le Champ d'avant
rappel : avant toute utilisation d'extraits ou d'illustrations de ces pages, vous devez en demander l'autorisation à leur auteur.
Dans le voisinage de la Commanderie de "Lande blanche"
Depuis toujours "le Champ d’Avant" n’est constitué que d’une seule habitation et de ses dépendances agricoles. Avec les villages des alentours ("la Grande Croix", "la Grouillère", "les Tuileries de Lande blanche", "le moulin de Lande Blanche"), il fait partie d’un ensemble souvent appelé "Lande blanche"1, du nom de la Commanderie voisine de l’Ordre du Temple, érigée au XIe siècle. Avec une quinzaine d’autres villages, il fut détaché en 1844-1850 de la paroisse (et du même coup de la commune) du Poiré "afin de faciliter aux fidèles l'accomplissement des devoirs religieux"2, pour être rattaché à celle(s) de Belleville. Son importance était si réduite que ses habitants étaient le plus souvent confondus avec ceux vivant dans l’un ou l’autre des villages voisins.
"Le Champ d’Avant" avec, en jaune, l’emplacement de l'ancienne croix des Ardouin.
Vers 1840, "le Champ d’Avant" sur la carte d’état-major (environ 2300 x 1400 m), avec à l’époque :
- en orange les limites entre les communes du Poiré, de Belleville et de Saligny,
- en bleu la limite entre le canton du Poiré et la commune de Dompierre (canton des Essarts).
Et "le Champ d’Avant" sur le plan cadastral de 1836 du Poiré (environ 1610 x 1080 m),
ainsi qu'une photo de ses constructions les plus anciennes en 2020.
Au carrefour proche avec le chemin constituant la limite avec la commune de Saligny, subsistait avant 1957-1958, le socle en pierre d’une ancienne croix en bois. Elle avait été érigée après la Révolution par les Ardouin, des "chaumiers" (c’est-à-dire des fabricants de tuiles, et de chaux à partir des cendres résiduelles des fours) de "Lande blanche". Ceci en mémoire de plusieurs membres de leur famille qui avaient été tués là par des troupes républicaines, et été enterrés dans le "champ des Landes" de l’autre côté du chemin. Cette tradition rapporte aussi que les mêmes "fusillèrent d’autres habitants à quelque 800 mètres de là, près du chemin du poteau"3.
Sur une vue aérienne en 2014 (environ 1200 x 925 m), près du "Champ d’Avant",
l’emplacement de l’ancienne croix des Ardouin, sur la limite du Poiré d’avant 1850 ;
ainsi qu'en 2017 les restes de son fût, servant de poutre,
et la statue de la Vierge qui était placée devant.
En 2020, il ne restait rien de cette croix, sinon son fût, long d’environ 5 m et devenu la poutre principale de la cave voisine, ainsi qu’une statue de la Vierge, en terre cuite émaillée venant de Malicorne (hauteur, 27 cm), et qui se trouvait devant autrefois. Les habitants du "Champ d’Avant" en 2020 étaient des descendants de la famille Ardouin.
---------------------
La fiabilité des mémoires locales et familiales
Les faits qui ont été conservés par la mémoire familiale des Ardouin se trouvent correspondre au passage la colonne des généraux républicains Ferrand4 et Huché5, les 18 et 19 juillet 1794 près de Saligny et du "Champ d’avant".
Cette colonne de trois mille six cents hommes était partie des environs de Chantonnay le 10 juillet 1794 (22 messidor an II), après qu’il leur eut été "ordonné respect aux propriétés, aux hommes paisibles, aux femmes et aux enfants, avoir défendu à tous les individus, sous les peines les plus rigoureuses, les traits d’inhumanité" (le temps des ordres de destructions et tueries systématiques, donnés aux colonnes dites infernales par le gouvernement révolutionnaire, était passé). Un trajet sinueux passant par les Essarts, Montaigu, Rocheservière, la Bésillère6 de Legé, les Lucs, Saint-Denis-la-Chevasse, le Poiré, Palluau, Froidfond, les conduisit à Challans le 24 juillet.
Là, les autorités du District interrogèrent ceux qui avaient dû les accompagner comme guides, et consignèrent leurs déclarations. Elles complètent le rapport que fit le général Ferrand sur cette expédition des 10 au 21 juillet 17947.
