Parler en tolomako avec le Père Alphonse Ardouin
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Des "Tuileries de Lande blanche" à l’autre bout du monde
Le Père Alphonse Ardouin, né le 10 décembre 1880, était un des fils d'un "chaumier" (tuilier) des "Tuileries de Lande blanche". Ordonné en 1906, il partit pour un voyage sans retour, qui le fit rejoindre la communauté mariste des Nouvelles-Hébrides (Vanuatu) où il mourut à "Port-Olry" sur Espiritu Santo, le 27 juillet 1940.
Voici ce qu’y fut sa vie telle que l’a raconté trente ans après sa mort, son compagnon de mission, le Père Louis Clénet1 :
"Le Père Ardouin arriva aux Nouvelles Hébrides le 21 novembre 1906. Il resta quelque temps à Monmartre, école des catéchistes, pour une mise en route. Ensuite il fut appelé à Baie-Barrier (à Pentecôte) mission très isolée, d’un abord difficile : mer mouvementée entourée d’une ceinture de récifs. Le Père se plut beaucoup en cet endroit et il y fit grand bien. Au bout de quelques années (en 1910) Mgr (Douceré) l’envoya dans le Nord de Santo, d’abord à Tolomako et ensuite, de 1921 à 1940, à Port-Olry où le Père très zélé créa une belle chrétienté. Il était très bon pour les habitants païens et chrétiens, qu’il visitait souvent dans leurs villages et envers lesquels il était très charitable, les aidant pour le matériel. Tous lui en étaient fort reconnaissants, ce qui n’était pas tellement commun à cette époque. Ce qui le peinait beaucoup, c’était la mortalité d’adultes dans la force de l’âge, par suite de l’insalubrité du pays, mais aussi la mortalité infantile : 8 enfants sur 10 mouraient avant 3 ans. Le Père conçut un projet hardi : transplanter ses paroissiens à Port-Olry où la mission avait un terrain disponible.
A force de bonté et de patience, il fit comprendre à ses paroissiens que leur pays était trop malsain, qu’il serait préférable de le quitter pour aller à Port-Olry. Ce fut un tour de force, car pour les habitants, laisser là leurs ancêtres défunts paraissait irréalisable. La réussite a été le fruit de la bonté. C’était en 1931 [...]."
Dès son arrivée aux Nouvelles-Hébrides le Père Alphonse Ardouin s’était attaché à s’intégrer à la population, en particulier par la maîtrise des langues locales. Cet apprentissage lui fit rédiger pour l’une des quelque 117 langues existant à Vanuatu, un Dictionnaire Français-Tolomako, un manuscrit destiné à rester inédit2.
Les pages 2 et 3 du "Dictionnaire Français-Tolomako" du Père Alphons Ardouin.
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Le Père Alphonse Ardouin, "néo-hébridais" parmi les "néo-hébridais"
Les nombreuses et souvent longues lettres adressées par le Père Alphonse Ardouin de février 1907 à février 1939 à son évêque3, donnent une idée de ses préoccupations et des difficultés auxquelles il était affronté au quotidien. Elles expliquent aussi pourquoi la durée de vie de ceux envoyés en missions était souvent courte, même si dans les années 1930 les conditions de vie des habitants deviennent meilleures tant du point de vue sanitaire que de celui de la sécurité.
Le Père Alphonse Ardouin, jeune prêtre et autour de 1920 (coll. familiale).
Espiritu Santo, plus grande île des Nouvelles-Hébrides, où il exerça son apostolat de 1910 à 1940
et son église Sainte-Anne à Port-Olry après sa bénédiction le 15 mai 1934..
Autour de 1900, sur l’île plus au sud de Mallicolo / Malakula4 : deux pirogues, moyen de transport parfois périlleux ;
et une carte postale intitulée "Retour de chasse à l’homme – Préparatifs du festin",
y montrant des "cannibales" locaux posant pour le photographe et les amateurs de frissons.
A la même époque près de Port-Vila dans l’île de Vaté / Éfaté, l’école des catéchistes de Montmartre
où il arriva en 1906.
( en rouge, la migration des Tolomakos après 1921 )
Quand il arriva en 1906 aux Nouvelles-Hébrides, de meurtrières guerres tribales y étaient courantes et elles s’y perpétuèrent jusque dans les années 1930. Le cannibalisme qui y était souvent lié, était pratiqué à ces occasions, ainsi en 1908 à Pentecôte, ou à Mallicolo / Malakula4, île au sud d’Espiritu Santo… et ailleurs5. Les déplacements en pirogue avec leurs naufrages, éclaircissaient les rangs des missionnaires, tout comme les "fièvres" dont sera victime le Père Ardouin : quand voulant montrer aux Tolomakos qu’ils avaient tort de ne pas utiliser l’eau de la rivière voisine considérée comme "tabou", il contracta une filariose qui affectera sa santé sa vie durant...
Dans ses lettres, on le voit intégré, et partie prenante des préoccupations des habitants, ajoutant actions économiques (culture de caféiers…) et de développement, à ses missions pastorales.
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Le Souvenir du Père Alphonse Ardouin à Vanuatu
Le Père Alphonse Ardouin mourut le samedi 27 juillet 1940, une semaine après que les Nouvelles-Hébrides eurent rejoint la France Libre, et 40 ans avant qu’elles deviennent indépendantes en 1980, prenant le nom de Vanuatu. Les îles d’Espiritu Santo, Tanna et d’autres (Pentecôte…) plus francophones, s’opposant jusqu’à aujourd’hui au pouvoir de la capitale Port-Vila, centraliste et étant surtout resté sous un étroit tutelle anglo-australienne.
