Bois Corbeau et le style clissonnais
rappel : avant toute utilisation d'extraits ou d'illustrations de ces pages, vous devez en demander l'autorisation à leur auteur.
En 2006, le Conseil général de la Vendée a parrainé la parution de "Vendée , côté jardin - promenade au cœur d'un patrimoine" (432 p.), livre qui sera complété en 2017 par "la Vendée des jardins au fil de l'histoire" (430 p.), édité par le Centre Vendéen de Recherches Historiques (CVRH). L'un et l'autre inventorient certains jardins et certains des aspects des jardins de Vendée, dans leur cadre environnemental et dans leur relation avec les époques qui les ont vu naître.
Dans les années 1800 et jusqu'un peu au-delà de 1850, un style paysager et architectural d'influence italienne a été importé à Clisson par les notables nantais François et Pierre Cacault, et le sculpteur François-Frédéric Lemot. Qualifié de "style clissonnais", il a essaimé dans la région environnante, et on peut ainsi le voir au Mont Gallien de Cugand, à l'Ardrère de Remouillé, au Hallay de Boufféré, et autres lieux. Sur Saint-Hilaire-de-Loulay on peut l'y voir, anecdotiquement à la Lande, bien en danger à la Mussetière, et plus notablement à Bois Corbeau. Cécile Lataste, en 2006 commissaire scientifique à la Conservation des musées de Vendée, a fait sur Bois Corbeau dans le premier de ces livres, une communication dont elle a autorisée la reproduction qui suit.
--------------------
Mises en scène paysagères d'influence italienne en Vendée,
l'exemple de Bois-Corbeau, à Saint-Hilaire-de-Loulay
(Cécile Lataste, in Vendée côté jardin)
"Les peintres de paysages, les amateurs de la belle nature, et tous ceux qui, par état ou par goût, vont chercher en Suisse, et surtout en Italie, sur les rives de l'antique Anio, les heureuses aspirations que fait naître la vue d'un beau site embelli par les noms et les vestiges célèbres, nous sauront sans doute quelque gré, de leur indiquer en France une contrée remarquable sous ce double rapport, et dont on ne connaît point encore les beautés pittoresques, si le hasard n'avait conduit quelques artistes à Clisson, sur les bords enchanteurs de la Sèvre."1
Ces quelques lignes écrites par François-Frédéric Lemot soulignent parfaitement le caractère italien si particulier du paysage clissonnais2. En effet, nourris par la splendeur des paysages et des architectures vernaculaires de la campagne italienne, les artistes ont cherché à recomposer ces contrées idéales, notamment en réutilisant un vocabulaire architectural similaire ou approchant. Les allures italiennes de Clisson et du parc de la Garenne-Lemot en sont le plus étonnant témoignage. Très prégnante à Clisson, cette influence s'est répandue peu à peu dans les environs, donnant véritablement naissance à un style spécifique, dit "à la clissonnaise"3. Le département de la Vendée n'échappe pas à la règle et bon nombre de propriétés élevées au XIXe siècle, principalement en ce qui concerne l'architecture des dépendances, emploient le style clissonnais. Deux domaines de Vendée, Bois-Corbeau à Saint-Hilaire-de-Loulay et Mont-Gallien à Cugand4, illustrent particulièrement bien ce cas de figure, où le paysage composé et l'architecture rustique employée semblent puisés directement dans la campagne italienne.
Domaine de Bois-Corbeau vers 1830,
(dessin au crayon par le baron de Wismes, et huile sur bois - coll. particulière).
Les motifs de l'architecture rustique à l'italienne
L'invention et l'utilisation de l'architecture rustique à l'italienne apparaissent en France dans les années 17905. Quelques exemples isolés, comme le moulin du parc d'Ermenonville en 1770, voire dès 1760, préfigurent l'introduction du motif rustique, même si ce dernier, comme le précise Jean-Marie Pérouse de Montclos6, semble plus d'influence alpine qu'italienne. Inspirée des vues pittoresques d'Italie et des constructions vernaculaires de la campagne romaine, l'architecture rustique à l'italienne se caractérise par la sobriété du décor, l'ordonnance symétrique des volumes (composition tripartite des façades), l'usage ornemental de la brique et de la tuile creuse, ainsi que par l'application systématique du vocabulaire italien : emploi de la travée rythmique, de l'arc en plein cintre et des combles ouverts. En reliant graduellement la demeure à son environnement, les terrasses bordées de balustrades, loggias, belvédères, portiques, pergolas et cours participent à l'union privilégiée entre architecture et paysage. Véritable vision de l'Arcadie antique, les compositions paysagères irrégulières et pittoresques accompagnant cette nouvelle manière architecturale permettaient d'offrir aux promeneurs des tableaux inconnus et imprévus.
