1786 - "Topographie médicale" de Richard de la Vergne
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• 1742 : François-Frédéric Belloüard de Jémonville et la 1re histoire de Montaigu
• XVIIIe siècle, Montaigu centre régional
- 1755-1757 : Montaigu et le grand chemin royal de Nantes à la Rochelle
- au XVIIIe siècle, les poste aux chevaux et poste aux lettres à Montaigu
- 1770 : le seigneur de Montaigu, Jacques-Gabriel Leclerc de Juigné, y développe les foires
- 1775-1783 : l’amiral Du Chaffault et les montacutains dans la guerre d’Indépendance américaine
• 1777-1789 : Auguste Beufvier fonde une 1re société de secours mutuels
• 1783-1786 : Montaigu sur la carte de Cassini…
• 1786 : "Topographie médicale de Montaigu en Poitou" par Richard de la Vergne
• 1789 (avril) : le futur "libertador" Francisco de Miranda à Montaigu
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- 1786 : la "Topographie médicale de la ville de Montaigu en Poitou"
par Louis Richard de la Vergne -
Dans sa livraison de juin 1787, p. 1094, le Journal des sçavants, dont la mission était de rapporter "tout ce qui est susceptible d'intéresser les gens de lettres ou les sçavans, autrement dit toutes les personnes cultivées", signalait le "Mémoire" de Louis Richard de la Vergne, sur la ville de Montaigu, ajoutant qu’il était de ceux qui avaient été gratifiés des éloges de la Société Royale de Médecine. Ce mémoire s’inscrivait dans le projet que cette société avait "d’après les ordres du Roi, de dresser un Tableau topographique et médical de toute la France", le terme "topographie médicale" étant à prendre dans le sens de "environnement médical".
Première page manuscrite de la
"Topographie médicale de la ville de Montaigu en Poitou"
de Louis Richard de la Vergne.
Louis Richard de la Vergne, né à Montaigu en 1763 et mort à Boussay en 1844, faisait partie d’une famille présente à Boussay depuis au moins les débuts du XVIIe siècle, son trisaïeul René Richard y étant né en 1630. Ses père, Louis (1726-1795), et grand-père, René (1698-1779), furent médecins à Montaigu au XVIIIe siècle. Le premier, qui fut aussi trésorier général des Marches communes, sera élu en 1789 représentant du "Pays des Marches communes franches du Poitou et de Bretagne" pour le Tiers état, mais il refusa son élection sous prétexte de mauvaise santé ; il fut remplacé par Charles-Joseph Auvynet (sénéchal et subdélégué de Montaigu, et père d’Augustin-Moïse, futur secrétaire de Charette puis maire de Montaigu de 1801 à 1811).
En 1783, Louis Richard de la Vergne ("fils-aîné"), après des études de médecine à l’université d’Angers puis à celle de Montpellier1, devint lui aussi médecin et s’installa à Montaigu auprès de son père. Son frère cadet, Charles (1766-1829), suivit un cursus identique avec trois ans d’écart2.
Chassés de chez eux le 16 septembre 1793 quand les révolutionnaires prirent la ville, ils étaient dans les rangs des Vendéens qui le 19 remportèrent sur Kléber la victoire de Torfou. Le 22, Montaigu fut libéré par Charette, mais fut définitivement repris par Kléber le 30. Ils ne purent par la suite y revenir, et comme d’autres montacutains ils se réfugièrent à Nantes. Ils réussirent à se fondre dans la population et réussirent à échapper aux suspicions pourtant fondées d’avoir été du camp des insurgés.
Après la Révolution, Louis ("Richard fils-aîné") acquit l’Échasserie de la Bruffière en 1806. Le plus jeune de ses fils, François (1819-1908) deviendra archevêque de Paris en 1886, et fut nommé cardinal en 1889. La Bruffière a donné son nom à une de ses rues.
