1788, la "Topographie médicale de Vieillevigne"", ar Ch.-R.-A. Baudry
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Dix ans après l'article du Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, de Jean-Baptiste Ogée, la "topographie médicale de Vieillevigne" rédigée par Charles-René Baudry en 1787 et présentée en 1788, donne une nouvelle description de Vieillevigne.
Ce mémoire s’inscrivait dans le projet que la Société Royale de Médecine avait initié "d’après les ordres du Roi, de dresser un Tableau topographique et médical de toute la France", le terme "topographie médicale" étant à prendre dans le sens de "environnement médical".
Elle est à comparer avec celle, moins succincte, faite la même année par Michel Du Boueix, docteur en médecine de l’université de Nantes, sur "la ville et l’hôpital de Clisson en Bretagne", et à celle, beaucoup plus étoffée, faite l’année précédente par Louis Richard de la Vergne (fils aîné), docteur en médecine de l’université de Montpellier, sur "la ville de Montaigu en Poitou".
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TOPOGRAPHIE MÉDICALE
DE
VIEILLEVIGNE
par M. Baudry, docteur-médecin de Reims
Vieillevigne, gros bourg de Bretagne, évêché de Nantes, à six lieues, sud de cette -ville, siège d'une basse juridiction, paroisse comparée de quatre-vingts dix-huit villages ou hameaux, chargée de cinq mille huit cent vingt-six habitants, de trois lieues de long du nord au sud et de deux lieues de large de l'est à l'ouest, est situé dans un terrain plat, mat aéré, coupé par de très petites pièces de terre bordées de haies et d'une infinité d’arbres, qui interceptent la libre circulation de l'air.
Le sol sur lequel le bourg est bâti eut une pièce de tendre qui n'est bonne à rien, pas même à raccommoder les chemins, elle s'écrase aisément et se réduit en boue dans le temps de pluie. Le terrain de la paroisse en général est humide par défaut de pentes favorables à l'étalement des eaux. Dans différents cantons la différence de la terre végétale est sensible.
Au nord, entre Nantes et le bourg de Vieillevigne, elle est légère sablonneuse de quinze à dix-huit pouces de profondeur : son lit est un sable mêlé de petits caillots noirs et jaunes, elle est propre à la culture du seigle.
A l'est, il y a environ treize pouces de terre féconde, noirâtre, mauvaise, acre, assise sur un lit de cailloux de différentes couleurs, réunis par un espèce de ciment semblable au mâchefer, qui sortent quelquefois en bloc aux coups de charrue. Cette espèce de pierre est connue dans le pays sous le nom vulgaire de clavelée.
Au Sud-est huit pouces de terre féconde, blanche, molasse, faible, assise sur un lit de même nature, mais plus blanc parce que l'engrais n'y pénètre pas.
Au Sud vers l'ouest quinze à dix-huit pouces de terre féconde, bonne, fine, rouge acre, facile à cultiver, assise sur un lit de même nature mêlé de petits cailloux noirs d'une à deux onces.
A l'ouest treize pouces de terre féconde compacte, assise sur un lit d'argile rouge : elle se gerce et se recoquille par couches en se desséchant. Celle-ci est particulièrement propre à la culture du froment.
A quatre cents pas du bourg, à l'est, coule du sud au nord, côtoyant des prairies, la petite rivière ou ruisseau de l'Ognon, qui prend sa source à trois lieues de Vieillevigne et va se perdre du sud au nord-ouest dans le lac de Grand-Lieu, près le bourg du pont Saint-Martin, à huit lieues de sa source. Son lit est tortueux et peu spacieux. Ses eaux débordent aux premières pluies d'hiver, croupissent eu été, et se corrompent en automne à la chute des feuilles d'aulnes et de chênes qui le bordent et l'ombragent. Elle ne fournit que peu ou point de poissons.
De tous les puits qui se trouvent dans le bourg, il n'y en a pas qui ne donne une eau crue, sélaniteuse, incapable de dissoudre le savon et de cuire les légumes. Mais à cinquante pas au-dessus de la rivière de l’Ognon est une fontaine ouverte à l'ouest, fournie par une source de toute bonté : son eau pure et salubre sert à la boisson et à la cuisine des habitants du bourg.
