Pierre Gauthier (v.1696-1756)
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Pierre Gauthier est né au Poiré-sous-la-Roche (aujourd’hui le Poiré-sur-Vie) et il est mort le 9 avril 1756 à Deschambault, au Canada.
1720 : Pierre Gauthier part au Canada comme farinier
L’acte de décès de Pierre Gauthier le dit alors "âgé autour de soixante ans", ce qui le ferait naître autour de 1696. Il était le fils Charles Gauthier et de Catherine Arnaud1.
L’acte de décès de Pierre Gauthier, mort le 9 avril 1756,
et enterré le lendemain dans le cimetière du Cap Lauzon,
paroisse de Saint-Joseph, seigneurie d’Eschambeau au Canada.
On connaît d’abord Pierre Gauthier par un "contrat d’engagement" rédigé devant notaire à la Rochelle le 9 avril 1720, par lequel il s’engageait à aller exercer son métier de "farinier" au Canada pour une durée de trois ans. Il avait été recruté par Charles Fleury, au nom de son frère Joseph Fleury d’Eschambault2, qui recherchait un meunier pour sa "seigneurie" située le long du Saint-Laurent, à 65 km au sud-ouest de Québec et à 215 km au nord-est de Montréal, et portant son nom.
Le contrat d’engagement du 9 avril 17202 de Pierre Gauthier dont la transcription suit…
"Par devant les notaires royaux à la Rochelle ont été présents en leurs personnes Pierre Gaultier, farinier, natif du Poiré-sur-la-Roche en Poitou âgé de vingt ans ou environ, et Honoré Teisson, aussi farinier, natif de Beaulieu-sur-la-Roche, âgé de trente ans, lesquels se sont volontairement engagés par les présentes à La Gorgendière Fleury, écuyer, demeurant en Canada, acceptant par Charles Deschambault Fleury, son frère, escuyer, demeurant en cette ville, pour aller servir au dit lieu de Canada de leur profession de fariniers pendant trois années consécutives, qui commenceront au moment qu’ils mettront pied à terre au dit pays et seront en état de servir.
Durant lequel temps seront nourris et logés, entretenus de sabots, le petit coup d’eau-de-vie chaque matin, et défrayés de leur passage, en allant même pour le retour au cas qu’ils veuillent après les dits trois ans expirés s’en retourner en France et non autrement. Au moyen de quoi promettent de s’embarquer au premier mandement du sieur Fleury, sur le vaisseau qu’il leur indiquera.
Ces présentes faites entre les parties moyennant cent livres pour chacun et pour chaque année, payables aux dits engagés au dit pays par le dit sieur La Gorgendière Fleury par demie année ainsi qu’elle en feront usage xxxx d’icelle cinquante livres le tout argent de France. Et en outre leur sera fourni de tous outils convenables sans diminution des dites présentes, sur et en déduction de la première année. Lors ont reconnu avoir reçu chacun cinquante livres du dit sieur Fleury pour leur avoir des commodités afin de se mettre en état d’exécuter ce que dessus pour l’exécution des présentes.
Xxxx xxxx leur domicile en cette ville et maison de nous notaires, pour y recevoir tous actes xxxx l’intention des partis qui xxxx xxxx à peine de tous dépens et dommages obligent respectivement les dits biens le dit sieur Fleury, ceux du dit sieur La Gorgentière Fleury. Jugé et confirmé et fait à la Rochelle, étude de nous notaires, avant midi le neuvième avril mil sept cent vingt. Ont les engagés déclaré ne savoir signer de ce requis…
signatures : Guillemot, Desbarres, Fleury."