L’itinéraire, du 10 au 21 juillet 1794, de la colonne des généraux Ferrand et Huché
qui, venant de Chantonnay, passa près du "Champ d'avant",
puis continua sa route jusqu'à Challans.
Rapport du général Ferrand de la marche de sa colonne, |
Déclaration de citoyens accompagnant la colonne des généraux Ferrand et Huché, du 22 messidor au 3 thermidor [10 au 21 juillet 1794], |
rapport sur la marche des trois mille six cents hommes partis se Pont-Charron le 22 messidor, lesquels commandés d’abord par le général Ferrand ont fait une expédition dans la forêt de Grasla, et qui ensuite sous les ordres du général Divisionnaire Huché, ont parcouru la Bésillière, Belleville, etc. |
copie d’une déclaration faite par les citoyens maire et officiers municipaux des communes de Cécile et des Essarts en date du 7 thermidor, envoyée aux Jacobins de Paris par les membres du Comité de Surveillance de la Société Populaire Epurée de Fontenay-le-Peuple, Département Vengé. |
|
|
Après avoir fait assembler tous les régiments campés au Pont-Charault, avoir répété au centre de chacun d’eux ce qui est enjoint dans les proclamations, avoir ordonné respect aux propriétés, aux hommes paisibles, aux femmes et aux enfants, avoir défendu à tous les individus, sous les peines les plus rigoureuses, les traits d’inhumanité, je suis parti à six heures du soir et ai pris la route de Sainte-Cécile, où j’avais connaissance qu’existait un rassemblement de Brigands. |
A dix heures du soir, nous nous sommes portés à Cécile, nous avons trouvé au village du Pont-Charrault un poste de brigands d’environ 200 hommes qui après peu de résistance prirent la fuite, une vingtaine ont été tués. Du Pont Charrault, nous nous sommes portés aux Essarts où nous n’avons trouvé personne, nous en sommes partis pour aller dans la lande de la Chauvinière, où nous avons campé et passé la nuit.
|
Arrivés à trois heures du matin dans ce village, je l’ai fait fouiller, ai parlé à quelques habitants que j’ai trouvés occupés dans leurs foyers. Ayant eu connaissance que deux cents brigands dont partie à cheval, s’étaient portés et mis en bataille au-dessus du village. J’avançai sur eux avec le corps de bataille lorsque d’après les dispositions que j’avais prises, mon avant-garde commandée par l’adjudant-général Verpet les a pris en flanc, en a tué une cinquantaine et mis le reste en déroute. Je me suis mis en route pour les Essarts que j’ai traversés sans rencontrer aucun habitant. A peine sorti de ce bourg, avec cinq dragons et un guide, pour aller reconnaître un lieu propre pour le bivouac j’aperçus une vingtaine de Brigands, dont plusieurs montés. Je les ai chargés. Ils ont fait peu de résistance, et huit à dix ont été tués. Quatre chevaux assez bien équipés ont été pris et laissés à ceux qui en étaient emparé. Le bivouac reconnu dans une lande entre les Essarts et la forêt de Grasla, je m’y suis établi militairement. Pendant la journée, un sergent-major du 29e Régiment lavant une chemise près du bivouac a été tué par un Brigand qui s’est glissé jusqu’à lui à travers les buissons. Une femme que des soldats prétendaient avoir entendu indiquer au brigand le lieu où était ce sergent, a été tuée par eux. Ne voulant point que dorénavant on pût donner un tel prétexte, j’ai ordonné qu’en pareille circonstances on m’amena les femmes soupçonnées pour vérifier les faits. |
|