Vue aérienne le 23 janvier 2024 de la "mission Sainte-Anne" de Port-Olry (environ 300 x 235 m),
et à cette date son église Sainte-Anne actuelle.
Même s’il s’efface avec le temps qui passe, le souvenir du Père Alphonse Ardouin s’y est perpétué longtemps après sa disparition. Ainsi qu’en témoignait une sœur mariste originaire de Dompierre-sur-Yon, qui l’avait rencontré entre 1927 et 1940 à l’occasion de ses passages au Canal du Segond, et qui, ayant été nommée à Port-Olry en 1956, rapportait que...
"en visitant les villages, les anciens me parlaient du P. Ardouin tellement ils en gardaient un vivant souvenir"1.
A Port Olry son souvenirs s’est aussi matérialisé par l’église Sainte-Anne (…comme celle de Belleville !). Bénie le 15 mai 1934, elle avait été l’œuvre du Père Ardouin, qui s’était fait architecte, maçon, charpentier, décorateur… Cependant, en 1985, elle a été remplacée par une nouvelle église, tout comme l’ont été les bâtiments de l’école puis ceux du collège, seule subsistant d’origine la "maison du Père".
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Notes, sources et références
1 Propos recueillis en 1971 par François-Xavier Fréneau. Le Père Louis Clénet, fils d’un tisserand de "l’Hommetière" de Vieillevigne, était né le 25 novembre 1888. Lui aussi mariste, il arriva en 1913 aux Nouvelles-Hébrides / Vanuatu. Il y est mort à Port-Vila, le 9 novembre 1972.
2 Le manuscrit original resté inédit du Dictionnaire Français-Tolomako de 182 pages, du Père Alphonse Ardouin, est conservé aux Archives diocésaine de Port-Vila, à Vanuatu. Il s’en était servi pour composer les prières et les cantiques utilisés alors par la paroisse Sainte-Anne de Port-Olry. Il est possible d’avoir accès à la reproduction microfilmée de ce dictionnaire en s’adressant au site Montaigu-en-Vendée.fr.
3 Outre sa correspondance avec différents membres de sa famille, et la participation d'un de ses arrière-petits-neveux ainsi que de la secrétaire de la "Societas Mariale in Europa" à Paris, les autres sources et documents ayant directement ou indirectement contribué à la réalisation de cette courte biographie du Père Alphonse Ardouin proviennent surtout...
- des Archives de la Maison Generalice des Maristes (AGM) à Rome ;
- des Archives de la Maison mariste de Port-Vila et celle du diocèse de Port-Vila ;
- de la revue Missions catholiques, plus spécialement les tomes couvrant les années 1910 à 1932 ;
- de Mgr Victor Douceré. La Mission catholique aux Nouvelles-Hébrides. 1934, 479 p. ;
- de Jean Guiart, Grands et petits hommes de la montagne - Espiritu Santo, 1956, 229 p. ;
- de François-Xavier Fréneau, Monographie bellevilloise, 1975, 238 p. ;
- de Paul Monnier, Les lettres du Père Alphonse Ardouin, 1994, 229 p. et Apôtres des Nouvelles Hébrides. 1995, 369 p. (en particulier les pages 236 et suivantes) ;
- de Georges Delbos, L'Église catholique au Vanuatu - un siècle et demi d'histoire (1849-1999), 2001, 536 pages abondamment sourcées ;
- et de rencontres au Vanuatu.
4 Pour ce qui est des toponymes, comme ici "Mallicolo / Malakula", le double nom correspond à celui utilisé du temps du Père Alphonse Ardouin, suivi par le nom officiel actuel… avec des variations possibles, "Malakula" pouvant par exemple devenir "Malekula". Variations qu’on pourra mettre sur le dos de l’extrême richesse linguistique du pays dont chacune des langues locales n’est parlée au plus que par quelques milliers de personnes.
5 Mgr Victor Douceré (1857-1939), l’évêque du Père Alphonse Ardouin, était sceptique par principe sur ce qu’il tenait pour n'être que "des rumeurs" de cannibalisme. Cependant celui-ci, qui n’était pas alimentaire mais rituel, est confirmé par de nombreux témoignages portant sur ces guerres tribales, y compris par l’ethnologue de l’ORSTOM, Jean Guiart (1925-2019). Et un jour au début des années 1990, à Erakor à quelques kilomètres au sud de Port-Vila sur l'île d'Efaté, Olfala Kalsrap qui devait avoir près de 80 ans, évoquait un épisode de sa vie passée. A la fin des années 1930, alors qu’il faisait partie du maintien de l’ordre, il fut envoyé à Malakula où un affrontement (qui aurait pu être appelé "une guerre tribale") avait eu lieu entre deux villages. Quand il y arriva quelques jours plus tard, ceux venant de la montagne l’avaient emporté sur ceux habitant sur la côte, et étaient repartis en laissant une plage jonchée de cadavres. Ceux-ci étaient démembrés, les vainqueurs ayant emporté avec eux une jambe de l’un, les bras de l’autre… Olfala Kalsrap n’avait pas vu de ses yeux ce qu’il était advenu de ces "trophées", mais il en avait une certaine idée…
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