C’est ainsi que Pierre Gauthier partit à Deschambault au Canada. Quant aux Gauthier qui ont vécu au Poiré à la même époque, on y trouve surtout des prénommés Charles, Jean, Mathurin ou Pierre Gauthier, mais rien ne permet d’établir un lien de parenté entre ceux-ci et lui. Ce patronyme "Gauthier" n’y est pas très fréquent, cependant en 1797 la famille d’un Charles Gauthier (né vers 1727), "laboureur" y vivait à "la Piltière", et celle d’un autre Charles Gauthier (né en 1762), "farinier" à "la Blélière", En 1836 on y trouve la famille d’un Pierre Gauthier (né vers 1796), "laboureur", et celle d’un Jean Gautier (né en 1801), "meunier", toutes deux habitant à "la Millière", ainsi que celle d’un Charles Gautier, "meunier" à "la Blélière"3. Des villages qui sont relativement proches les uns des autres, et ceci en des temps où prénoms et professions se transmettaient souvent de père en fils.
Le long du Saint-Laurent, un moulin à vent tel que celui
dont Pierre Gauthier eut la charge durant trois ans puis plus à Deschambault.
Par ailleurs, l’état civil de la Nouvelle-France d’alors permet de voir que Pierre Gautier avait eu deux prédécesseurs à être venus du Poiré au Canada : Joseph Barbeau (v.1663-1741), fils d'Etienne et de Marie Martinelle, qui se maria en 1690 à Lachenaye, à 20 km au nord de Montréal ; et André Renaud, dit aussi Arnaud-Desmoulins (v.1666-1736), fils de Gabriel et de Françoise Badrelle, qui se maria, lui, en 1710 à Saint-Joachim (à 50 km au nord-est de Québec)4.
Pierre Gauthier, un pionnier de Deschambault
Le moulin de Deschambault dont Pierre Gauthier eut la charge pendant au moins trois ans, avait été édifié un peu avant 1688. Il se trouvait le long du Saint-Laurent qui a dans les 2500 mètres de large en cet endroit. En 1720, on dénombrait sur les "seigneuries" de Deschambault et de la Chevrotière,
"[…] 2 moulins à blé, 2 moulins à scie, 98 familles, 519 arpents de terres mises en valeur, 40 arpents de prairies, 2300 boisseaux de blé français (froment), 40 de blé d’inde (maïs), 368 de pois, 376 d’avoine, 540 boisseaux de lin, pas de chanvre, 32 chevaux, 206 bêtes à cornes, 89 moutons, 107 cochons, 42 armes à feu, 2 épées"5.
Lorsque le temps de leur contrat était arrivé à son terme, on estime que les deux tiers des "engagés" retournaient en France. Ce ne fut pas le cas de Pierre Gauthier qui resta à Deschambault, s’étant marié le 21 octobre 1723 avec Marguerite Arcand, de la Chevrotière, une "seigneurie" située immédiatement en amont de celle de Deschambault. Comme cela se faisait alors systématiquement au Canada, ce fut l’objet d’un contrat de mariage qui fut signé devant le notaire Jean-Etienne Dubreuil, à Québec.
Le mois précédent et toujours devant notaire, Pierre Gauthier, "farinier", s’était fait concéder, par Joseph Fleury de la Gorgendière, détenteur de la "seigneurie" de Deschambault,
"[…] une terre et concession sise en la seigneurie de Deschambault de la consistance de trois arpents de front sur trente arpents de profondeur joignant d’un côté au nord-est à la terre et habitation de Pierre Abel et au suroit à celle de Naud, d’un bout le fleuve Saint-Laurent".
L’arpent équivalant à 58,5 mètres, cette concession mesurait 175,5 mètres de large sur 1755 mètres, de long et avait donc une contenance de 90 arpents, soit environ 31 hectares.
Sur une vue aérienne de septembre 2023 (environ 16 x 11 km) :
la localisation de la "seigneurie" de Deschambault sur la rive gauche du Saint-Laurent,
avec celle de la terre concédée à Pierre Gauthier.