Le cimetière à l'est du bourg, attenant à l’église paroissiale, beaucoup trop petit pour le nombre des morts qu'on y enterre, n'a que quarante pas de large sur soixante de long ; et les fossoyeurs peu exacts à observer les règlements, qui ordonnent que l'on donne aux fosses cinq pieds de profondeur n'en donnent pas même trois ; de sorte que les cadavres sont quelquefois à peine couverts d'un pied de terre.
Les vents qui règnent le plus souvent à Vieillevigne sont ceux du nord et de l'est et les composés de ces deux principaux. Ce n'est guère que dans les temps pluvieux d'hiver, pluvieux et orageux d'été que soufflent les vents du Sud et de l'ouest. Les orages n'y sont pas fréquents, et l'on n'entend point parler de la chute du tonnerre, probablement parce qu'il n'y trouve pas d'élévations favorables à la décharge de son feu électrique.
La disette des matériaux prive les habitants de l'agrément d'être bien logés. Les maisons y sont mal bâties. La plupart de celles du bourg ont un étage, mais tout le monde occupe les rez-de-chaussée, sans caves au-dessous et mal percés. Celles des hameaux plus petites, plus basses et moins aérées que celles du bourg, n'ont que les rez-de-chaussée, elles sont adhérentes aux étables, avec lesquelles elles ont ordinairement communication, pour veiller plus commodément au bétail. On y respire son haleine et les vapeurs de sa fange, on garde les fumiers aux portes et dans les rues, qui en sont recouvertes pour faciliter le développement de leurs sels. Il y a au centre de chaque village ou dans le carrefour continu le plus voisin, des fosses pratiquées pour y faire rouir les lins que l'on cultive. Ce végétal produit d'abord dans cette eau croupissante un mouvement de fermentation dont l'odeur aigre est très sensible. Ce cloaque acquiert successivement le dernier degré de corruption, et répand au loin une odeur infecte et des émanations sceptiques très nuisibles à la santé des habitants, sous ce rapport la récolte abondante de lin est un fléau pour le pays qui n'a pas d'eaux vives ou courantes. J'ai cru observer que les épidémies, qui sont communes dans cette paroisse, se déclarent particulièrement dans les années de récolte abondante.
Au mois de juillet mi! sept cents soixante-treize, à mon arrivée en ce lieu, il régnait une fièvre putride-maligne épidémique très meurtrière. La description que j'en ai donnée, est insérée dans le Journal de médecine cahier d'octobre 1777. Le premier village, où je fus conduit pour y voir de quinze à vingt malades, était infecté d'une odeur si putride, qu'elle me frappa d'un demi quart de lieue. J'en fus presque tenté d'en attribuer la cause aux grand nombre des malades et je faillis rebrousser chemin, mais mon zèle surmonta ma répugnance et je ne fus plus surpris qu'il y régnât une épidémie, en voyant les cloaques de rouissage. Je donnerai dans son temps ce que j'ai observé à ce sujet.
Les plantes potagères y sont d'assez bonne qualité, mais peu abondantes, parce qu'on ne se donne pas la peine de les cultiver. Les jardins y sont mal tenus parce qu'en hiver la terre est boueuse et qu'en été elle se coagule tellement, elle devient si compacte qu'elle est fort difficile à bêcher et ne reçoit pas l'eau, qu'on lui donne avec l'arrosoir. Les grains, qu'on y cultive, sont le seigle dans la partie du nord, le froment dans les autres parties. Le seigle n'est pas souvent ergoté, mais le froment est très sujet à la carie, que l'on attribue à l'influence de certains vents et états du ciel lors des semailles. On y cultive aussi les millets, avoines, sarrasin baillarge et peu d'orge. Mr Foissy cultivateur consommé, par son mémoire en réponse aux questions sur l'agriculture du pays, que la compagnie m'avait fait passer, vient de communiquer à Mr l'abbé Tessier les manières de les cultiver.
Le pain des gens à l'aise est tiré du froment, mais en général on se nourrit de pain mal fait du mélange de tous les grains ci-dessus ; de viande, de laitage, de beure, de poissons secs, sardines et harengs, de fruits et de légumes les plus communs, comme choux et navets.
En général les eaux n'y sont pas bonnes, aussi la boisson habituelle est le vin du pays dur et grossier ; les habitants y sont très adonnés. Ils sont faibles, lâches, indolents, ivrognes. Leur caractère est grossier, leur tempérament pituiteux. La misère est presque générale.
