Jeanne de Belleville, veuve justicière et héroïne de romans
rappel : avant toute utilisation d'extraits ou d'illustrations de ces pages, vous devez en demander l'autorisation à leur auteur.
Le samedi 9 juillet 2022 fut dévoilée la fresque décorant un des murs de la mairie de Belleville et rappelant la mémoire de Jeanne de Belleville. Cela eut lieu au milieu d’une nombreuse assistance, des élus de la commune, de l’artiste réalisatrice de l’œuvre, et de l’historienne Astrid Belleville, auteure d’une étude historique1, qui est la seule à ce jour à être rigoureusement sourcée et référencée sur celle qui est une de ses ancêtres en ligne directe.
Le 9 juillet 2022, le dévoilement de la fresque en honneur de Jeanne de Belleville,
avec Blandine Le Pallec, auteure de la fresque,
Astrid de Belleville, historienne biographe de sa célèbre ancêtre,
et Régis Plisson, alors maire de la commune de Bellevigny.
--------------------
Le souvenir de Jeanne de Belleville au début du XXIe siècle
Les documents historiques permettant de connaître Jeanne de Belleville sont rares. Ils sont constitués essentiellement par les chroniques de son époque. Par contre, sa vie si exceptionnellement aventureuse a beaucoup attiré érudits et écrivains. Ceux-ci se sont le plus souvent laissé séduire et emporter par leur héroïne et les biographies qu’ils ont laissées d’elle ont presque toujours versé dans le roman, voire dans la légende. Les dates y sont souvent sujettes à caution, les généalogies y sont d’une fiabilité incertaine, et surtout, leur vision de l’histoire montrant la France d’alors comme devant nécessairement devenir la France d’aujourd’hui. Une vision étroitement calquée sur l’histoire française officielle, et qui présente ce qui fut avant tout des conflits dynastiques accompagnés d’allégeances féodales, comme étant une opposition entre deux nations. Et, ainsi que le montrent les sources de l’époque, les qualifications de "traîtres" ou de "héros" découlant de cette interprétation sont à classer dans les anachronismes.
Ces défauts se retrouvent aussi dans les ouvrages à prétentions historiques tels que l’Histoire d'Olivier de Clisson, connétable de France d’Armand-Désiré La Fontenelle de Vaudoré en 1825, ou dans le Jeanne de Belleville, écrit en vers par Emile Péhant, en 1868, et à plus forte raison dans les romans et ouvrages plus récents, comme ceux de Denise Paget (La Tigresse Bretonne, 2001), d’Élie Durel (Jeanne de Belleville, corsaire par amour, 2010), ou encore de Laure Buisson (Pour ce qu’il me plaist - Jeanne de Belleville, la première femme pirate, 2017)…
Curieusement, le "Jeanne de Belleville" d’Emile Péhant a eu une abondante postérité outre-Atlantique où ses éditions, rééditions et adaptations ne se comptent plus.
Parmi bien d’autres, quelques-uns des romans ou récits historiques récents en 2022 racontant
la vie de Jeanne de Belleville, qui fut aussi "dame de Montaigu" et d'autres lieux,
et quelques-unes des multiples éditions nord-américaines, en anglais,
du livre qu’Emile Péhant lui a consacré en 1868.
--------------------
Les ancêtres et les enfances de Jeanne de Belleville
De 1337 à 1359 Belleville, dont l’importance était limitée, eut pour seigneur Jeanne de Belleville (v.1399-1359), tout au moins théoriquement, car à l’exception des premières années de sa vie, cette "dame de Belleville" ne dut que rarement y séjourner. Cependant, de tous les titulaires de cette seigneurie, c’est elle dont le nom a laissé le plus de traces dans l’histoire, et dont la vie mouvementée a été la plus souvent reprise dans la littérature.