Je me suis mis en marche à deux heures et demie et ai traversé le bourg de Chauché, où tout indiquait que les maisons qui sont en assez bon état, étaient habitées : je ne vis pas un seul individu. Arrivé près de la forêt de Grasla, j’ai détaché cinq cents hommes pour côtoyer la droite et huit cents pour côtoyer la gauche. J’ai répandu à gauche et à droite dans la forêt pour la fouiller, un bataillon de chasseur et l’ai traversé avec ce qui me restait de troupe, ayant soin de me tenir toujours à hauteur des tirailleurs. Nous avons trouvé dans cette forêt des cases pour loger près de deux mille personnes. Dans quelques-unes étaient des portefeuilles, pelotes et reliquaires nouvellement faits, dans d’autres des moulins à bras, des mortiers pour écraser le grain ; dans un pré de laquelle étaient deux forges bien garnies, ont été découverts une trentaine de bois de fusils, des batteries, des canons de fusils, les outils nécessaires pour réparer des armes, tout enfin ce qui annonce un petit atelier en ce genre. Dans toutes on a trouvé du lait et des matelas ou lits de plumes. Deux ou trois personnes seulement ont été rencontrées et nous ont dit que ces cases étaient habitées par des gens des campagnes voisines qui s’y étaient retirés depuis qu’on avait brulé leurs maisons, qu’il avait quelques religieuses et des prêtres dont un prieur qui disait la messe tous les dimanches et fêtes, et que tous ces individus ayant connaissance que nous avions bivouaqué à quelques distances et craignant notre visite s’étaient surement retirés pendant la nuit dans les forêts voisines. La fouille dans celle de Grasla nous avait tenu une partie de la journée, et après avoir renvoyé ceux que nous avons rencontrés à qui j’avais remis plusieurs proclamations, j’allai établir mon bivouac dans une lande à une lieue de la forêt de Grasla. J’ai remarqué, de distance en distance, sur les arbres les plus hauts des échelles attachées par le bas aux branches les plus élevées : de là les trompettes, car ou y place ceux qui sonnent de la corne, découvrent ce qui se passe de loin et peuvent avertir à l’instant. Pour plus de commodité, ils établissent un siège avec une ou deux planches. Après avoir placé mon poste, je remis le commandement au chef de brigade Xxx à qui je donnais l’ordre de venir camper le lendemain près de Montaigu où je me rendis avec le commissaire des guerres pour pourvoir de pain et autres choses nécessaires la colonne. Le général Huché avait été mandé à Nantes par le Représentant Bo. Il n’y avait pas de pain à Montaigu. J’envoyai le commissaire des guerres à Nantes pour solliciter des souliers et presser l’expédition de pain. Mon aide de camp fut chargé de porter une lettre au général Huché. |
Nous nous sommes portés à Chauché, de là à la forêt de Grasla, où nous avons trouvé différents ornements d’église, et plusieurs individus des deux sexes, dont deux nous ont déclaré que l’ex-curé de Chavagnes, et un autre inconnu y célébraient habituellement la messe. Les hommes arrêtés ont été renvoyés après avoir reçu des proclamations avec invitation de rentrer dans l’ordre et de s’occuper de leurs travaux domestiques. De la forêt de Grasla, nous nous sommes portés sur les Brouzils, et de là dans les landes de Corprais où nous avons bivouaqué la nuit entière.
|
La colonne vint camper près Montaigu et je reçus, sur les deux heures après-midi, l’ordre du général Huché pour me rendre à Nantes. Je partis à trois heures accompagné de dix hommes à cheval, et nous essuyâmes, entre Aigrefeuille et le camp de la Roulière, le feu de plus de quatre-vingts Brigands cachés dans un champ de blé derrière une haie. Nous perdîmes un dragon du 9e régiment deux chevaux, et quatre qui furent blessés, un est mort quelques heures après. Je trouvai à Nantes, Boussard et Aubertin qui comme moi, avaient été demandés pour arrêter un plan, d’après lequel on pût rendre la Loire navigable. Le rendez-vous nous fut donné pour le lendemain. |
Nous sommes passés à Georges, et de là à Montaigu, où nous avons resté trois jours.