Pour le pouvoir royal français, le but du système des "fiefs" et "seigneuries" institué au Canada était de s’établir dans le pays à moindres frais. Ce système était fait de droits et d’obligations. Le "seigneur" à qui était concédée une "seigneurie" devait non seulement la faire défricher par des "censitaires", comme Pierre Gauthier, et la mettre en valeur, mais aussi l'administrer, y faisant assurer la justice, y réalisant certains équipements (voirie, bâtiments d’intérêt collectif), y levant les impôts… En contrepartie, il en recevait la propriété avec les revenus que cela impliquait. Cependant, depuis la fin du XVIIe siècle, le pouvoir, royal s’efforçait de revenir sur ces abandons de droits par l'État.
C’est dans ce cadre que durant les années 1730 Pierre Gauthier participa avec les autres habitants de la "seigneurie" à la construction de l’église, de son presbytère, de "la maison des habitants" communs aux "seigneuries" de Deschambault et de la Chevrotière, et à la réalisation localement du "chemin du Roy", première route carrossable du Canada qui, large de 7,5 mètres (24 pieds) et longue de près de 300 kilomètres, joignait Québec à Montréal et qui traversait ses terres.
Sa famille s’agrandissant, il augmenta celles-ci qui étaient situées sur le "1er rang" bordant le Saint-Laurent, en prenant avec son fils Pierre, la concession et le défrichement de terres situées sur le "2d rang", et même de terres situées sur le "3e rang", parallèlement au fleuve6. Les registres paroissiaux et les registres judiciaires ou notariés ont conservé certains des événements ayant émaillé sa vie.
Pierre Gauthier mourut le vendredi 9 avril 1756, à Deschambault. L’inventaire qui fut dressé de ses biens donne une idée de ce qu’étaient les conditions de vie d’un "pionnier" canadien au milieu du XVIIIe siècle. Outre ses terres, le fruit des récoltes en foins, grains et fourrages de l’année précédente et le mobilier domestique, cet inventaire consigne qu’il possédait alors 2 chevaux, 15 bovins d’âges variés dont 5 bœufs et 5 vaches, 5 brebis, 8 cochons d’âges divers et 15 volailles. S’ajoutaient : 1 "calèche", 2 charrettes, 1 charrue… et qu’il n’avait pas de dettes.
La plaque posée en 2013 au Cap Lauzon, de Deschambault1,
par l’Association des Gauthier d’Amérique,
en hommage à Pierre Gautier, dont ses membres descendaient.
Avec son épouse Marguerite Arcand (1706-1790) ils avaient eu onze enfants, six filles et cinq garçons. Cinq moururent jeunes ou sans enfants, les six autres en eurent 48 en tout :
- Marguerite (1724-1804), 7 enfants ;
- Françoise (1725-1759), 1 enfant ;
- Pierre (1727-1809), 11 enfants ;
- Catherine (1729-1748) ;
- Judith (1731-1821), 9 enfants ;
- Simon (1733-1809), 11 enfants ;
- Joseph-Marie (1765-1782), 9 enfants ;
- Elisabeth (1737-1740) ;
- Jean-Baptiste (1740-1757) ;
- René (1742-1742) ;
- Louise (1741-1813).
Le souvenir de Pierre Gauthier au XXIe siècle
Les descendants de Pierre Gauthier ont essaimé des bords du Saint-Laurent et de l’actuelle province du Québec, vers l’ouest canadien et vers les Etats-Unis voisins. En 1992, certains d’entre eux se sont réunis à Matane, en Gaspésie, et ont fondé l'Association des Gauthier d'Amérique, dans le but de se rencontrer, de rappeler le souvenir de leur ancêtre commun et celui de ses descendants, d’en écrire leur(s) histoire(s) que ce soit en Amérique ou que ce soit sur les terres lointaines de leur commune origine familiale.