Jeanne de Belleville était descendante à la 5e génération d’Agnès Guarat "dame de Belleville"2 et de Brient II de Commequiers, lui-même fils de Maurice II de Montaigu. En 1241, le petit-fils de ceux-ci hérita des possessions de la sœur de Brient, Marguerite de Montaigu, décédée sans enfants. Deux générations plus tard, à la fin du XIIIe siècle, Maurice V "de Montaigu" (et III "de Belleville") eut d’un premier mariage un fils, Maurice, qui lui succèdera mais qui n’eut pas d’héritiers. D’un second mariage avec Létice de Parthenay, il eut une fille, Jeanne, qu’il dota de la seigneurie de Belleville dont le nom fut ajouté au sien, et qui en 1337 à la mort de son demi-frère, héritera entre autres possessions de l’importante seigneurie de Montaigu. C’est elle qui est connue dans l’Histoire sous le nom de "Jeanne de Belleville, dame de Montaigu".
Elle était née autour de 1300, et fut d’abord mariée vers 1313 avec Geoffroy VIII de Châteaubriant. Devenue veuve vers 1328, elle se remaria, probablement en 1330, avec Olivier IV de Clisson (v.1300-1343) qui était lui-même devenu veuf l’année précédente. De cette union, seuls leur survivront Olivier V de Clisson (1336-1407) et Jeanne de Clisson (1340-av.1372).
Généalogie simplifiée des seigneurs de Montaigu et de Belleville,
ascendants et descendants de Jeanne de Belleville, "dame de Montaigu" ;
avec le blason des Montaigu / Belleville (gironné de gueules et de vair de douze pièces),
et celui des Clisson (de gueules au lion couronné d’or).
--------------------
Jeanne de Belleville et Olivier IV de Clisson dans la guerre de Succession de Bretagne
Belleville n’a pas eu une place importante dans les vies de Jeanne de Belleville et d’Olivier IV de Clisson qui s’inscrivent principalement dans la guerre de Succession de Bretagne, opposant de 1341 à 1364 les partisans de Jean de Montfort à ceux de Charles de Blois. Et leurs vies ne sont inscrites que secondairement dans les débuts de la guerre de Cent Ans (1337-1453).
En 1341, la mort du duc Jean III de Bretagne entraîna une guerre de succession. Le choix était entre Charles de Blois († 1364), époux de Jeanne de Penthièvre, nièce germaine du duc défunt, et Jean de Montfort († 1345), demi-frère consanguin du même duc (cf. schéma ci-dessous). Devait-on adopter une succession uniquement par les hommes, règle exhumée opportunément pour eux-mêmes en 1314 par les rois de la France voisine, où bien reconnaître un droit de succession par les femmes ? Olivier IV de Clisson soutint Charles de Blois (soutenu aussi par le roi de France Philippe VI de Valois) tandis qu’Amaury de Clisson, son frère cadet, prit celui de Jean de Montfort (soutenu par le duc de Guyenne et roi d’Angleterre, Edouard III qui était en guerre depuis 1337 avec Philippe VI de Valois, pour des motifs autres mais eux aussi dynastiques).
Les descendants d’Arthur II et la succession de Jean III de Bretagne :
les droits respectifs des maisons de Penthièvre et de Montfort.
Fin 1342, Olivier IV de Clisson fut fait prisonnier par les montfortistes devant Vannes, emmené en Angleterre, mais il obtint bientôt sa libération contre celle du comte de Stanfort. Poussé par des conseillers qui y avaient des intérêts, Philippe VI trouva que cet échange avait été trop facile, et estima qu’Olivier IV de Clisson avait pu changer de camp. Mettant à profit la trêve de Malestroit (janvier 1343) et prétextant d’un tournoi, il l’invita à venir à Paris où, traitreusement, il le fit arrêter. L’ayant fait décapiter sans jugement le 2 août 1343 avec plusieurs autres seigneurs bretons, il fit envoyer sa tête à Nantes pour qu’elle fût plantée sur une lance à une des portes de la ville. Une exécution rapportée et condamnée par le chroniqueur Jean Froissart (qui était bourguignon), et rapportée aussi (cf. ci-dessous) dans les "Grandes Chroniques de France" (une émanation du roi de France) mais là pour la justifier3.
