la Carpe frite
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Un pont sur "la Vie"
"La Carpe frite", village constitué d’une seule petite maison et de ses dépendances, existe depuis 1900-1905. Elle est située à proximité immédiate du pont édifié sur "la Vie" quand fut construite, probablement dans les années 1840, la nouvelle route allant du Poiré à Palluau. Ce pont a été souvent appelée "pont de la Braconnerie" en raison de la proximité de ce village, ce qui entraîne parfois une confusion avec le petit pont de l’ancienne route, situé à 90 mètres en amont et portant déjà ce nom..
La maison de "la Carpe frite" en 2019,
et vers 1950 sur une vue aérienne (environ 950 x 715 m),
avec le tracé de l’ancienne voie ferrée fermée quelque dix ans plus tôt.
La route passant devant "la Carpe frite" fut aussi utilisée à partir de 1901 et jusqu’en 1939, par le train à voie étroite joignant la Roche-sur-Yon à Legé et passant par le Poiré1.
Dans la nuit du 26 au 27 octobre 1909, des pluies diluviennes entraînèrent une crue mémorable2 qui emporta les deux arches du pont, laissant la voie ferrée suspendue au-dessus du vide. Il en est resté de nombreuses photos, ainsi que de la reconstruction du pont dans les mois suivants, qui se fit en s’appuyant sur la base de l’ancienne pile centrale et en agrandissant de part et d’autre le passage pour l’eau. Au début du XXIe siècle, on a, à tout hasard, limité son tonnage au cas où sa robustesse laisserait à désirer.
Le pont de "la Carpe frite" (dit ici "de la Braconnerie")
et son chemin de fer à voie étroite,
après les inondations de la fin octobre 1909.
(photos du Centre d'Archives d'Architecture du XXe siècle)
"La Carpe frite" elle-même était une petite borderie n’ayant que quelques vaches. Elle fut habitée par Louis Gauvrit (1873-1950)3 qui, comme son père Jean, était tisserand, fabriquant avant tout des draps. De retour de la guerre de 1914-1918, il cessa cette activité pour n’être plus qu’agriculteur, tout en mettant à profit sa localisation pour pratiquer à l’occasion celle de cafetier.
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Des guérisseurs qui guérissaient
Louis Gauvrit avait aussi une réputation bien établie de guérisseur, utilisant des plantes qu’il allait ramasser de ci de là ou qu’il faisait pousser dans son jardin. Il fréquentait aussi régulièrement une librairie de Nantes spécialisée en herboristerie. De nombreux témoignages rapportent qu’il intervenait avec succès contre les morsures de vipères, était réputé pour guérir les maux de dents, et on connaît nommément certains qui, grâce à lui, surmontèrent leur addiction à l’alcool…
Cependant, il refusait de soigner certaines personnes sur lesquelles, disait-il, ses dons et savoir-faire étaient inopérants. Il mourut à "la Guilletière" en 1950, ayant depuis quinze ans quitté sa maison de "la Carpe frite", et laissant de nombreux livres sur les vertus des plantes.
Le 28 août 2019, le petit jardin de la maison de Louis Gauvrit
(où il cultivait certaines des plantes servant à soigner)
le long de "la Vie", à "la Carpe frite" ;
et, vu de ce jardin, le pont traversant la rivière à sec à cette date-là.
En ces temps-là, les habitants du Poiré ne se limitaient pas en cas d’ennuis de santé, aux seuls avis des professionnels de la médecine officielle, ainsi que semble le montrer la présence chez des artisans du bourg au milieu du XIXe siècle, du livre ci-dessous..
Réédition de 1839 du livre de Philippe Hecquet (1661-1737),
"docteur-régent de la Faculté de Médecine de Paris" (hauteur : 16,5 cm).
C’était aussi une époque où un médecin com-me Georges Clemenceau refusait par idéologie politique d’accorder quelque crédit que ce soit aux avancées apportées par un Louis Pasteur, et où pendant longtemps, les médecins en général préconisaient couramment l’usage des cataplasmes, de la diète, des ventouses, ou des sangsues que l’on a pu se procurer jusque dans les années 1950 chez le pharmacien du Poiré… Cela peut expliquer que la "médecine traditionnelle" des "guérisseurs" ait présenté aux yeux de beaucoup, une alternative d’une efficacité et d’une crédibili-té certaines. Dans les années 1920, dans le village du "Chemin" Bénoni Favrou (né en 1854 et meunier au "moulin Ragoiller") faisait pousser de nombreuses plantes médicinales dans ses jardins, en faisant bénéficier les gens. Ses successeurs dans le village en héritèrent… mais sans le savoir qui permettait de les utiliser4. Il y en eut d’autres par la suite, et l’un d’entre eux exerça ses dons avec une notoriété certaine à "la Touche", jusque dans les années 1980.
Extrait de la revue "la France médicale" du 13 avril 1886,
qui reprenait un article du journal fontenaisien
"l'Avenir et l'Indicateur de la Vendée" du 2 avril 1886.
