les Landes rouges, ultimes vestiges des landes d'autrefois
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Au début du XXIe siècle, les landes ont quasiment disparu de nos contrées, alors qu’on les trouve présentes dans bien des noms de lieux, et dans bien des "récits sur le temps passé". Jusque dans les années 1950, on pouvait pourtant encore rencontrer ici et là dans nos communes de petites parcelles de quelques dizaines d’ares restées en lande et qui ont presque toutes disparu depuis avec les remembrements. Cependant, quelques rares vestiges en subsistent, telles les "Landes rouges"1, sur des terrains plats et humides situées actuellement sur la commune de l’Herbergement, mais qui faisaient partie de celle des Brouzils avant 1966. Une visite de ces "Landes rouges" est une occasion de se pencher sur ce que les "landes" étaient hier, avant leur presque totale disparition.
Les "Landes Rouges" sur la partie nord de la commune des Brouzils en 1838,
avec la localisation des prés, des landes et des bois2 ;
la ligne en tiretés indique la limite de la partie réunie à la commune de l’Hébergement en 1966.
(environ 7350 x 5000 m)
Les landes dans l’activité économique du Bocage à la fin du XVIIIe siècle
La description de l’agriculture du Bocage, faite en 1818 par Jean-Alexandre Cavoleau (1754-1839)3, héritier de l’esprit physiocratique et secrétaire général de la préfecture de la Vendée de 1800 à 1815, montre la place qu’y tenaient les landes à la fin du XVIIIe siècle, tant sur le plan agricole que sur le plan des activités industrielles :
"La dixième partie d’une métairie, et souvent beaucoup moins, est occupée par les prairies ; le reste est divisé en trois portions à peu près égales, dont la première est ensemencée en grains ; la seconde se repose en jachères annuelles ; la troisième en jachères permanentes, que l’on nomme pâtis, où les bestiaux trouvent une pâture plus ou moins abondante. Dans un grand nombre de métairies du centre du Bocage, par exemple dans le canton de Bourbon-Vendée, cette dernière division occupe beaucoup plus du tiers du terrain.
Les deux portions qui ne sont pas en jachères permanentes sont emblavées alternativement, de deux années une, pendant six ou huit années. Après la troisième ou la quatrième récolte, on laisse reposer la terre, en l’abandonnant à elle-même, et elle forme un pâtis qui produit naturellement un peu d’herbe ; mais qui ne fournit un pâturage passible que la troisième ou la quatrième année.
Les terres dont la couche superficielle est un peu profonde, et qui ne sont pas humides, particulièrement les bonnes terres granitiques, produisent naturellement du genêt à balais, que l’on élague peu-à-peu, de manière que les plants soient espacés de plus d’un mètre. Les terres plus argileuses et un peu humides produisent de l’ajonc. Les terres les plus maigres produisent de la bruyère ; cependant cette dernière plante se trouve quelquefois dans de fort bonnes terres. De ces trois arbustes, le genêt est sans contredit le plus utile. Lorsque la terre n’en produit pas naturellement, quelques cultivateurs en plantent sur le sillon, au moment des dernières semailles qui précèdent l’abandon d’un champ aux jachères permanentes.
Le genêt et l’ajonc sont une source féconde d’engrais. L’ombrage du genêt entretient une humidité favorable à la végétation des graminées qui forment l’herbage des pâtis. Le métayer en retire un petit bénéfice, ainsi que de l’ajonc, lorsqu’il peut trouver l’occasion d’en vendre quelques cents de fagots. Ce sont les fours à chaux et à briques et les fours à cuire le pain qui consomment ce qui s’en vend.
Les jachères permanentes ou pâtis subsistent en cet état six, huit ou dix ans, et souvent au-delà. On les défriche alternativement, pour les convertir en terres labourables, à mesure qu’on laisse reposer ces dernières, pour les convertir en pâtis, qui seront défrichés à leur tour, après une révolution de six ou huit années. […]
J’ai dit que des landes incultes occupent une assez grande étendue de la surface du Bocage. Elles ne sont pas tellement infertiles, qu’elles ne soient susceptibles de culture ; elles sont même quelquefois cultivées avec succès : en effet, les cultivateurs les plus intelligents et les plus laborieux en défrichent de temps en temps quelques parties. Les uns défrichent avec la charrue ; mais, comme cette méthode exige un attelage beaucoup plus fort et qu’un seul métayer ne peut communément le fournir, celui qui veut défricher une lande emprunte l’attelage de son voisin, auquel il rend à son tour le même service. [...] La terre défrichée de cette manière est rarement assez bonne, pour qu’elle puisse se passer de fumier la première année qu’elle est emblavée ; les plantes enfouies par la charrue n’ont encore pas eu le temps de se convertir en terreau.