"[…] Assez tost après, fu amené du Temple, là où il tenait prison en Chastellet, la teste toute nue et sans chaperon, et puis fu sentence donnée contre luy, et fu mis hors du Chastellet ; et d’ilecques, si comme l’en dit, fu trainé tout vif jusques en Champiaux [halles de Paris], et depuis fu monté ou monta en un grant et haut eschafaut, là où il povait estre veu de tous, et là ot la teste copée. Duquel le corps fu trainé jusques au gibet [de Montfaucon] et puis fu pendu par les esselles, au plus haut lieu du gibet, et son chef, du commandement du roy, en espoentement des autres, si fu porté en la cité de Nantes à laquelle il avait fait moult de maux et s’estait efforcié de la traïr, si comme l’en disait. Sa femme qui estait appellée dame de Belleville, tant comme coupable des devant dites traïsons, fu semoncée en parlement, laquelle n’osa comparoir ; pour ce, fu elle condampnée par jugement et bannie."
Miniature attribuée à Loyset Liédet, enlumineur flamand (v.1420-v.1483)
dans "les Chroniques du sire Jehan Froissart"
(BnF, département des manuscrits, ms français 2643, f°275),
avec écrit en rouge :
Comment le roy de France fist décapiter le sire de Cliçon
et plusieurs aultres chevaliers de Bretaigne et de Normandie.
--------------------
Jeanne de Belleville, veuve justicière
Jeanne de Belleville jura de venger son mari, alors que Philippe VI faisait saisir tous leurs biens. Des chevaliers bretons la soutinrent lorsqu’elle prit les armes contre lui, sur terre et sur mer. Elle commença par s’emparer du château de Touffou, proche de Clisson, et, suivant les mêmes méthodes qu’utilisait le roi, y fit massacrer la garnison. Puis se ralliant effectivement aux partisans de Jean de Montfort, elle attaqua les châteaux des ceux de Charles de Blois toujours soutenu par son oncle Philippe VI. Bannie, poursuivie sur terre, elle se procura plusieurs bateaux et continua le combat sur mer, présentée par les uns comme "une pirate sanguinaire" et étant pour les autres "une courageuse veuve justicière".
Suite à un arraisonnement par des vaisseaux du roi de France, ou suite à un naufrage, elle et ses deux fils se retrouvèrent pendant cinq jours dans une barque en perdition. Guillaume, le plus jeune, y mourut d’épuisement. Ayant fini par s’échouer près de Morlaix, elle fut secourue par des montfortistes. Elle fut transportée à Hennebont, place forte défendue par la comtesse de Montfort, Jean de Montfort ayant été capturé (toujours traitreusement) et emprisonné par le roi de France en décembre 1341. Puis elle se réfugia en Angleterre où elle fut accueillie par Edouard III. C’est là que ses enfants Olivier, Jeanne et Isabelle reçurent leur éducation. Vers 1349, elle se remariera avec Gautier (Walter) de Bentley († 1359), un chevalier anglais qui s’illustrera, aux côtés des monfortistes et du futur duc Jean IV de Bretagne, dans de nombreux combats où son rôle sera souvent déterminant, comme à Mauron le 14 août 1352.
--------------------
Les enfants de Jeanne de Belleville retrouvent sa seigneurie de Belleville
Ce ne sera qu’après la mort de Jeanne de Belleville en 1359 que ses enfants retrouveront les possessions qui leur avaient été confisqués au temps du bannissement de leurs père et mère.
Depuis 1337, pour des contestations de succession au trône de France, Philippes VI de Valois était en guerre contre Edouard III à la fois roi d’Angleterre, et duc d’Aquitaine en tant que descendant des Plantagenets,. Ce sera grâce aux défaites des Valois à Crécy en 1346 et à Poitiers, en 1356, puis surtout d’une part au traité de Brétigny (1360) qui s’en suivit, et d’autre part à la défaite et à la mort de Charles de Blois à Auray en 1364, que cette restitution put avoir lieu.