|
Nous nous rendîmes à huit heures chez le citoyen Huché agent secondaire et frère du général. Il fut proposé et accepté un plan qui reçut la sanction du Représentant Bo, et dont copie a été envoyé au général en chef. Le départ de la colonne fut fixé au 29 ; et le général Huché prévint qu’il se mettrait à la tête. |
|
Je m’occupai avec le commissaire des guerres des besoins de la colonne en pain et souliers. |
|
Je partis de Nantes avec le général Huché. Nous nous rendîmes à Montaigu. |
A quatre heures du soir, nous sommes partis de Montaigu avec la colonne qui nous a paru passer aux ordres du général Huchet, qui s’est placé à la tête de l’avant-garde, nous nous sommes portés sur Vieillevigne et de là à Rocheservière. Nous avons remarqué sur notre passage une vingtaine d’individus des deux sexes pris à leur ouvrage et tués sur le chemin, sans y comprendre ceux que les tirailleurs tuaient à droite et à gauche au mépris des proclamations dont nous étions porteurs et sans doute par les ordres du Général Huchet, car ayant observé au Général Ferrand avec lequel nous étions partis du Pont-Charault que la proclamation des agents de la Commission d’Agriculture et des Arts invitait à respecter les personnes qui n’étaient pas armées, et que celles du Général en Chef en faisait un devoir aux soldats. Le Général Ferrand nous avait répondu que cela était vrai, que nous avions dû remarquer que la colonne s’était bien comportée tant qu’elle avait été sous ses ordres, qu’il voyait bien que cela allait se passer fort mal, mais qu’il ne pouvait l’empêcher n’étant plus commandant. De Rocheservière nous nous sommes portés dans la lande… près le dit bourg, où nous arrivâmes à onze heures du soir. Notre avant-garde y fut attaquée par les brigands, huit d’entre eux furent tués. N’ayant pu poursuivre le reste à cause de la nuit, nous bivouaquâmes dans la lande. |
Ayant du pain pour quatre jours, la colonne partit de Montaigu à cinq heures du soir, sous les ordres du général Huché. Nous passâmes par Vieillevigne, arrivâmes à Rocheservière sur les dix heures. L’avant-garde rencontra à l’entrée de ce bourg une forte patrouille de brigands dont huit furent tués. Après avoir traversé Rocheservière, nous établîmes notre bivouac à une lieue de ce bourg. |
Quatre heures du matin, nous levâmes le camp, et allant au village de la Bésillière, commune de Legé, où nous espérions trouver Charette qui effectivement n’en était sorti que deux heures auparavant. Là nous aperçûmes la colonne républicaine qui venait de Challans. Nous restâmes dans le village de la Bésillière quatre ou cinq heures, et tous les hommes et femmes même trouvés sans armes dans les champs, occupés de leurs ouvrages et dans les maisons furent égorgés et fusillés. Le village fut entièrement incendié. Deux pièces de terre ensemencées en froment furent incendiées après avoir servi à camper l’armée. De là nous nous portâmes au Grand Luc, et allâmes bivouaquer dans les landes qui avoisinent ce bourg. Un seul homme fut rencontré avec sa femme, montés sur un cheval chargé de deux pochées d’effets. Le mari et la femme furent tués. |
Nous nous mîmes en route à trois heures du matin et arrivâmes sur les cinq heures à la Bésillière. Nous découvrîmes dans toutes les maisons, dans les rues, sur les places, les carrefours de ce hameau des indices certains que les Brigands en sortaient. Sur une esplanade plantée de tilleuls, où était le bivouac de leur cavalerie, nous trouvâmes du foin nouvellement foulés aux pieds des chevaux, dont deux éclopés étaient encore au piquet. Nous jugeâmes par les traces que ce bivouac avait pu contenir cent cinquante chevaux. Un homme très malade, qui n’avait pu suivre nous dit que Charette en était parti la veille à dix heures du matin, et quelques heures après son départ il y était arrivé une autre troupe qui s’était retirée deux heures avant notre arrivée. Après avoir fouillé ce hameau et ses environs, nous prîmes une position militaire. Les généraux Chadeau, Aubertin et Levasseur dont la colonne était postée à une demie lieue, vinrent nous voir et nous dirent que la veille ils avaient eu une affaire dans laquelle ils avaient perdu une quinzaine de soldats et avaient tués près de quatre-vingts Brigands. Nous nous mîmes en marche à trois heures et allâmes bivouaquer dans les plaines des Lucs. |
Nous avons quitté la lande du Grand Luc et nous nous sommes portés au bourg de Saligny, où nous n’avons trouvé personne, de là nous avons été dans les landes des Jouineaux où nous avons fait halte ; un village voisin du bourg de Saligny a été incendié et plusieurs moutons ont été brûlés dans leur toit. Nous avons entendu tirer à droite et à gauche dans les champs et plusieurs individus ont surement été victimes des coups que nous avons entendus. Des landes de Jouineaux nous nous sommes portés au bourg de Denis la Chevasse où nous n’avons trouvé personne, la colonne sortie du bourg, le Général Huchet donna ordre à l’arrière-garde de retourner sur ses pas, de brûler le bourg et à l’instant le bourg et les métairies qui l’entourent devinrent la proie des flammes.