L'occupation de la plus grande partie est de fabriquer du coutil dont on fait un assez grand débit dans cette paroisse. Le paysan, même employé au labourage, s'occupe à ce genre de travail, quand ses récoltes et ses semailles sont finies. Rien j'imagine ne contribue plus à se rendre indolent. Il est mai vêtu ; l'ouvrage de ses mains sert à l'habiller ; cependant le plus aisé est vêtu d'étoffes de laine. Il est malpropre sur lui, et dans son domestique. Son lit est de paille surmonté d'un mauvais lit de plumes et d'une couverture de retailles. Le plus riche se recouvre encore d'un autre lit de plumes. Avec ses haillons de toile il est exposé aux vicissitudes des saisons et aux variations de l'état de l'atmosphère, aussi les fièvres intermittentes y sont endémiques. Cette paroisse est d'ailleurs connue, comme je l'ai dit, pour le théâtre des épidémies, qui sont toujours du genre des putrides et rarement compliquées de l'état phlogistique. J'y ai vu régner épidémiquement fièvres putride-maligne, rémittente et intermittente bilieuse, lente-nerveuse, dysenterie, maux de gorge gangreneux, petite-vérole maligne, péripneumonie catarrhale, et choléra morbus.
L'été et l'automne de l'année dernière les fièvres continues rémittentes et les intermittentes bilieuses y ont été épidémiques. La dégénérescence de la bile y a produit des symptômes qui avaient beaucoup d'analogie avec ceux du choléra. Cette maladie très alarmante dans son début par la prostration des forces, les syncopes, les évacuations excessives de bile érugineuse, l'orgasme et l'engorgement du foie et de la rate, et l'ictère, qui suivait de près les premiers accès de fièvre, malgré déjà, tous les symptômes cette maladie n'a point été meurtrière. Personne que je sache, n'en a été la victime. Elle apparue cette année-là, mais plus-tard et n'a pas duré ai longtemps. La phtisie pulmonaire est rare et les progrès n'en sont pas rapides. Les affections scorbutiques y sont communes et particulièrement chez les riverains du ruisseau de l’Ognon. Parmi les personnes du sexe celles qui ne sont pas employées aux travaux de la campagne sont réglées à douze à quatorze ans, celles qui y sont occupées ne le sont que de quatorze à dix-huit. Elles cessent de l'être de quarante-cinq à cinquante ; mais les premières en sont quittes plutôt.
Les espèces d'insectes les plus communs sont les mouches, les taons et les chenilles ; ces derniers dévorent les haies et les arbres au printemps, en retardent la végétation et privent les bestiaux d'en brouter les feuilles. Les premiers en été les vexent par leur piqûre, et leur importunité les empêche d'engraisser.
On y élève beaucoup de bœufs et de vaches, peu de moutons et presque pas de chevaux. On emploie les bœufs au labourage, et on les fait travailler huit heures par jour. Les bêtes à laine n'y parquent point, soit parce que les troupeaux n'y sont pas nombreux, soit parce qu'on y craint les loups.
Leurs nourritures sont les choux, les turneps, (ou rébes nom propre du pays). Les coupages, c'est-à-dire le trèfle et les bleds que l'on coupe avant l'époque de la floraison, enfin le foin et la paille.
M. Baudry, docteur-médecin de Reims, Vieillevigne, octobre 1787.
Charles-René Baudry est né le 28 août 1750 à Torfou. Son père, René Baudry, fut fermier (régisseur) du château de l’Échasserie, sur la Bruffière. Devenu chirurgien, il exerça à Vieillevigne et devint docteur en médecine de l’université de Reims. Il a été à partir de 1777 un correspondant local de la Société Royale de Médecine. Dans sa "Topographie médicale de Vieillevigne", il montre une sympathie et une considération limitées pour les habitants du lieu, et par ailleurs ses qualifications médicales ne semblent pas excessives, même pour l'époque. Au moment où débutera la Révolution il était parti s'installer à Machecoul. En mars 1793, il est pour le parti républicain parmi ceux des bourgeois de cette ville comptés comme tués par les révoltés vendéens. Ceci peut-être pour faire nombre, puisqu'il ne mourut que vingt-cinq ans plus tard à Herbignac, le 5 mai 1818.
Cette "Topographie médicale de Vieillevigne" a fait l'objet en 2013 d'un article commenté et contextualisé de Dominique Tétaud dans la revue d'histoire locale "le Marcheton", n°11, p. 3-13.
portrait présumé de Charles René Augustin Baudry
(collection Gordon Turner)
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