la Grange
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"La Grange" dite aussi "la Grange Bonnet"
Bien qu’appelé communément "la Grange" et que ce soit sous ce nom qu’elle apparaît sur la carte de Cassini au XVIIIe siècle, ce village est aussi nommé "la Grange-Bonnet" sur certaines cartes ou sur les plans cadastraux.
"La Grange" dépendait autrefois du prieuré de "Bellenoue"1 situé à 800 mètres plus à l’est, dont il subsiste quelques vestiges, mais dont les origines, l’histoire et la fin restent inconnues.
Durant le XIXe siècle la population de "la Grange" oscilla entre 14 et 34 habitants2. Jusqu’à la généralisation des déplacements automobiles, ceux-ci, avaient plus de liens de sociabilité (paroisse, école…) avec le bourg de Mouilleron-le-Captif, à 2,5 km, qu’avec celui de Poiré situé plus de deux fois plus loin.
En 2019, "la Grange" n’avait plus qu’une exploitation agricole, mais de taille importante. Ses maisons d’habitations, toutes anciennes, datent pour certaines du milieu du XIXe siècle.
"La Grange" sur la carte de Cassini (1768-1770) et le prieuré voisin de "Bellenoue"
(les zones en vert indiquent des zones sensées être en landes ;
le rectangle rouge positionne la carte ci-après,
localisant les landes sur ce secteur dans la 1re moitié du XIXe siècle).
L’équipage de grands griffons vendéens de "la Grange"
sur le départ dans les années 2000.
L’exploitation agricole, quelques maisons, et l’ancienne aire de "la Grange" en 2019.
En 1989, un passionné de l’art de la vénerie s’y lança dans l’élevage et l’éducation d’un équipage de griffons vendéens. Il renouait ainsi avec une activité existant au Poiré avant la guerre de 1914 : des chiens destinés à la chasse à courre y étaient mis en pension dans différentes fermes de la commune et étaient vendus lors de foires attirant des clients venant de toute la France, telle la duchesse d’Uzès, et même le roi d’Italie Victor-Emmanuel…3.
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La mémoire populaire au service de la légende
Au moment de la Révolution, "la Grange" était constituée de deux métairies et d’une borderie, tenues respectivement par Pierre Perraudeau, René Durand et René Micheau que l’on retrouve parmi ceux qui apportèrent leur soutien à Charette, et autres, de 1793 à 17954. Y vivait aussi Antoine Drapier, journalier, et sa famille qui échappa de peu à la mort comme le racontera bien plus tard sa fille, Marie, et ainsi que le rapportera dans son style, Jacques Faucheron :
"Dans la commune du Poiré, il [Henri-Paul Jousbert] donnait l’alerte à une ferme. Entraînant presque de force une femme avec ses deux enfants, un garçon de huit ans et une fille de dix, il les fit cacher dans un fossé d’épaisses broussailles. Des Bleus à cheval arrivaient au galop. Soit qu’ils eussent vus les fugitifs, soit pour un autre motif, ils piquent en avant sans s’arrêter à la métairie, et sautant par-dessus le buisson même qui servait de retraite aux fugitifs. Ils étaient tous passés excepté un, quand le petit garçon lève la tête au-dessus des épines…
- Holà, camarade crie le Bleu à un autre cavalier. Viens voir. Nous voilà de l’ouvrage.
- Bah ! répond l’autre. Laisse-le tranquille. Nous en avons bien assez tué. Petit gars ajoute-t-il, viens chercher un morceau de pain. Tu dois avoir faim.
Le petit imprudent ne bougeait pas.
- Tu as peur. Eh ! bien, tiens.
Il jette le pain et disparait. Les fugitifs étaient sauvés. La petite fille devenue grande a été mariée au capitaine Garreau dont elle est veuve. Elle habite aujourd’hui le bourg de Beaufou, et est âgée de quatre-vingt-quatre ans."5
Manuscrit de Jacques Faucheron, transcrivant en 1870
le témoignage de Marie Drapier.
"Mr Jousbert" (Henri-Paul, 1737-1799) dont il est question,
fut curé de Beaufou de 1764 à sa mort.
…Une anecdote montrant que les révolutionnaires n’étaient pas aussi sanguinaires que certains l’ont dit, puisque, parfois, il arrivait que certains d’entre eux ne tuent pas les enfants.
Marie Drapier qui était née en 1786 à "la Grange", se mariera en 1813 avec Pierre Garreau du "Bouchaud", village où ils habitaient en 1836. Ils partiront ensuite s’installer dans le bourg de Beaufou où ils mourront, lui fin 1856 à 81 ans, elle début 1875 à 88 ans6. Pierre Garreau devait son titre de "capitaine" aux fonctions qu’il eut parmi les insurgés vendéens7.