Durant les quinze premières années du Consulat et de l'Empire, la manière rustique italienne est usitée pour l'aménagement des dépendances des grandes demeures. Initiant une rupture profonde avec le répertoire architectural de l'Ancien Régime, la manière rustique est l'apanage d'une aristocratie fortunée soucieuse d'affirmer une puissance foncière nouvelle. Citons pour exemple la fabrique du parc du château de Ville-d'Avray (Hauts-de-Seine), la fabrique du parc de la maison Bélanger (Val-de-Marne), le moulin du parc du château de Stains (Seine-Saint-Denis), les dépendances du château de Brunehaut à Morigny-Champigny (Essonne), etc. Respectant la hiérarchie des fonctions, le style rustique italien n'est pas utilisé pour l'architecture du logis et est réservé au seul usage des constructions aménagées en périphérie, telles que communs, dépendances, fermes, moulins. Ces architectures, dites utilitaires, doivent en outre contribuer à la composition du parc et des abords de la demeure. De proportions plus modestes, miniaturisées, elles sont adoptées par les classes moyennes séduites par cette nouvelle manière.
De nombreuses réalisations en Pays de la Loire attestent de l'engouement pour l'emploi du modèle rustique à l'italienne. Clisson, en Loire-Atlantique, est à ce titre le centre d'une convergence exceptionnelle, unissant en un même lieu la vision rêvée, voire idéalisée, de la campagne italienne (paysage et architecture) et le vocabulaire intrinsèque des grands jardins paysagers et pittoresques du XVIIIe siècle (fabriques). Deux exemples, Bois-Corbeau et Mont-Gallien, nous permettrons d'illustrer succinctement le rayonnement du modèle clissonnais en Vendée.
Bois Corbeau à Saint-Hilaire-de-Loulay
Au nord de la Roche-sur-Yon, entre les bourgs de Montaigu et de Saint-Hilaire-de-Loulay, le château de Bois-Corbeau fut édifié au cours du XIXe siècle. Sur les traces d'aménagements plus anciens7, le vicomte de Cornulier, capitaine au long cours ayant un intérêt particulier pour les végétaux, acquerra autour de sa nouvelle demeure de nombreuses terres. Comparée au logis existant, une huile sur bois de la première moitié du XIXe siècle permet d'avoir une idée assez précise de la construction. Flanqué de deux petits pavillons en rez-de-chaussée surmontés de toits-terrasses à l'italienne, le château se développe sur cinq travées et sur deux niveaux d'élévation couronnés d'un toit en double pente ponctué de cinq lucarnes et de hautes cheminées. Seul un chaînage à bossage, de part et d'autre de la travée d'axe, sert à animer cette façade très sobrement décorée. L'ordonnancement de la façade sur jardin est similaire à celui de la façade principale. Par la suite, au milieu du XIXe siècle, la propriété connaît de profonds remaniements sous l'influence de la petite-fille de Victor de Cornulier, Marie-Léonie de Cornulier. Épouse du comte Félix de Villebois-Mareuil, elle est l'initiatrice de nouveaux aménagements. Un parc, comprenant une orangerie, deux serres et un ensemble important de bâtiments agricoles, est alors aménagé et le château est, par la même occasion, agrandi. Les deux pavillons latéraux préexistants sont rehaussés d'un niveau supplémentaire et coiffés de toitures à double pente. Monumentalisé, le logis s'étend désormais sur onze travées auxquelles est annexée une chapelle familiale, de forme ogivale, dédiée à Notre-Dame du Sacré-Cœur.
Orangerie de Bois-Corbeau à Saint-Hilaire-de-Loulay.