La seconde méthode employée pour défricher est l’écobuage. Cette opération se fait avec une houe dont le fer a 487 millimétrés ou 18 pouces de longueur, et 217 millimétrés ou 8 pouces de largeur à son tranchant. Il est armé d’un manche assez long, pour que l’écobueur puisse travailler sans se courber. Il dirige son instrument de manière à n’enlever que la pelouse de la lande, avec la terre adhérente aux racines, à 54 millimètres ou 2 pouces de profondeur. Lorsqu’il a enlevé un carré de pelouse dont les côtés ont 666 millimètres ou 2 pieds, il le fait sécher en le renversant la racine en l’air. Au mois de juillet, lorsque les pelouses sont bien sèches, il les dispose par douzaine, en forme de fourneau ; il y met le feu et les fait brûler lentement. La cendre est répandue sur le sol, au moment de semer, et forme un excellent engrais.
Les landes écobuées rendent d’abord plus que celles qui sont défrichées à la charrue; mais cet excès de fertilité les conduit bien vite à l’épuisement : aussi a-t-on remarqué que celles qui ont subi cette opération ne peuvent être défrichées une seconde fois, qu’après un très long repos que n’exigent pas celles qui ont été défrichées à la charrue. Cette méthode, qui était autrefois pratiquée exclusivement, perd chaque jour de sa vogue; et il est probable qu’elle sera bientôt abandonnée. Un autre motif la fera proscrire ; c’est la grande dépense qu’entraîne ce mode de défrichement. Lorsqu’on paie l’écobuage à prix d’argent, il coûte 120 francs par hectare. Ceux qui ne veulent rien débourser préfèrent donner à l’écobueur le produit de la première récolte.
Une lande défrichée produit deux récoltes de suite. Si le sol est de bonne qualité, elle en produit deux autres, dans l’espace de quatre ans ; ou une seule, après un repos d’une armée, si la qualité du sol est moins bonne. On l’abandonne ensuite ; et la terre est bientôt recouverte d’ajonc ou de bruyère."
L’évolution des surfaces en landes au début du XIXe siècle
Durant la Révolution, les "Landes rouges", aux limites des Brouzils, de l’Herbergement, de Saint-André-Treize-Voies, de Saint-Georges-de-Montaigu, et de Saint-Sulpice-le-Verdon, étaient situées dans une zone ayant subi les actions de "pacification" des troupes républicaines. C'est dans les "landes de Corprais", à cheval sur Saint-Georges et les Brouzils, que le général Turreau de Lignières établit durant l’hiver 1794 un de ses camps, à partir duquel il mit le pays environnant à feu et à sang. Les dénombrements de populations4 d’avant et d’après la Révolution témoignent de de ses actions...
…ainsi que des destructions systématiques des bâtiments (en 1818, la moitié de ceux du bourg de Saint-Georges sont encore en ruine sur le cadastre établi à cette date5), des outils et matériels agricoles, et de la force de travail animale. L’augmentation de la surface en lande en fut une des conséquences. Si elle est difficile à appréhender les cadastres de l'Herbergement et des Brouzils n'ayant été établis qu'en 1838, l'examen de ceux de 1808 puis de 1843 de Mouilleron-le-Captif, situé à une vingtaine de kilomètres, peut en donner une idée (son premier cadastre, levé dès 1808, ayant été considéré comme insuffisant, fut refait en 1843... ce qui permet d’y voir la surface occupée par les landes à chacune de ces dates6) :
En 1808 la surface en lande s’était accrue par rapport à la fin du XVIIIe siècle en raison de l’abandon forcé de terres, les ravages opérés dans la force de travail, tant humaine qu’animale, par les troupes républicaines n’ayant pas encore pu être résorbés. En 1843, elle était revenue à la situation normale de l’époque.