Le 16 août 1798, son frère Charles ("Richard jeune"), futur député monarchiste de la Loire-Inférieure (1815-1823), sera à l’origine de ce qui deviendra la "Société académique de Nantes", connue par sa revue les Annales de Nantes et du Pays nantais. En 1998, le numéro "Spécial bicentenaire" de celles-ci lui a consacré un article biographique d’où il ressort que, comme son frère, il resta sa vie durant du côté de ceux qui s’étaient soulevés en mars 17933. En 1808, il fut avec Guillaume Laennec (oncle de René Laennec) l’un des six professeurs de la nouvelle "Ecole de médecine" de Nantes, qui avait succédé à l’université de médecine supprimée par la Révolution. Il y était chargé de la chaire de physiologie et de pathologie interne, et il en sera le directeur de 1820 à 1829, année de sa mort. En 1820, il avait acquis la propriété du Cléray, à Vallet.
Le texte qui suit est celui du manuscrit original (Arch. dép. de la Vendée, Fonds Mignen : 36 J 60/2) avec une orthographe actualisée et l’ajout de quelques notes de bas de page. Les accidents climatiques évoqués dans la partie "Des vents et des météores" montrent que ce Mémoire fut écrit au cours de l’année 1786.
M. Richard de la Vergne, fils ainé,
docteur en médecine de l’université de Montpellier
Situation générale
Montaigu est une petite ville du bas Poitou située dans le diocèse de Luçon, sur la grande route de Nantes à la Rochelle et à Bordeaux, à une lieue et demie de la frontière de la Bretagne, sept lieues sud-sud-est de Nantes, deux lieues et demi sud-ouest de Clisson et douze lieues de la mer. Il est au 46e degré 67 minutes de latitude septentrionale et au 18e degré 62 minutes de longitude4.
Détermination de la longitude, en 1786, par rapport au méridien de l’île de Fer
(Nouveau traité de navigation contenant la théorie et la pratique du pilotage,
1753, planche VII, p. 160).
Elle contient trois paroisses, un chapitre, un couvent de religieuses de l’ordre de Fontevrault, un hôpital et deux écoles fondées l’une pour les garçons et l’autre pour les filles. L’état civil consiste dans une sénéchaussée seigneuriale assez étendue (Montaigu étant le chef-lieu d’un marquisat dont dépendent plus de trente paroisses et dépendant directement du Comté de Poitiers), une juridiction des traites, une lieutenance de maréchaussée, une subdélégation de l’Intendance. Cette petite ville était, il y a trois siècles, plus considérée qu’elle n’est aujourd’hui, mais ayant été prise plusieurs fois et brûlée pendant les guerres du calvinisme et de la ligue, elle fut presqu’entièrement détruite et ne put se rétablir depuis dans son ancien état. On trouve souvent des restes d’édifice en fouillant la terre dans l’enceinte de la ville, on y trouva même, il y a quelques années, un assez grand nombre de pièces de France et d’Angleterre du 14e siècle. Montaigu contient aujourd’hui avec ses faubourgs environ 300 maisons et 1500 habitants. Le seul commerce qui s’y fasse est celui du blé et des bestiaux qu’on y amène des campagnes voisines. Il y a des marchés de blés trois fois par semaine, des foires de bestiaux assez considérables tous les mois et en outre des marchés tous les samedis.
Situation particulière de la ville
La ville est située sur une colline à la réunion d’un ruisseau et d’une petite rivière appelée la Maine. Un ancien château démantelé, bâti sur des rochers escarpés et séparé de la ville par un large fossé sec, occupe la pointe de l’angle. Dans l’enceinte du château est une plateforme plantée de grands marronniers qui forme une promenade très agréable, qu’embellit la perspective riante que présentent le cours de la rivière et la campagne. L’une des pentes de la colline sur laquelle la ville est située et exposée au midi et séparée d’un autre coteau moins élevé par un vallon étroit dans lequel coule de l’est à l’ouest le ruisseau dont j’ai parlé. L’autre pente, plus escarpée et hérissée de rochers à l’ouest et à l’ouest sud-ouest et baigné par la rivière qui après avoir fait un contour au sud-ouest de la ville, vient passer au pied du coteau en coulant d’abord du sud au nord et du sud-sud-est au nord-nord-ouest. Au nord et nord-est, la ville est un peu dominée par la campagne et entourée d’un fossé profond, reste des anciennes fortifications, en partie plein d’eau et en partie occupé par des jardins. Au nord et au-dessous des fossés, est une grande mare qui sert à abreuver les chevaux et les bestiaux d’une partie de la ville.