|
Après avoir fait fouiller les villages des Grand et Petit Luc, nous nous rendîmes à Belleville, une des maisons de plaisance de M. Charette, où tout nous prouva ce que nous dirent plusieurs personnes, qu’une demi-heure avant notre arrivée, les Brigands en assez grand nombre, y étaient encore. On y trouva eau de vie, vin, pain, viande, une pharmacie complète et beaucoup de linge. Nous visitâmes ensuite Saligny et Saint-Denis, où nous trouvâmes plusieurs barriques d’eau-de-vie qui furent défoncées, des fosses remplies de cuir, quelques armes réparées et à réparer. Nous nous portâmes ensuite sur Boulogne dont le château fut fouillé sur le champ. Il contenait des provisions immenses en tout genre, plusieurs barriques de vin et eau-de-vie, quinze cents bouteilles de vin de Bordeaux et d’Espagne, quantité d’habits, de vestes, linge de table, de corps et de lit ainsi que beaucoup d’autres effets y furent trouvés. Soixante matelas nous furent un garant et on nous dit qu’il y avait un hôpital dans ce château. Nous bivouaquâmes à cinq cents toises de ce lieu. Le général Huché donna alors l’ordre qui fut là le lendemain au matin, dans lequel il ferait les mêmes défenses relativement aux femmes, enfants et hommes paisibles, au viol et incendies que celles que j’avais faites avant mon départ de Pont-Charrault. |
Nous avons campé dans les landes de la Marquière près Boulogne. Plusieurs cultivateurs trouvés cachés et sans armes, les uns en chemise, les autres en gilet, presque tous à leurs travaux ont été amenés au Général Huchet et fusillés sur le champ par ses ordres. Le Général Ferrand témoin de ces massacres ayant voulu faire des observations au Général Huchet et les empêcher, ce dernier lui répondit "Je le veux moi". Nous observerons cependant que d’après cela plusieurs femmes et deux hommes seulement furent épargnés.
|
Après avoir fait fouiller tous les environs de notre bivouac à une lieue et demie, nous partîmes à une heure après-midi et prîmes la route du Poiré. Nous y étions à près de cinq cents toises lorsque nous eûmes connaissance d’une troupe de Brigands qui faisaient route de la Roche-sur-Yon. Le corps d’armée s’étant mis en bataille, l’avant-garde les poursuivit et sur deux cents dont pouvait être composée cette troupe, quatre-vingt-dix furent tués. Nous nous emparâmes de vingt voitures qu’ils escortaient, chacune d’elles était attelée de quatre bœufs. Toutes étaient chargées de bled. Nous y trouvâmes dix-sept caisses de cuivre, quelques sabres, de mauvais fusils, quatre ou cinq quintaux de balles, et il y avait de plus près de quatre-vingts femmes et enfants. Nous traversâmes le Poiré et aperçûmes près de cent cinquante Brigands qui en raison de la distance et que nous étions séparés par une rivière, firent beaucoup de rodomontades. Nous continuâmes notre route et arrivâmes à minuit au moulin de Palluau où nous bivouaquâmes. |
Nous sommes partis de la lande de la Marguière et nous avons été au Poiré passant par le village de l’Orcière, nous y avons vu un homme et une femme tués dans leur maison, la femme sous la table et l’homme dans son foyer. Sur les observations que nous fîmes au Général Ferrand que des abominations avaient été commises, le Général Ferrand répondit à moi Motais "Ne me parlez pas de cela, j’en ai la tête cassée, vous savez que je ne commande plus". Le même jour, nous nous sommes portés au Poiré-sur-la-Roche et dans notre chemin nous avons rencontré les brigands au nombre de quatre à cinq cents qui ont paru vouloir attaquer notre avant-garde, mais ayant vu notre avant-garde s’avancer sur eux, et notre colonne rangée en bataille, ils prirent la fuite et laissèrent après eux vingt-cinq voitures chargées de grains, farines et effets. Deux cents au moins de ceux qui escortaient ces voitures ont été tués, soixante-quatre femmes et enfants trouvés dans un village près le Poiré ont été conduits à Palluau et là, mis en liberté par le général Ferrand qui leur a fait délivrer l’étape. |