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La disparition des landes dans la 1re moitié du XIXe siècle
Le secteur de "la Grange" présente la particularité de pouvoir donner une idée de ce qu’a pu être l’extension et l’évolution des surfaces en landes sur le Poiré et dans son voisinage, de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle.
"La Grange" se situait (et se situe) aux limites du Poiré et de Mouilleron, des limites qu’au début du XIXe siècle il était important de préciser. En effet, à cette époque la répartition des impôts directs, dont celle de la contribution foncière portant sur tous les terrains, était à la charge des municipalités, qui avaient intérêt à pouvoir diviser cette contribution foncière par la surface la plus grande possible. Durant l’été 1808, une contestation s’éleva entre les communes du Poiré et de Mouilleron qui prétendaient l’une et l’autre taxer à leur profit respectif des mêmes terrains situés au niveau des villages du "moulin Roux" et de "la Grange"8.
Ces cadastres, dont l’objectif était d’assoir les impôts fonciers, renseignent aussi sur l’occupation du sol et donc sur l’extension des landes au moment de leur établissement. A Mouilleron il fut levé à deux reprise, en 1808 puis en 18439, ce qui permet de voir l’évolution de la surface occupée par celles-ci entre ces deux dates : en 1808, les landes et taillis couvraient 39,0 % (737 ha) du non-bâti de la commune, et en couvraient 13,8 % (230 ha) en 1843.
Bien que le cadastre du Poiré ait été levé uniquement en 1836, il est possible de faire une carte des landes sur le secteur de "la Grange" au milieu de la première moitié du XIXe siècle. Elle montre l’importance prise par les landes au sortir de la Révolution, suite à la destruction partielle de la population et de la force de travail animale.
Extension des landes aux limites du Poiré et de Mouilleron-le-Captif :
- en rouge, les landes subsistant en 1836 sur le Poiré et en 1843 sur Mouilleron,
- en vert, celles ayant disparu sur Mouilleron entre 1808 et 1843 ;
avec la ligne séparant les deux communes et la localisation des lieux habités en 1808.
(sur une vue aérienne du 27 juillet 1950 - environ 3000 x 1500 m)
Dans les années 1950, sur le Poiré seules quelques parcelles étaient encore occupées par des landes, et quand la paille pour la litière des bêtes menaçait de manquer, chose qui pour les petites fermes arrivait parfois dès la fin mars, on allait y prendre le nécessaire que l’on coupait puis étalait dans les étables. Un travail particulièrement pénible disent ceux qui l’ont connu et pratiqué.
Pendant longtemps, un terrain en lande a eu la réputation de n’être qu’un "pays inculte, peu propre au labour, rempli de joncs, de bruyères, serpolets, joncs-marins, où l’on ne peut faire venir du bois"10. Relayée par les manuels scolaires, cette réputation persista jusqu’au XXe siècle, bien que Cavoleau ait déjà, en 1818, montré qu’à la fin du XVIIIe siècle les landes dans le Bocage, loin d’être inutilisées, étaient intégrées à leur environnement agricole et économique :
- par la fabrication de fagots : "les fours à chaux et à tuiles et les fours à pain consomment ce qui s’en vend" ;
- par écobuage : avant une mise en culture "on fait brûler sur le lieu même, le genêt, l’ajonc et la bruyère, que l’on a étendus sur toute la superficie du champ" ;
- comme engrais : "les cours des métairies […] sont jonchées de genêt, d’ajonc et de bruyère, qui pendant dix mois sont pénétrés par la pluie et broyés par le passage fréquent des animaux […] Peu de temps avant les semailles, on les entasse avec le fumier des étables et on les transporte avec lui dans les champs […]"11.
Dans le troisième quart du XIXe siècle, certains s’interrogeaient et surtout épiloguaient à propos du canton du Poiré, sur l’origine des landes, sur leur datation, sur les variations de leur extension :
"On remarque dans toute cette contrée et particulièrement dans la commune des Lucs et dans celle de Beaufou, de vastes landes, qui ont été défrichées à une autre époque, puisqu'on aperçoit encore sous la bruyère qui les couvre des traces de sillons, preuve évidente que ce pays a été plus peuplé qu'il ne l'est aujourd’hui, car […] ces landes, à la différence de celles de beaucoup de contrées, sont très productives. […] On pense généralement que l'abandon de ces vastes terrains a été nécessité par le manque de bras, qui a dû avoir lieu après la guerre dite du sel, sous François Ier et Henri II, et plus tard, après les guerres de Religion et de la Ligue […]."12
Au début du XXIe siècle, il n’existe plus de landes en tant que telles. On peut cependant, ici ou là, trouver des parcelles qui autrefois étaient en landes, et qui depuis ont évolué en taillis, ou même en bois10.