Situation des faubourgs
Montaigu a deux faubourgs, l’un appelé le faubourg Saint-Nicolas du nom de la paroisse qu’il contient est situé à l’ouest de la ville au-delà de la rivière sur un terrain incliné vers l’est, au sommet d’un petit coteau exposé au midi dont la rivière baigne le pied. L’autre appelé le faubourg Saint-Jacques, est le plus considérable, et il contient une paroisse et l’hôpital. Il est au midi de la ville au-delà du ruisseau sur un terrain incliné vers l’ouest, ayant la rivière au sud et au sud-ouest. L’un et l’autre ne joignent pas immédiatement la ville et semblent plutôt des villages isolés que des faubourgs de Montaigu.
Forme du terrain circonvoisin
Le terrain circonvoisin de Montaigu est inégal, coupé de petites collines plus élevées à l’est de la ville, et des vallons plus ou moins spacieux, et dans quelques endroits il est plat et uni. Il est occupé par la Maine qui coule du sud-sud-est au nord-nord-ouest en faisant plusieurs détours et par plusieurs petits ruisseaux qui restent souvent à sec quand les années ne sont pas pluvieuses. La rivière se trouve augmentée d’un bassin d’une largeur variée, et Montaigu situé sur ses bords quoique sur une colline est dominé de tous côtés à des distances plus ou moins grandes par les campagnes voisines. La campagne est entremêlée de champs de blé et de genet, de guérets, de prairies, de vignes et de bois taillis, et par des champs de peu d’étendue, entourés de haies remplies d’orties.
Nature du sol
La nature du sol est variée suivant la forme et la disposition du terrain, mais en général il est un peu humide. Il y a quelques étangs peu considérables autour de Montaigu, et l’eau ne trouvant un écoulement faute que sur la pente des coteaux, séjourne longtemps dans les fossés et les mares répandues çà et là dans la campagne. Cette humidité au reste est relative à la constitution de l’année, qui en 1785 fut comme sur le reste du royaume d’une sécheresse extrême5. Ordinairement il tombe assez de pluie chaque année. La rivière cependant sort rarement de son lit, et quand cela arrive les inondations sont passagères et ne durent que deux ou trois jours. Au mois de novembre 1770, l’eau s’éleva à une hauteur inouïe et fit de grands ravages. Les petits ruisseaux couvrent souvent les prairies qu’ils arrosent mais pour peu de temps. L’été, ils sont presque toujours à sec, et on ne trouve dans leur lit que des mares où l’eau croupit. Le cours même de la rivière, coupé de distance en distance par les chaussées des moulins, est assez souvent interrompu lorsque l’eau n’est pas assez haute pour passer par-dessus les chaussées. L’eau stagnante des mares se corrompt aux premières chaleurs. Celle de la rivière ne se corrompt jamais spontanément, quoique son cours soit suspendu ; mais ses bords étant couverts d’arbres et de peupliers, les feuilles qui tombent dans l’eau l’altèrent en se putréfiant, la partie extractive parait s’y dissoudre et l’eau de la rivière est toujours plus pesante l’été et n’est point aussi bonne que dans les autres saisons. Le lin qu’on a coutume d’y mettre à rouir la corrompt et quelquefois même le poisson périt. Elle exhale alors une mauvaise odeur très sensible. Ces causes rendent les habitations voisines des mares et de la rivière insalubres l’été, et il s’en élève certainement dans cette saison des émanations nuisibles. La ville élevée au-dessus de la rivière en ressent moins les mauvais effets.