Aux Brouzils, les landes occupaient 597,49 ha en 1838, soit 11,85 % de la surface non-bâtie7, mais l’évolution de leur surface dans les décennies précédentes n’a pu qu’être comparable à ce qu’elle a été à Mouilleron à ces dates. Les landes se maintinrent au moins jusqu’au milieu du XIXe siècle si l’on en croit Eugène Aillery (1806-1869) qui écrit dans l’introduction de l’ébauche des Chroniques paroissiales du canton du Poiré, voisin de l'Herbergement :
"On remarque dans toute cette contrée et particulièrement dans la commune des Lucs et dans celle de Beaufou, de vastes landes, qui ont été défrichées à une autre époque, puisqu’on aperçoit encore sous la bruyère qui les couvre des traces de sillons, preuve évidente que ce pays a été plus peuplé qu’il ne l’est aujourd’hui, car […] ces landes, à la différence de celles de beaucoup de contrées, sont très productives."8
Ce que sont devenues ces landes au début du XXIe siècle
Par la suite, l’évolution de l’agriculture fit progressivement disparaître les landes, et au milieu du XXe siècle il n’en restait plus de ci de là que quelques parcelles de petites dimensions mais qui gardaient une certaine utilité. Ainsi dans les années 1950 dans les exploitations trop petites pour avoir une surface suffisante en céréales, il arrivait souvent que dès la fin mars la paille pour la litière des bêtes menace de manquer. On allait alors dans une des parcelles encore en lande, et on y coupait ce qui était nécessaire ; un travail particulièrement pénible aux dires de ceux qui l'ont pratiqué.
Alors que le paysage rural avec son découpage et ses haies n’avait que peu changé depuis les débuts du XIXe siècle, il fut profondément transformé en 1969-1972 par le remembrement qui regroupa les terres, et qui fut accompagné par un arrachage systématique des haies9. Exceptionnellement, les "Landes rouges" ont échappé à ce bouleversement et ont conservé le dessin de leurs petites parcelles (en général de moins de 25 ares) ainsi que le souvenir de leurs anciennes occupations soit par des bois soit par des landes10…
Les "Landes rouges" : à gauche en 1950, à droite en 2016 (environ 1150 x 880 m ).
Entre 1838 et 2014, l’évolution des "Landes rouges", près de la Dorinière et de la Gaudinière
des Brouzils puis de l’Herbergement :
- en 1838, sur le cadastre dit napoléonien des Brouzils2,
- en 2014 sur une carte I.G.N. (avec les parcelles cadastrales en superposition).
Avec la localisations des photos ci-après, prises le 4 mars 2019,
dont la photo A prise à cette même date :
genet et ajonc en bordure de parcelle près de la Dorinière,
et des pierres à teinte rouge, d’où pourrait venir le nom de "Landes rouges".
En 1838, le cadastre de la partie nord des Brouzils, dont font partie alors les "Landes rouges", donne la localisation des parcelles en landes et la localisation des parcelles en bois. Ces parcelles, qui avaient donc échappé aux remembrements, se retrouvent encore aujourd’hui (2019) avec, pour celles qui étaient autrefois indiquées en bois, un sol plat et uni, et pour celles qui étaient autrefois indiquées en lande, des traces d’anciens sillons. De plus, dans les années 1950, la mémoire locale avait gardé le souvenir qu’en d’autres temps elles auraient été exploitées en blé... ce qui confirme les constats fait par Eugène Aillery autour de 1860. Aujourd’hui, leur végétation a évolué et est passée de lande en taillis, qui sont désormais exploités en bois de chauffage.
Une partie des "Landes rouges", autrefois sur les Brouzils,
et en 2014, section ZL du cadastre de l’Herbergement (cf. cartes précédentes).
En vert foncé : parcelles en bois en 1838, tandis que les autres parcelles étant alors en lande
(premier cadastre des Brouzils, sections A4 et A7).
Les lettres C, D, E, indiquent la localisation des photos qui suivent.
Le 4 mars 2019 :
- traces de sillons, espacés d'environ 80-90 cm,
dans une ancienne parcelle de lande (ZL 135, photos C et D) ;
- et parcelle (ZL 134) originellement et toujours en bois,
et sans traces d'anciens sillons (photo E).
