la Vieille Verrerie
"La Vieille Verrerie", ou "la Vieille Verrie", a aujourd’hui disparu. C’était un village de la commune du Poiré d’avant 1850, qui se trouvait tout près de la source de "la Vie", et qui fut détruit à la fin du XIXe siècle1. Cette destruction a été la conséquence de l’édification sur son emplacement en 1880, par un notable républicain vendéen, d’un château auquel fut donné le nom du village voisin du "Deffend"2. Toutefois, à 400 m au nord-est, le nom du village de "la Verrie", construit depuis, a gardé le souvenir de son nom.
Les parages de la "Vieille Verrerie", ou "Vieille Verrie", en 1836,
et en 2017 son ancien emplacement où ne subsiste aucun vestige.
(premier cadastre du Poiré et vue aérienne sur Géoportail, environ 880 m x 460 m)
Son nom rappelle une activité qui, avant de sombrer dans l’oubli, exista durant près de quatre siècles dans ce secteur du Poiré, et dans ses environs. Le village et les terres de "la Vieille Verrerie" ont longtemps dépendu du château de "Rortheau", situé à 4 km de là sur Dompierre et qui appartenait à des maîtres verriers, dont l'activité, comme celles des maîtres de forges et quelques autres, pouvait être pratiquée par des nobles sans que ceux-ci dérogent de leurs privilèges.
Les premiers de ces verriers, à "Rortheau", furent les Bertrand, qui pratiquaient déjà leur activité dans le Bas-Poitou au XIVe siècle. Ainsi, on voit Charles VI (roi de France de 1380 à 1422) concéder le 24 janvier 1399 par lettres royales, et suite à "l'humble supplication de Philippon Bertrand, maistre de la verrerye de Moulchamps, pour luy et pour les autres verriers dudit lieu"3, différents droits : exclusivité de l’activité verrière, statut nobiliaire, privilèges fiscaux. Ces droits sont confirmés le 9 novembre 1456 par René, duc d’Anjou de 1434 à 1480, qui accorde "à ses bien aimés Lucas Rillet, Jehan Bertran et Pierre Maigret, le privilège de prendre en la forêt de la Roche-sur-Yon le bois nécessaire à leur industrie, de la façon la moins dommageable possible à la dite forêt"3 (une forêt la Roche dont il ne reste guère six siècles plus tard que le souvenir, et encore).
"La Vieille Verrerie" et "Rortheau", lieux d’activité verrière sur le Poiré et Dompierre,
du XVe siècle au XVIIIe siècle.
Ci-dessus sur la carte de Cassini, en 1768.
Ci-dessous en 2016 (16,4 x 9 km)
avec, en tireté violet, les limites du Poiré et de Dompierre avant 1850.
A cette époque, la fabrication du verre se faisait localement, de façon artisanale à partir d’un mélange de sable et de potasse en proportions variables, mélange qui permettait d’abaisser la température de fusion du verre. Cette potasse était fournie par des cendres végétales, telles que celles de fougères qui en étaient riches ; et qui venaient des landes, particulièrement étendues jusqu’aux débuts du XIXe siècle sur ce secteur du Poiré. Quant au bois de chauffe alimentant les fours, il provenait des bois et taillis existant à proximité, tel "le bois des Gâts", à cheval sur les paroisses voisines de Saligny et de Dompierre, et tout près de "Rortheau".
En 2017 à "Rortheau" : des vestiges de la sole d’un four de verriers
(diamètre de ce vestige : environ 2 m),
avec l’œil du "tisard" par lequel se transmettait la chaleur au four (diamètre : 40 cm) ;
photo de traces de coulures de verre, subsistant depuis le milieu du XVIIIe siècle.
La "coupe d’un four de petite verrerie…" telle que la représente
une des planches de l’Encyclopédie dite de Diderot
( édition de 1772, volume 10, p. 481 / 608 ).
Au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècle, les domaines de "Rortheau" passèrent aux Rossy2, avec leurs droits. Dans les années 1750, ceux-ci semblent toujours pratiquer l’activité verrière, mais ils l’arrêtèrent peu après, sans que l’on sache à quelle date exactement4. Des vestiges d’un four et des déchets verriers subsistaient encore en ce dernier endroit en 2017, et en 1837 il existait dans le "bois des Gâts" voisin, deux parcelles portant le nom de "les Vieilles Verries"5. Dans ce même bois, qui était autrefois sensiblement plus vaste qu’aujourd’hui, on pouvait encore voir en 2020 les traces d’un ancien campement de charbonniers dont la production alimentait les fours de verriers, ainsi que les forges locales. Il avait aussi servi sous la Révolution de cantonnement pour une partie de la petite troupe de Charette, et en 1944 de lieu de bivouac pour les résistants du "maquis des Gâts" (qui s'était alors donné le nom de "maquis de Charette").