Cependant, s’appuyant sur la loi du 19 ventôse an XI qui leur réservait officiellement l’exercice légal de la médecine5, les médecins d’alors s’efforçaient de lutter contre ces "guérisseurs" qui, leur faisant concurrence professionnellement, contestaient leur statut de notables locaux. Au début de l’année 1886, cela a même donné lieu, à un procès contre une "guérisseuse" vivant depuis peu à "la Maumernière" et qui fut vite qualifiée de "sorcière" par la presse6.
Dans sa livraison d’avril 1886, "la France médicale" rapporta cet événement sous le titre "Une sorcière en Vendée". A l’époque, le souci d’attirer les lecteurs l’emportant sur celui de vérifier l’information, le journaliste de cette revue se limita à recopier un article de "l'Avenir et l'Indicateur de la Vendée", journal fontenaisien7 qui, avait résumé précédemment à sa façon les quelque 220 pages des minutes du procès ayant condamné l’accusée.
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Notes, sources et références
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Pour plus de détails sur l’histoire de cette ligne ferroviaire, voir les pages sur "le quartier de la Gare" (du Poiré), celles sur "la Mélanière" ainsi que celles sur "la Courolière", où se trouvaient respectivement la gare du bourg du Poiré, celle dite "de Mouilleron" et la gare dite "de Beaufou".
2 Les inondations catastrophiques d’octobre 1909 ont été relatées dans les journaux de l’époque, telle l’Etoile de la Vendée du 31 octobre 1909, et par Samuel Guiet dans l’Annuaire de la Société d'émulation de la Vendée de 1941, p. 19-24, un article au contenu approximatif, depuis son intitulé jusqu’à son texte qui attribue des noms fantaisistes aux cours d’eau et aux lieux des événements qu’il décrit.
3 En octobre 1909 l’épouse du tisserand Louis Gauvrit fut si fortement traumatisée par cette crue, qu’elle en fit une crise cardiaque dont elle ne se remit que partiellement et qui a pu être à l’origine de sa mort prématurée à 44 ans, en 1922.
Deux de leurs cinq fils, Fernand (1906-v.1998) et Pierre (1904-1979), devinrent Frères de Saint-Gabriel, sous les noms de Frère Victor et de Frère Gabriel-Marie ; ce dernier sera élu en 1953, et de nouveau six ans en 1959, à l’importante fonction de Supérieur général de la congrégation, lui donnant la charge de celle-ci au niveau mondial.
Les renseignements sur Louis Gauvrit, ses dons, ses savoirs et savoir-faire de guérisseur, et sur sa famille, proviennent d’entretiens en 2019 avec son petit-fils Pierre-Marie Gauvrit de "la Guilletière".
4 Selon les témoignages en 2019, de descendants d’Armand Bernard, qui acheta au début des années 1930 la petite ferme de Bénoni Favrou, au "Chemin".
5 La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) visait à unifier la profession médicale dont les membres étaient d’origines, de formations et de compétences variées et inégales (cf. Bulletin de l’Académie nationale de Médecine, 2003, 187, n° 3, p. 577-589, séance du 18 mars 2003). Cette loi les réunit en une seule profession, celle "d’officier de santé". Elle avait été préparée par le chimiste Antoine-François de Fourcroy (1755-1809), connu pour avoir été aussi sollicité à la toute fin 1793 par L.-M. Turreau pour lui fournir "un gaz capable de tuer en une seule fois quelques centaines de Vendéens enfermés dans un lieu clos, comme une église". S’étant penché sur la question, ayant fait des tests sur des moutons, mais n’ayant pas obtenu les résultats demandés, il en fut réduit à lui répondre avec regret qu’un tel gaz n’existait pas, ou tout au moins pas encore (cf. Yves Pouliquen, Félix Vicq d’Azyr : les Lumières et la Révolution, 2009, p. 184).
6 Sur le procès de celle appelée "la sorcière de Saligny" dans les journaux, voir les pages sur "la Maumernière". Elle fut condamnée "pour exercice illégal de la médecine", mais pas pour une inefficacité de ses soins, aucun de ceux ayant été appelés à témoigner ne s’en étant plaint. Elle put continuer ses pratiques en tant que "maréchal-expert", c’est-à-dire guérisseuses d’animaux, une profession reconnue vu le faible nombre de vétérinaires à l’époque (cf. le recensement de la population du Poiré de 1891).
7 Le ton de l’article de ce journal de Fontenay est aussi un reflet de l’état d’esprit d’alors des notables de cette ville, qui se considéraient comme habitant "la capitale intellectuelle de la Vendée". Ce qui leur donnait une forte condescendance, sinon plus, vis-à-vis de ceux habitant dans le reste du département, une condescendance que l’on constate déjà au XVIIIe siècle chez la bourgeoisie fontenaisienne, et qui a perduré jusqu’au milieu du XXe siècle.
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