A sa mort en 1359, Jeanne de Belleville laissait un fils, Olivier († 1407), qui sera connu en tant que "connétable Olivier de Clisson" après qu’il se fut rallié aux Valois.
Elle laissait aussi une fille, Jeanne de Clisson († av.1372). Suite à un partage familial, cette dernière reçut, entre autres possessions, les seigneuries de Belleville et de Montaigu. Vers 1361, elle épousa Jean Harpedanne, noble anglais originaire du nord de Londres. Celui-ci restera sa vie durant un des plus fidèles et actifs soutiens d’Edouard III puis de Richard II, tant sur les champs de batailles que comme sénéchal ou gouverneur dans leurs possessions du Poitou, de Saintonge et de Guyenne. C’est par leurs descendants que s’est perpétué le nom des "Belleville".
------------------
1 Belleville (Astrid de), Jeanne de Belleville, la Véritable Histoire, 2022, 208 p.
2 Pour les sources généalogiques sur les seigneurs de Belleville de Montaigu, voir : Beauchet-Filleau (Henri), Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, t. 1, 1891, p. 426-428. Les incertitudes ou erreurs qu’il contient ont été précisées ou rectifiées par Gustave Mignen dans Chartes de Fondations pour l'Aumônerie-Hôpital de Montaigu (Bas-Poitou), 1904, p. 6 à 14, corrections reprises par Georges Laronze dans Montaigu, Ville d'histoire (IVe-XXe s.), 1958, p. 15. Voir aussi la "Notice sur Commequiers et ses seigneurs", par Georges Loquet dans la Revue du Bas Poitou, 1904, p. 337-348 ; 1905, p. 143-149 et p. 348-361 ; 1906, p. 152-157.
En dépit ou en raison de la multiplicité de ces sources généalogiques, la fiabilité de celles-ci reste limitée pour ce qui concerne le XIIIe siècle.
3 Les relations des événements concernant la vie de Jeanne de Belleville et d’Olivier IV de Clisson se trouvent principalement dans : les Grandes Chroniques de France, t.5, de Jean (II) le Bon à Charles (V) le Sage (1350/1380) ; Chronique latine de Guillaume de Nangis et ses continuations, t.2 (1317/1368) ; Chronique des quatre premiers Valois (1327/1393) ; Lescot (Richard), Chronicon (1328/1364) ; Orgemont (Pierre d’), Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, t.1 (1350/1364) ; Chronique normande du XIVe siècle ; Chronique du Mont-Saint-Michel, t.1 (1343/1432) ; Froissart (Jean), Chroniques : t.2 (1341/1350), t.3 (1350/1359).
Les ouvrages historiques des XIXe et XXe siècles évoquant la mort d’Olivier IV de Clisson, tout en reconnaissant que l’accusation était sans preuve, que les faits qu’on lui reprochait étaient loin d’être établis, et que son exécution fut illégale, présentent cependant Olivier IV de Clisson comme ayant été intimement un traitre avéré (...à la France) et qu’en conséquence il a connu un sort qu’il méritait. Ceci à l’exception de la majorité des ouvrages d’auteurs bretons, particulièrement ceux de ces deux derniers siècles, pour qui Olivier IV de Clisson étant breton ne pouvait être accusé d’avoir trahi un pays qui alors n’était pas le sien, pour qui il fut déclaré coupable parce qu’il fallait qu’il soit coupable, et pour qui ce qui traitreusement lui advint, fut de la plus grande des injustices.
.
avant toute utilisation d'extraits ou d'illustrations de ces pages, vous devez en demander l'autorisation à leur auteur
--------------------
retour à Belleville
◄ page précédente : la généalogie millénaire des "Belleville" Haut ▲ page suivante : le "Bréviaire de Belleville" ►