Les blasons des verriers successifs de "la Vieille Verrerie",
les Bertrand puis les Rossy ;
et le blason des Brunet de la Grange, ses propriétaires en 1836.
A la fin du XVIIIe siècle, le village de "la Vieille Verrerie" n’était plus constituée que par une métairie de 15,4 ha, que les troupes révolutionnaires "incendièrent en totalité" quelques années plus tard6. Y vivait alors Jean Morilleau, qui participa au soulèvement vendéen de 1793 à 17957.
En 1820, "la Vieille Verrerie" qui, comme l’ensemble des domaines de "Rortheau" avait échappé à la vente comme bien national, passa avec eux, par mariage, des Rossy aux Brunet de la Grange. En 1857, elle fut vendue avec "le Deffend" aux Rouchy, qui les revendirent en 1877 à Prosper Deshayes8, constructeur en 1880 du château du "Deffend" sur l’emplacement de "la Vieille Verrerie". Ce château sera acquis en 1917 par la famille Fleury.
--------------------
On ne connait pas d’objets en verre qui proviendraient de "la Vieille Verrerie" ou de "Rortheau". De plus, le verre fait avec de la silice et de la potasse ayant la particularité de ne pas pouvoir subsister éternellement en terre, cela laisse peu de chances que l’on puisse en trouver un jour ou l’autre des débris dans le sol9. Par contre, dans un champ des Grandes Cheitres de "la Créancière" de Dompierre, ont été mis au jour en 1854-1855 des vestiges d’un cimetière gallo-romain, contenant de nombreux objets en verre. Certains furent confiés au Musée de la Roche-sur-Yon où ils se trouvent toujours10. Leur subsistance en terre tient à ce qu'il s'agit d'un verre fait de silice et de soude, ce qui laisse présumer d'une fabrication ayant dû se faire près de la côte.
--------------------
1 Plans, états de sections, matrices du cadastre du Poiré, 1836 (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 178).
2 Cf. Raigniac (Guy de), De Châteaux en Logis, 1998, t. VIII, p. 39. On trouvera aussi chez Guy de Raigniac, la succession des propriétaires de "Rortheau" et terres en dépendant, parmi lesquelles celles de "la Vieille Verrerie".
3 Cf. l’article "Gentilshommes verriers de Mouchamps en Bas-Poitou, 1399", dans la revue de la Société académique de Nantes, tome 32, 1861, p. 213-215 ; un article évoqué par Edouard Garnier, dans son Histoire de la verrerie et l’émaillerie, 1886, p. 176-177.
4 Cf. Raigniac (Guy de), De Châteaux en Logis, 1998, t. VIII, p. 192 : "Un procès-verbal de 1758 du Maître particulier des Eaux et Forêts explique que le sieur de Rortheau avait vendu en 1740 au sieur de Beauregard et au sieur de la Jarrie ses droits de coupe sur vingt arpents de leurs bois de Rortheau contre 1500 livres et un arrentement de vingt arpents dans la forêt des Gâts".
5 Plans et états de la section du cadastre de 1837 de Saligny, parcelles C 468 et C 470 (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 279 et 3 P 3121).
6 Cf. les Estimations des biens nationaux sur la commune du Poiré (Arch. dép. de la Vendée : 1 Q 212). En raison du prolongement du soulèvement vendéen jusqu’au début de l’année 1796 dans la région du Poiré, ces estimations furent très retardées, et du coup certaines des adjudications qui auraient dû suivre n’eurent pas lieu. C’est ce qui fit que les biens concernés finirent par rester à leurs propriétaires.
7 Voir les fournitures apportées par Jean Morilleau de "la Vieille Verrerie", à l’armée catholique le 30 août 1793, dans le Cahier des réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré (Bibl. mun. de La Roche-sur-Yon : ms 19).
8 Prosper Deshayes (1833-1907), qui fit construire le château du Deffend en 1880, était un notaire et riche propriétaire foncier de Luçon. Il fut maire de cette ville de 1878 à sa mort 29 ans plus tard, conseiller général du département de la Vendée de 1887 à 1898, et député, membre du parti radical, à l’Assemblée nationale de 1893 à 1906. Il est en tant que tel, représentatif de la gauche vendéenne de cette époque.
9 Cf. la notice Une activité verrière ancienne au Poiré et dans ses alentours, élaborée à partir de l’exposition "Pour plus de transparence… Histoire du verre dans l’Antiquité, et plus particulièrement en Vendée", du 13 juin au 2 juillet 2017 à l’Historial des Lucs.
10 Leroy de la Brière, "Notes sur les objets gallo-romains découverts en Vendée depuis la création du Musée départemental", Annuaire de la Société d’Emulation de la Vendée, 1855, p. 165 à 176 (Arch. dép. de la Vendée : 4 Num 51/6).
◄ page précédente : la Vie (rivière) Haut ▲ page suivante : le Vivier ►