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Notes, sources et références...
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Cf. une minute notariale du 30 mars 1789 de Maître Danyau, du Poiré : bail par Louis Favroul, fermier (régisseur) demeurant à Belleville, à Jean Bourcereau et à son épouse Marguerite Remaud, de la métairie de "la Grange Bonnet", dépendant du "Prieuré de Bellenoue" (Arch. dép. de la Vendée : 3 E 24).
2 Dénombrements et recensements de la population du Poiré, de 1797 à 1911 (Arch. dép. de la Vendée : L 288, 6 M 280, 6 M 282).
3 Entretien en 2019 avec cet éleveur, Robert Vincent ; voir aussi sur ce sujet : Ardouin Dumazet (Victor-Eugène), Voyage en France, 16e série : "de Vendée en Beauce", 2e édition, 1908, chap. XIV, "la Vendée moderne : la foire aux chiens", p. 190 à 194.
4 Cahier des réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré (Méd. mun. de La Roche-sur-Yon : ms 019), réquisitions à la Grange ; voir aussi de Lorvoire (Jean-Claude), "les Réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré-sur-Vie", in Recherches vendéennes, n° 3, 1996, p. 257-299.
5 Faucheron (Jacques), Histoire de Beaufou et légendes pieuses, manuscrit inédit, cahier n°1 rédigé entre 1861 et 1872, p. 33-34 (Arch. dép. de la Vendée : 1 Num 396/1).
6 Le Poiré : registres paroissiaux et état civil de 1750 à 1851, dénombrements et recensements de la population de 1797 à 1851 (Arch. dép. de la Vendée : 2 E 178 ; L 288, 6 M 280, 6 M 282). Beaufou : registres paroissiaux et état civil de 1800 à 1875, dénombrements et recensements de la population de 1797 à 1881 (Arch. dép. de la Vendée : 2 E 015 ; L 288, 6 M 49). On y constatera que Marie Drapier, fille d’Antoine Drapier (1761-1831) et de Françoise Beignon (1761-1833), est, tout comme son frère Jean (1788-1824), considérée par erreur née à Mouilleron, mais "la Grange" dépendait alors comme aujourd’hui de cette dernière paroisse. Enfin, Marie et Jean avaient deux frère et sœur : Pierre (1784-1818) et Marie-Anne (1793- ? ).
7 Ce titre de "capitaine" est confirmé par le Cahier des réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré cité ci-après. Il correspond à l’organisation dont durent se doter les insurgés vendéens pour défendre leur liberté et lutter contre les ordres d’exterminations des autorités révolutionnaires.
8 Le règlement de ce différend, qui portait seulement sur quelques parcelles, fut obtenu par les services préfectoraux dès le 1er septembre 1808 (Arch. dép. de la Vendée : administration générale du département, 1 M 324).
9 Plans du cadastre dit primitif (1808) et du cadastre dit napoléonien (1843), ainsi que l’état de sections du cadastre de 1843 de Mouilleron-le-Captif (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 155 et 3 P 1703). Plans et état de sections du cadastre du Poiré de 1836 (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 178 et 3 P 2039).
10 Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, édition de 1778 de la Société typographique de Neuchâtel, t. 19, p. 539. "L’Encyclopédie", de Diderot et d’Alembert, a longtemps été la référence pour les manuels du Ministère de l’instruction publique, sous la IIIe République.
11 Cavoleau (Jean-Alexandre), Description du département de la Vendée, et considérations générales sur la guerre civile de 1793, 1794, et 1795, 1re édition, 1818, p. 166, 174…
12 Cf. l’introduction aux Chroniques paroissiales du doyenné du Poiré, manuscrit rédigé dans les années 1850 et 1860 par Eugène Aillery (1806-1869), et repris par Hippolyte Boutin (1851-1901) dans l’ouvrage de même titre, publié entre 1900 et 1908.
13 Au sujet de vestiges d’anciennes landes non loin du Poiré, voir de Mignet (Maurice) : les "Landes rouges" de l’Herbergement / les Brouzils, un ultime témoin des landes d’autrefois, dans la revue d’histoire locale le Marcheton, n° 18, de janvier 2020, p. 44 à 51, 11 plans et photos, et 2 tableaux.
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