de l’alambic associatif du Poiré,
menacé par la mort des derniers bouilleurs de cru.
- le lavoir communal vers 1904, avec ses laveuses ;
les deux femmes à gauche portant la coiffe traditionnelle du Poiré
(carte postale Amiaud).
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La tannerie des Arnaud et de leurs descendants
Au début du XIXe siècle, le tanneur Joseph Arnaud, qui jusqu’alors exerçait son métier à "l’Auroire", vint installer sa tannerie le long du "Ruth", non loin du "pré des Huguenots". Elle était constituée par un petit bâtiment, existant toujours en 2017, et dans lequel se trouvaient deux petites fosses de 1,20 sur 1,20 m et profondes de 0,70 m, où il faisait macérer les peaux. Ses héritiers et successeurs y ont poursuivi cette activité jusqu’à la fin des années 1950.
En 2018, la petite tannerie (8 x 4 m) longeant le "le Ruth",
avec ses deux fosses qui, jusqu’en 1956, furent utilisées durant un siècle et demi.
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Le pont dit "de la route de la Genétouze"
Autrefois, c’était à gué que la route allant vers la Genétouze franchissait "le Ruth", ce qui était gênant à la mauvaise saison. Au milieu du XIXe siècle, en même temps que cette route était élargie et que son tracé était redressé, on y construisit un pont13. Mais quelque cinquante ans plus tard, dans la mémorable nuit du 26 au 27 octobre 1909, des pluies diluviennes s’abattirent sur le Poiré et ses alentours, causant des inondations, emportant de nombreux ponts ou coupant leurs accès14. Ainsi pour la chaussée en avant et après le "pont de la route de la Genétouze", ce qui amena à le refaire en lui donnant un plus grand tirant d’air.
Sur "le Ruth" : le pont dit "de la route de la Genétouze"
à la sortie du bourg du Poiré vers 1908,
et son emplacement quelques jours après les inondations d’octobre 1909.
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Notes, sources et références...
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Boutin (Hippolyte), Chronique paroissiale du Poiré, 1901, p. 28 à 41.
2 Pour l’organisation des Églises réformées de France au XVIe siècle et la contextualisation de leur Histoire, voir les résumés proposés par le Musée protestant créé par la Fondation pasteur Eugène Bersier.
3 Ce que l’on connait sur les pasteurs protestants du Poiré provient surtout des pages 232, 272, 439-440, du t. 1 de l’Histoire des protestants et des Églises réformées du Poitou (1936, 469 p.), de Pierre Dez. Celui-ci y reprend l’ouvrage du même titre de son grand-père le pasteur Auguste Lièvre (1856-1860, t. 1, 343 p., t. 2, 343 p., t. 3, 393 p.), y rectifiant les défauts inhérents à l’époque où celui-ci avait été rédigé. En 2023, il est la référence sur ce sujet, bien que les oppositions sociales y soient peu abordées, et que la documentation y soit unilatérale.
4 A l’époque, le "Parlement" (de Paris) n’était pas une assemblée politique, mais le tribunal qui jugeaient les affaires en dernier ressort.
5 La "R.P.R.", pour : la "Religion Prétendue Réformée". Ce terme désignait la religion protestante en France aux XVIe et XVIIe siècles. Il est par exemple utilisé en 1598 dans l’Édit de Nantes.
6 Cité dans l’Histoire de l'Edit de Nantes (1693, t. II, p. 419) de l’historien protestant Elie Benoît (1640-1728). L’article IX de l’Édit de Nantes, autorisait l’exercice du culte protestant...
"en toutes les villes et lieux de notre obéissance où il était par eux établi et fait publiquement par plusieurs et diverses fois en l'année 1596 et en l'année 1597, jusqu'à la fin du mois d'août, nonobstant tous arrêts et jugements à ce contraires".
L’interdiction du culte réformé en 1623 "dans le bourg du Poiré" se basait sur l’absence de pasteur au Poiré aux dates en question. Cependant, ainsi qu’il était prévu par les articles VII et VIII de l’Édit de Nantes, le culte put toujours se tenir à "la Millière" dans "l’église de fief" de la famille noble et protestante des Guinebaud. Cette "église de fief" sera supprimée par l’arrêt du Conseil du roi du 6 août 1665, qui confirma aussi l’interdiction de ce culte au Poiré, ne le permettant plus qu’à Aizenay.
7 Filleau (Jean), Décisions catholiques ou recueil général des arrêts rendus en toutes les cours souveraines de France en exécution ou interprétation des Édits, qui concernent l'exercice de la Religion Prétendue Réformée, 1668, 876 p. S’y reporter aux pages 326-327.
8 Cf. Marcadé (Jacques), Les protestants de Vendée, 2009, 128 p.
9 Lart (Charles Edmond), Huguenot Pedigrees, vol. 1, 1924, 260 p. Y voir, p. 53 et 54, ce qui concerne les Guinebald / Guinebault de La Millière dans les îles britanniques au XVIIIe siècle (à la même époque, ceux des Guinebaud qui restèrent en France ou qui y revinrent, conservèrent ou retrouvèrent les biens de leur famille). Y voir p. 17 à 22, ce qui concerne les Buor, et p. 12 à 14 ce qui concerne les d’Aunis.
10 Plan cadastral du Poiré de 1836, section M, 1re feuille (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 178).
11 Délibérations du Conseil municipal du Poiré, 19 mai 1861 (Arch. dép. de la Vendée : AC 178 4).
12 Rencontre en février 2018 avec Henri Bouard et Henri Mollé, les deux animateurs de l’alambic du Poiré. Voir aussi de Muriel Hillairet : "Ce duo qui allume l’alambic genôt", le Journal du Pays yonnais, 19 février 2015, p. 27.
13 Dossier "Travaux publics : transports" (Arch. dép. de la Vendée : série S).
14 Les inondations catastrophiques d’octobre 1909 ont été relatées dans les journaux de l’époque, et ont été le sujet d’un article de Samuel Guiet, paru en 1941 dans l’Annuaire de la Société d'émulation de la Vendée (p. 19-24), au contenu approximatif jusque dans son titre.
Extrait de l’Etoile de la Vendée du 31 octobre 1909.
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