la Croix Bouet
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"La croix Bouet" que l’on trouve parfois écrit "la croix Boué", est le nom que l’on donne à l’endroit où l’ancien chemin, aujourd’hui route, allant du bourg du Poiré aux villages du "Cerny" de "la Remaudière" et de "la Gobinière", croise celui allant de Belleville à Palluau. "La croix Bouet" est située à une altitude de 72 m, ce qui la fait dominer le paysage environnant, et sa situation de croisement de deux routes lui fit recevoir après la Première Guerre mondiale une borne d’angle Michelin qui, assez dégradée, est la seule subsistant sur la commune1.
Loin de tout, le carrefour de "la Croix Bouet" en 2016
et la croix de granit qui s’y trouvait avant 1898.
(dessin d’Alfred Tallonneau dans l’Ange gardien du 29 août 1926)
On a souvent épilogué sur l’origine du nom de "croix Bouet" qui pourrait venir de "croix de bois", ou d’une croix qui aurait été érigée par un certain "Bouet", ou simplement de "croisement". Au XVIIIe siècle on trouve dans des actes notariés des références dans ces parages à un "tennement Bouet", et le plan cadastral de 1836 montre qu’une croix se dressait à cette date à ce carrefour. Selon la Chronique paroissiale du Poiré, la croix en granit, se trouvant depuis 1898 le long du chemin menant de "la Rételière" au "Plessis", et qui porte l’inscription "Jean Tenailleau, 1875", était auparavant à "la croix Bouet"2.
Mais la particularité la plus importante de "la croix Bouet" est une mauvaise réputation pouvant être due à son paysage désolé et à son éloignement de tout lieu habité : tout au long de ses 14 km, le chemin de Belleville à Palluau qui y passe, ne traversait aucun village, en dehors de côtoyer "la Maumernière" et "la Maldemé". Ainsi y évoquait-on, là ou à proximité3, l’existence de feux follets, d’histoires étranges, de fréquentations inquiétantes… ce qui lui valait d’être appelée localement "la croisée des sorciers", même si aucun nom de l’un d’entre eux (ou d’entre elles) ne nous est parvenu.
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Les "histoires étranges" que l’on rencontre et raconte sur "la croix Bouet" et ses alentours, parlent de sorts jetés, de diables, de loups garous… Il est difficile de les rapporter, pour ne pas mettre en difficulté celles ou ceux qui les ont vécues, ou leurs proches.
On se contentera de rappeler l’histoire bien connue de "la chasse Gallery", racontant ce qui advint à un seigneur que sa passion pour la chasse avait conduit jusqu’à mépriser et outrager Dieu, ce qui entraîna sa malédiction :
"Dans les temps reculés, les seigneurs occupaient la morte saison à leur loisir favori : la chasse. Cette année-là et comme à l’accoutumée, ils se retrouvèrent aux aurores, avec leurs équipages, leurs chevaux et leurs chiens, dans une clairière pour le début de la saison de chasse. Cela devait commencer par une cérémonie offrant à Dieu ce qui était leur distraction préférée, se poursuivre par toute une journée de chasse, et se terminer par un grand repas les réunissant tous autour du gibier de la journée. Parmi ces chasseurs se trouvait Gallery, seigneur connu pour sa passion dévorante pour ce qui aurait dû être avant tout un passe-temps.
La "messe des chasseurs" commençait à peine dans la fraicheur matinale, que les frondaisons voisines se trouvèrent agitées par ce qui était manifestement la présence de gibier. Ce fut pour Gallery une puissante cause de perturbation. Tandis que la cérémonie se poursuivait, l’agitation devenait de plus en plus importante, faisant aboyer les chiens qui tiraient frénétiquement sur leurs laisses, et excitant Gallery qui, dit-on, aurait été jusqu’à envoyer un de ses jeunes valets demander au prêtre d’accélérer. Ce fut vainement, ce qui eut le don d’énerver Gallery au plus haut point. Et quand un quart d’heure plus tard, au moment le plus sacré de la cérémonie, un chevreuil (certains disent un cerf) traversa la clairière, Gallery n’en tenant plus sauta sur son cheval, détacha ses chiens, bouscula ceux qui voulaient le raisonner et, proférant les plus abominables injures et blasphèmes envers la cérémonie et ses participants, se précipita à la poursuite de la bête sans un regard en arrière.
A la fin de la journée, les seigneurs et leurs équipages se retrouvèrent dans la clairière pour le repas suivant traditionnellement cette fin de première journée de chasse. Alors que des pièces de gibier rôtissaient sur des feux improvisés, les participants, encore tout indignés par le scandale du matin, s’interrogeaient sur l’absence de Gallery qui ne les avait toujours pas rejoints. Dans les conversations qui allaient bon train, aucun ne disait l’avoir vu, même si certains, à tel ou tel moment de la journée, pensaient avoir entendu sa meute au loin. C’est alors que surgissant tout à coup du bois environnant, les chiens de Gallery déboulèrent dans la clairière, suivis par leur maître, dressé sur ses étriers, les yeux exorbités, halluciné, vociférant comme un forcené. En un instant, poursuivant à grand fracas on ne sait quel gibier, ils avaient traversé la clairière et disparu à son extrémité.
Ainsi se termina la vie terrestre du seigneur Gallery, car plus jamais on ne le revit. C’est tout au moins ce que les gens dits raisonnables prétendirent par la suite. Sauf que nombreux sont ceux qui, jusqu’à une période récente, ont témoigné avoir entendu (mais rarement vu), par des nuits agitées d’hiver, Gallery, son cheval, sa chasse et ses chiens, passer dans un bruit épouvantable, venant du plus profond lointain pour disparaître progressivement dans la nuit.
Sa passion devenue exclusive pour la chasse, son mépris pour tout ce qui n’en faisait pas par-tie, les injures, les blasphèmes et les sacrilèges qu’elle l’avait amené à proférer et à commettre, n’avaient pu rester impunis. Son fantôme et celui de sa chasse montraient qu’il avait été maudit : puni par où il avait péché, il avait été justement condamné jusqu’à la fin des temps à une chasse interminable."
Voilà ce qu’est l’histoire devenue légende de "la chasse Gallery", telle qu’elle était autrefois connue sur le Poiré et aux alentours. A une époque où les nuits étaient encore ténébreuses, certains ont même dit avoir cru la rencontrer à "la Braconnerie", à "l’Idonnière"4…
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1 En 2019, une autre borne d’angle Michelin, en meilleure état, peut se voir à l’extrémité de cette route, à "la Charnière" de Beaufou.
2 Boutin (Hippolyte), Chronique paroissiale du Poiré-sur-Vie, 1907, p. 19 et 24.
3 Ainsi, pour des feux follets à 500 m de "la croix Bouet", au "quéré Pilet", quand celui-ci était encore marécageux, et sans parler de la possible "dame blanche" de "la Vergne" de Beaufou.
4 Selon des témoignages rapportés en leurs temps par Emile Locteau et par Louis Moreau.
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