Vers les années 1910, les abords immédiats de la propriété sont modifiés : l'accès principal est supprimé au profit d'une nouvelle allée, plus majestueuse, plantée d'un double alignement de platanes sur une distance d'environ 250 mètres et magnifiée par une grille en ferronnerie somptueusement ouvragée. Dès lors, la vue est orientée directement sur le château et non plus sur les dépendances, siège de l'ancienne entrée. Un plan du parc du château, daté de 1911, montre ces nouveaux aménagements ainsi que la mise en place d'un jardin régulier agrémenté de bois. En revanche, l'ensemble des dépendances est réalisé lors de constructions initiées précédemment. Deux tapis verts servent d'écrin au logis8 ; côté cour, en forme de cœur et, côté jardin, en forme de triangle inversé ponctué sur les bordures d'ifs taillés en topiaire. Quatre ifs taillés en tablettes circulaires renforcent la rigueur de la façade sur jardin. Le pourtour du château est ceinturé par une douve. Côté jardin, un haha, signalé par une balustrade en pierre ornée d'Amours, ouvre sur le paysage voisin et sur un enclos destiné aux chevaux ; il marque la distinction entre la nature domestiquée et la nature sauvage, entre le jardin d'agrément et le paysage agricole. Au-delà des douves, une prairie et des bois enrichissent l'ensemble.
La maison du jardinier de Bois-Corbeau.
Situées au nord du château, les dépendances s'inspirent du modèle "clissonnais" : volume général massif, toiture largement saillante sans génoise (maison du jardinier de la Garenne-Lemot), groupement de baies jumelées en plein cintre, succession de travées identiques (par exemple une porte en plein cintre surmontée d'un oculus). Une première cour carrée, bordée sur trois côtés par des corps de bâtiments, permet d'accéder à une seconde cour, agencée autour d'une pièce d'eau carrée maçonnée (ou pédiluve) où l'on retrouve un pressoir, une cave, la basse-cour, le four à pain. De la première cour, on débouche sur un second ensemble de bâtiments à vocation agricole, sorte d'arrière-cour, ensemble composé notamment d'une grange à foin disposant de grandes ouvertures géminées arrondies et qui permet l'entrée dans le vaste potager. Du potager, le regard embrasse une vue privilégiée sur les bâtiments de l'exploitation agricole, qui, associée au paysage environnant, offre au promeneur la vision d'un paysage rustique italien9. À l'image de la Garenne-Lemot, la maison du jardinier de Bois-Corbeau n'est pas sans rappeler celle qu'avait imaginée Lemot à partir de 1808. D'une composition régulière encore largement appréciable, le potager, entièrement clos de murs, est orné en fond de parcelle, au nord, d'une serre de belle proportion et d'une orangerie de facture clissonnaise. De plan massé, la façade est percée de cinq ouvertures cintrées à l'appareillage de brique, comprenant quatre fenêtres et une porte-fenêtre centrale, et décorée de trois gracieux oculi. Entrecoupée par une allée perpendiculaire, l'allée principale du potager permet d'accéder à l'est à un verger.
La grange de Bois-Corbeau, début du XIXe siècle.
Les communs du château de la Mussetière dans la commune de Saint-Hilaire-de-Loulay, édifié entre 1825 et 1840, rappellent l'exemple présenté ci-dessus. Ruiné par un incendie survenu en 1793 ( ! ), le château fut reconstruit au cours des ans IV et V par Louis-Augustin de Goyon (1755-1834). Ancien conseiller au parlement de Rennes (1783), puis maire de Saint-Hilaire-de-Loulay, il épousa en 1786 Françoise Moreau, fille du seigneur de la Mussetière. À la suite de son décès en 1834, sa fille Adèle (1787 -1842) hérita avec son époux de la propriété, tandis que sa sœur cadette, Zoë de Goyon, épouse de Guillaume de Rorthays, reçut le château du Hallay, dans la commune de Boufféré, que son père avait acquis en 1820 auprès de Charles-Augustin de Chabot, alors propriétaire du Parc-Soubise. Élevée vraisemblablement vers les années 1820, la demeure actuelle de style néoclassique est entourée de dépendances aux lignes rustiques. Partiellement modifiées en 1851 et à la fin du XIXe siècle, des constructions nouvelles sont adjointes aux bâtiments utilitaires initiaux. D'un vocabulaire italien similaire, l'harmonie générale des dépendances est conservée, tout en témoignant de la permanence du motif.