On fit partir sur les trois heures du matin un détachement de cent cinquante hommes avec des bouviers pour aller chercher près de cinq cent cinquante bœufs enlevés dans les campagnes par les préposés de la commission civile de Nantes, lesquels avaient disparu pendant l’obscurité de la nuit. Ce détachement rentra sur les sept heures et en ramena une cinquantaine. Un convoi de pain venu de Challans était arrivé à quatre heures du matin et la distribution en fut faite pour un jour. Chacune des femmes et des enfants pris sur les voitures en reçurent une livre. On renvoya dans leurs foyers celles qui parurent le désirer et cinq à six qui demandèrent d’aller à Challans y furent envoyées sous l’escorte qui avait amené le pain. Des attaques de gravelle qui me faisaient depuis quelques temps ressentir les douleurs les plus aigües m’ont forcé sur les représentations de l’officier de santé et d’après les ordres du général Huché de quitter la colonne. J’en ai laissé le commandement au chef de brigade Xxx qui, ainsi qu’il était ordonné par le général Huché, a dû aller dans la journée du 3 bivouaquer à trois lieues de Palluau pour se rendre le 4 au camp de la Roulière et y attendre de nouveaux ordres. Le général Huché s’est rendu de suite à Nantes, afin de rendre compte de son expédition au représentant Bo. |
Nous avons quitté l’armée à Palluau, nous nous sommes rendus à Luçon avec le Général Ferrand passant par Challans et les Sables. Nous avons remarqué depuis Montaigu jusqu’à Palluau que le pillage a été horriblement commis et le bétail partout enlevé par l’armée commandée par Huchet. Lesquels faits nous assurons sincères et véritables. A Hermine-sur-Smagne le sept thermidor l’an 2e (25 juillet 1794) de la République une et indivisible et avons signé.
|
- Résultat - |
|
Il résulte du rapport ci-dessus que depuis le 22 messidor jusqu’au 4 thermidor inclusivement, la colonne d’abord sous les ordres du général Ferrand et ensuite sous ceux du général divisionnaire Huché a tué dans différentes affaires près trois cents Brigands, leur a enlevé vingt voitures et près de cent cinquante bœufs, douze barriques d’eau-de-vie, quantité de vin en bouteilles et en barriques, une infinité d’effets en habits et linge, près de cent fusils, quinze à vingt chevaux équipés et a mis les lieux qui plaisaient le plus à Charette hors d’état de le recevoir de sitôt. |
|
|
|
Je pense que politiquement la guerre de la Vendée n’est d’aucun danger pour la République, mais attendu l’épaisseur des forêts, haies et bocages qui couvrent le pays de son site, on ne doit pas s’attendre à en être débarrassé de sitôt d’autant plus que les Brigands qui connaissent parfaitement tous les sentiers et détours échapperont quand ils le voudront aux colonnes agissantes. Les mesures qu’on parait vouloir employer en les bloquant de tous côtés sont, suivant moi, les seules propres à en diminuer le grand nombre. Une grande partie des moulins à vents qui avaient été brûlés dans l’intérieur du bocage, sont remontés et en état de moudre. Presque tous les fours ont été réparés. La récolte se faisait et il est à présumer qu’actuellement elle est presque achevée. Les traces que nous avons vues devant les maisons nous ont indiqué que l’on bat le bled au fur et à mesure qu’on le récolte. Plusieurs chasseurs et volontaires de la colonne qui n’ont pas d’habits uniformes se sont revêtus d’habits ou veste de différentes couleurs. Il est absolument nécessaire de pourvoir à leur habillement, quelques-uns ayant été pris par leurs camarades dans différentes affaires pour des Brigands ont été victimes de cette ressemblance dans le costume. |
|
le général de Brigade Ferrand
|
Les membres composant le Comité de Surveillance de la Société Populaire Epurée de Fontenay le Peuple, signé Perrault, président, et Littier pour copie conforme, les membres du Comité de Surveillance de la Société Populaire Epurée de Fontenay le Peuple, Perreau président, Duvanes secrétaire |
Après ce 21 juillet 1794, la colonne poursuivant sa route jusqu’à Challans continua ses exactions, qui ne différaient guère de celles pratiquées par les forces républicaines depuis le printemps 1793, sinon dès la fin de l’été 17928.
Les administrateurs du District de Challans recueillirent aussi des déclarations individuelles de soldats de cette colonne, des témoignages de quelques habitants de Froidfond et de la Garnache, ayant réussi à leur échapper, ainsi qu’une lettre du général Boussard critiquant les méthodes de son supérieur, Huché9.