Au début du XXIe siècle au Poiré, aucun souvenir ne subsistait de Pierre Gauthier… encore que, au soir de sa vie, Charles Gautier (1922-2017) y voulait se souvenir qu’il se disait dans sa famille qu’un de ses lointains ancêtres, qui était meunier, était parti du Poiré pour aller s’établir au Canada au XVIIIe siècle7. Cette (sa) mémoire locale était cependant des plus incertaines mais, jointe aux nombreux départs outre-Atlantique depuis les années 1980, et aux souhaits de Canadiens voulant retrouver des racines ancestrales, elle a aidé à créer des contacts entre le Poiré et le Canada. Et c’est ainsi qu’à 300 ans de distance, Pierre Gauthier a été en quelque sorte à l’origine en 2013 d’un CD-DVD enregistré sur l’orgue classé monument historique de "l’église Saint-Pierre" du Poiré, par Hélène Dugal, la titulaire de 1975 à 2021 de l’orgue de la cathédrale de Montréal.
Maurice MIGNET, le 30 nov. 2024
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Notes, sources et références
1 Le contenu de cette courte biographie de Pierre Gauthier est principalement basé sur les actes d’état civil et notariés le concernant, ainsi que sur l’ouvrage de Nicole Cardinal : Pierre Gauthier, pionnier de Deschambault, 2024, 108 p. (dont une bibliographie).
2 "Contrat d’engagement de Pierre Gaultier, passé le 9 avril 1720 devant René-François Desbarres, notaire, rue de la Juiverie à la Rochelle" (Arch. dép. de la Charente-Maritime : Les engagés - XVIIe et XVIIIe siècles, 3E 574 fol. 128). Charles et Joseph Fleury étaient des fils et héritiers de Jacques-Alexis Deschambault (1642-1715) propriétaire au Canada de la "seigneurie" d’Eschambault (ou de "Deschambault"), qui avait été fondée deux générations plus tôt, en 1640, par François de Chavigny de Berchereau (1615-1692), originaire de Champagne et grand-père de son épouse.
3 Dénombrement de l'An V, et recensement de 1836 du Poiré (Arch. dép. de la Vendée : L 288, 6 M 280).
4 Les noms de "Martinelle" et de "Badrelle" y continuent la coutume de féminiser les patronymes pratiquée autrefois dans l’actuelle Vendée, ici pour les noms de "Martineau" et de "Badreau".
5 Recensement général de la colonie du Canada année 1720, envoyé par le gouverneur général M. de Vaudreuil et l’intendant Michel Bégon, avec la mention "Porter le tout à Mgr le Régent [Philippe d’Orléans], délivré le 25 mars 1721". A cette date, la Nouvelle-France comptait 29 951 habitants, 90 moulins à blé, 30 moulins à scie, 4183 familles, 62 145 arpents de terres mises en valeur, 5603 chevaux, 23 388 bêtes à cornes, 13 823 moutons, 16 250 cochons, 5263 armes à feu, 923 épées.
6 Les "rangs canadiens" sont un classique des paysages agraires. A une époque où les cours d’eau étaient le moyen de circulation le plus pratique, c’est à partir de ceux-ci que les lots de terre étaient concédés, étant d'étroites largeurs et s’étendant sur une profondeur identique de 30 à 40 arpents (1755 à 2340 mètres). Les habitations étaient édifiées sur "le front" de cette bande de terre, ici sur la rive du Saint-Laurent. Quand tout ce "1er rang" avait été concédé, on concédait en arrière un "2e rang", puis un "3e rang"… créant un paysage encore partiellement présent au début du XXIe siècle.
7 Entretien en 2016 avec Charles Gautier (1922-2017) du Poiré, fils de Charles Gautier (1897-1958), petit-fils de… etc. Selon lui, cela conduisait jusqu’à un ancêtre lui aussi nommé Charles Gautier, "farinier" à "la Blélière" en 1766. Le Charles Gautier vivant au début du XXIe siècle, se disait être un plus que probable arrière-[…]-petit-neveu du Pierre Gauthier qui partit au Canada trois siècles plus tôt. Ceci d’autant plus que le prénom de Pierre, comme ceux de Charles et de Jean, était un des prénoms traditionnels de la famille. Une conviction que les recherches généalogiques n’ont pas pu confirmer pour l’instant.
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