Au début du XXIe siècle, alors qu'il est rare de rencontrer des vestiges des landes d’autrefois, les "Landes rouges" de l’Herbergement / les Brouzils en sont un des derniers témoins. Leurs caractéristiques confirment, s’il en était besoin, que dans nos contrées ces landes ne sont pas une végétation dite "primaire" (ou originelle), mais une végétation "secondaire" née sur des terres qui étaient auparavant cultivées et qui furent abandonnées par la suite.
Ces landes rappellent aussi le souvenir des assolements pratiqués jusqu’au XIXe siècle dans le Bocage, tels qu’ils ont été décrits par J.-A. Cavoleau3.
Les fluctuations de leur étendue ont pu être liées aux accidents de l’Histoire, en particulier aux ravages perpétrés par les troupes révolutionnaire. Et au tournant des XXe et XXIe siècles, leur quasi disparition va de pair avec l’industrialisation de l’agriculture et avec une expansion démographique qui se sont faites et se font l’une et l’autre aux dépens de l’environnement.
En mars 2019 sur les "Landes rouges" :
une ancienne parcelle autrefois en lande et ayant, depuis 1970,
évolué en taillis (puis en bois), tout en conservant quelques ajoncs.
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1 C’est à Marcel Grelet que l’on doit de connaître "les Landes rouges", près desquelles il a été agriculteur à la Gaudinière de l’Herbergement. Faisant partie de l'Association des écrivains-paysans, il a entre autres romans écrit Les Landes Rouges (2014, ELLA éditions, 350 p.), et L’Impertinente des Landes Rouges (2017, ELLA éditions, 235 p.). Ce dernier roman a reçu le "Prix Nature & terroirs" de l’Alliance Pastorale, au Salon du livre de Montmorillon de cette même année 2017.
2 Extrait du tableau d’assemblage du cadastre de 1838 des Brouzils (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 038/1).
3 Cavoleau (Jean-Alexandre), Description du département de la Vendée, et considérations générales sur la guerre civile de 1793, 1794, et 1795, 1re édition, 1818, p. 165 à 169. Ces pages ont été reprises telles quelles en 1844 par La Fontenelle de Vaudoré (Armand-Désiré) dans Statistique ou description générale de la Vendée, livre VII - Agriculture, chapitre II - "Culture du Bocage : …mode de culture ; défrichement des landes et écobuage", p. 509 à 513.
4 Dénombrements et recensements de la population (Arch. dép. de la Vendée, 1 Mi 39, et Arch. nat. D IVbis 53).
5 Plan cadastral de Saint-Georges-de-Montaigu, section G dite du bourg (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 217).
6 Plans et états de section du cadastre dit "primitif" (1808) et du cadastre dit "napoléonien" (1843) de Mouilleron-le-Captif (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 155, 3 P 1694 et 3 P 1703).
7 Cadastre des Brouzils de 1839, relevés parcelles de même nature de culture (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 424).
8 Cf. l’introduction aux Chroniques paroissiales du doyenné du Poiré, manuscrit rédigé par Eugène Aillery dans les années 1850 et 1860, et repris par Hyppolite Boutin (1851-1901) dans un ouvrage au même titre, publié entre 1900 et 1908.
9 A cette époque, Paul Nungesser, à la tête des services départementaux de l’agriculture, menait une politique voulant "transformer la Vendée en une nouvelle Beauce". Ainsi qu’en ont témoigné des membres de la commission du remembrement des Brouzils, les géomètres du Génie rural étaient "encouragés" par une prime de 10 centimes (de franc) du mètre linéaire de haie arrachée. Ceci les a poussés à en supprimer le plus possible, soit plusieurs centaines de kilomètres sur cette commune. Ils utilisèrent l’argument d’autorité pour imposer leurs décisions, étant sourds aux avis différents des leurs, et présentant comme attardés et incompétents ceux qui en avançaient d’autres. Ce sont ajoutés à cela des soupçons - difficiles à prouver - de rétrocommissions lors des passations de marchés pour ces arrachages, effectuées le plus souvent qu’avec des partenaires réservés.
10 Plan cadastral de 1838 des Brouzils, sections A4 et A7 ; et états de sections correspondants (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 038/18 et 3 P 422) ; et relevés sur le terrain le 4 mars 2019.
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