--------------------
Notes, sources et références
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Voir les listes nominatives des recensements, parmi lesquels plus particulièrement ceux de 1836 et de 1891 (Arch. dép. de la Vendée : respectivement pour chacune de ces années, 6 M 280 et 6 M 54).
2 Boutin (Hippolyte), Chronique paroissiale du Poiré-sur-Vie, vers 1901, p. 7.
3 Tradition locale recueillie en 2017 auprès d’Irène Roy (née en 1931 au "Champ d’Avant"), qui rapportait la mémoire familiale venant de sa grand-mère maternelle, Adèle Allaizeau (1884-1964), épouse Ardouin.
4 Jean-Louis Ferrand (1758-1808) avait été promu général de brigade en avril 1794 et se trouva donc en position hiérarchique inférieure quand le général Huché rejoignit sa colonne à Montaigu. Après ses succès en Vendée, il fut envoyé sur la frontière nord-est, puis à Saint-Domingue, pour y rétablir l’esclavage sous les ordres du général Leclerc. Ayant échoué face à l’insurrection générale, il se réfugia dans la partie espagnole de l’ile où l’attendaient d’autres échecs qui le conduisirent à se suicider.
Le portrait intégré à la carte provient du Museo de las Casas Reales, de Saint-Domingue (République Dominicaine).
5 Jean-Baptiste Huché (1749-1805), grâce à ses exploits en Vendée, reçut de rapides promotions, passant du simple soldat qu’il était au début de 1792, au grade de général de division en avril 1794. Il fut destitué après la chute de Robespierre, puis réintégré au même grade trois mois plus tard, et nommé dans le sud de la France. Il sera mis en congé de réforme en mars 1797.
Le général Huché fut critiqué après coup, mais ce même système de colonnes, avec ses méthodes et ses façons d’agir, fut repris, de nombreuses décennies plus tard, sous le nom de "groupes d’intervention".
6 "La Bésilière" de Legé se trouve 6,5 km du bourg de Rocheservière, au sud duquel la colonne de Ferrand et Huché bivouaqua, avant de partir au petit matin du 17 juillet 1794 ; et à 4,5 km au nord du bourg des Lucs où elle arriva le soir. "Les landes des Jouineaux" étaient situées au nord du "bois des Gâts" : à 5 km à l’est de Saligny et à 3 km au sud de Saint-Denis.
7 Le rapport fait par le général Ferrand, et la déclaration collective faite auprès des administrateurs du District de Challans, par ceux qui avaient été réquisitionnés pour servir de guides à sa troupe, ont été repris et analysés en 2015 par Anne Rolland-Boulestreau, dans Les Colonnes infernales, 336 p.
8 Sur les méthodes sanglantes de "maintien de l’ordre" par les gardes nationales et les autoriés départementales durant l’été 1792, voir les Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de Vendée, du fontenaisien André Mercier du Rocher, éd. 1989, p. 98-99.
9 Ces différentes exactions constatées par les autorités républicaines locales furent transmises au gouvernement central d’alors, mais n’auront pas de suites judiciaires. On pourra consulter les originaux au Service Historique de la Défense à Vincennes, ou leurs numérisations aux Archives départementales de la Vendée (correspondance de l’Armée de l'Ouest : SHD B 5/9 95), ou encore ci-après, pour une quinzaine de témoignages de…
- quelques-uns des 3600 hommes et plus de Ferrand et Huché,
- quelques habitants des communes de Froidfond et la Garnache.
Ci-après, une carte des alentours du bourg de Froidfond, localisant les lieux cités dans ces témoignages, et donnant une idée de la largeur de la zone affectée par le passage de la colonne Ferrand-Huché au long de son parcours.
Localisation des exactions connues, perpétrées sur Froidfond par la colonne Ferrand-Huché,
selon les déclarations faites devant les administrateurs du District de Challans,
les 22, 23, 24 juillet 1794
(carte de l’IGN vers 2012 - environ 4,8 x 4,7 km).
avant toute utilisation d'extraits ou d'illustrations de ces pages, vous devez en demander l'autorisation à leur auteur
◄ page précédente : le Cerny Haut ▲ page suivante : Chapelle Notre-Dame de Bonne Nouvelle (quartier de la) ►