Vue sur les dépendances depuis le potager, début du XIXe siècle
De nombreux jardins en Vendée, créés au XIXe siècle, témoignent de l'influence de l'architecture rustique à l'italienne. Particularité des grandes propriétés, cette manière s'est diffusée peu à peu à des aménagements plus modestes et se retrouve un peu partout en Vendée, de Montaigu à Saint-Vincent-sur-Graon. Les exemples de Bois-Corbeau et du Mont-Gallien illustrent, nous l'avons parfaitement vu, la diffusion de ce modèle. Plusieurs sites, comme la Gibretière au Poiré-sur-Vie ou le Pouët à Saint-Mars-la-Réorthe, s'intègrent tout à fait dans cette mouvance. La ferme ornée de la Gaudinière à Saint-Vincent-sur-Graon est à cet égard très intéressante, même si d'une certaine façon l'emploi du style clissonnais apparaît comme une habitude architecturale sans rapport particulier avec le projet italien des frères Cacault et de Lemot.
Cécile Lataste, in Vendée côté jardin, 2006, pp. 123 à 129
--------------------
1 François-Frédéric Lemot, Notice historique sur la ville et le château de Clisson, Paris, imprimerie Hocquet, 1812, p. 5.
2 Dès 1809, Lemot inscrit son projet dans une perspective plus large, notamment en investissant le paysage clissonnais avoisinant. Il recommande pour la reconstruction de l'hôpital par Mathurin Peccot, en 1811-1812, l'utilisation de la tuile creuse en couverture et sera à l'initiative de la construction de la Garenne-Valentin.
3 Jean-Marie Pérouse de Montclos (sous la dir. de), Clisson ou Retour d'Italie, Paris, Imprimerie nationale, 1990, coll. "Cahiers de l'Inventaire", n° 21, p. 155. Comme le signale Anne Duflos, la principale innovation du style clissonnais consiste à utiliser, comme motif décoratif, la brique pour l'appareillage des baies (le plus souvent en plein cintre et parfois jumelées par deux ou trois), des bandeaux et des corniches.
4 Je tiens ici à adresser des remerciements particuliers à Mme Fraisse, M. et Mme Boulanger pour m'avoir ouvert si chaleureusement leurs propriétés.
5 Jean-Marie Pérouse de Montclos (sous la dir. de), op. cit., p. 33.
6 Ibid., p. 55.
7 Le cadastre de 1818 montre un aménagement plus ancien, à l'ouest du château actuel, correspondant très certainement à un "carré en île", agencement des XVIe et XVIIe siècles. L'histoire de la propriété nous apprend que les premières traces concernant le domaine de Bois-Corbeau sont connues dès 1457 avec Jean de Vendôme. Peu de temps avant la Révolution, Joseph Badereau fait aménager, en remplacement d'un ancien logis, un petit château. Restée inachevée, la demeure, apparentée davantage à un pavillon de chasse, est vendue comme bien national puis achetée en 1798 par François Gillaizeau pour un montant de 220 100 livres.
8 Le baron Walwein-Taylor, grand-père de l'actuel propriétaire, serait à l'origine de ces aménagements.
9 L'idée du paysage rustique italien est issue des réflexions menées par les artistes sur le paysage. La peinture, imitation de la nature, doit mener de la contemplation à la réflexion. À cet égard, les ruines ou la fabrique sont un vecteur privilégié à cet effet. Et en ce sens, la fabrique est avant tout un signe et non un ornement. Peu à peu l'idée de fabrique, initialement représentée par des constructions prestigieuses (temple...), se restreint à des constructions rurales. Le choix de l'Italie, notamment à travers Rome, fait écho à un passé mythique glorieux et idéal, véritable âge d'or célébré par les poètes. Dès lors, le paysage classique permet de démontrer la beauté parfaite de ce que nous donne à voir la nature. L'ensemble évolue dans un environnement codifié. Ainsi, le vocabulaire pictural choisi offre une vision idéalisée et symbolique du paysage : la montagne, la mer transparente, les arbres et le fleuve se jetant dans une cascade... En outre, ponctué de personnages, le paysage devient le lieu d'une méditation sur l'homme. Progressivement, le motif italien s'est transposé de la peinture au paysage, d'une influence classique puis rustique.
Vue générale du château de Bois-Corbeau,
avec en bas le haha et sa balustrade, à droite ses dépendances,
en haut sa grille et le début de son allée.
--------------------
retour à
Saint-Hilaire-de-Loulay
◄ page précédente : le Blaison, un ruisseau et une frontière millénaire Haut ▲ page suivante : la Mussetière, son château et ses dépendances ►