Des eaux et de leur qualité
L’eau de la rivière est très pure et les réactifs n’y démontrent aucune substance étrangère. Sa saveur est assez agréable et plus vive lorsqu’elle est fraîche. Elle est légère, claire et limpide et me parait posséder toutes les qualités d’une excellente eau potable. Cependant on ne l’emploie jamais à cet usage à Montaigu. Il est vrai qu’on ne pourrait pas s’en servir toute l’année. L’hiver et dans les temps pluvieux elle est trouble, et on aurait besoin de la filtrer ou de la laisser déposer longtemps. L’été elle est altérée comme je viens de le dire ci-dessus ; mais au printemps on ne peut en boire de meilleure. On boit à Montaigu de l’eau de fontaine qui est également très bonne, et pour la cuisine et les usages domestiques on se sert de l’eau de puits qui sont très communs dans la ville. La fontaine de Frogé qui donne l’eau aux habitants de la ville est située dans une prairie entre deux petits coteaux et exposée au sud-sud-est. Ceux du faubourg Saint-Jacques boivent l’eau d’une fontaine exposée au nord et située dans un chemin entre des champs élevés des deux côtés6. Dans le faubourg Saint-Nicolas ont fait usage de l’eau d’une autre fontaine située dans un canton au sud-ouest7. Ces trois fontaines quoiqu’assez profondes sont toujours pleines jusqu’au bord, et l’eau en coule toute l’année. Elles sont revêtues de pierres à l’intérieur, mal entretenues et souvent mal propres. Il y croît des plantes et on y trouve beaucoup d’insectes. L’eau en est aussi légère que celle de la rivière, et la saveur plus vive et plus agréable. Les réactifs n’y produisent aucun changement, l’eau de chaux y démontre seulement la présence d’une certaine quantité d’acide crayeux qui cependant est peu considérable, puisque cette eau n’altère pas le sirop de violette8. L’eau des puits est pesante, la saveur en est fade et laisse une sensation de pesanteur sur l’estomac. Elle verdit le sirop de violette et l’analyse y démontre la présence de la terre calcaire dont je n’ai pas déterminé exactement la quantité. On ne trouve cependant ni terre ni pierre calcaire à Montaigu et dans les environs. Au-dessous de la terre végétale, on trouve de l’argile mélangée de terre martiale uniformément répandue jusqu’à des profondeurs considérables ; mais l’argile n’étant jamais pure, celle qu’on trouve à Montaigu peut être mélangée de terre calcaire, et cette terre étant soluble, il n’est pas étonnant qu’on la trouve dans quelques eaux de ce pays. On conserve l’eau dans des vaisseaux de terre ou de bois qui ne peuvent lui communiquer aucune mauvaise qualité.
Les fontaines qui, au XVIIIe siècle, alimentaient en eau potable Montaigu et ses faubourgs :
- la "fontaine Froget" (ou "Frogé") détruite en 1975 ;
- la "fontaine Poupeline" près du faubourg Saint-Jacques, en 2015 ;
- la "fontaine du Pré clisson", près du faubourg Saint-Nicolas, en 2015.
Des vents et des météores
Les vents qui règnent le plus souvent à Montaigu sont le nord et le sud-ouest. Ce dernier souffle constamment dans le temps des équinoxes et toujours avec plus ou moins de violence. En général on voit rarement ces temps calmes où on ne sent pas le moindre zéphyr. Les vents du sud-est, de l’est, du nord-est et du nord sont secs, et ceux du nord-ouest, de l’ouest, du sud-ouest et du sud sont humides. Le ciel est couvert ou chargé de nuages une grande partie de l’année. Quand les étés sont pluvieux, les orages et le tonnerre sont fréquents ; mais on n’a jamais vu de ces tempêtes effrayantes qui détruisent l’espérance des moissonneurs. La foudre est tombée quelques fois dans la ville, et plusieurs fois dans la campagne, sans causer de grands dommages. Les orages sont rares dans les étés secs, et l’été dernier si célèbre par sa sécheresse on n’en observa qu’un seul. Depuis 3 ans il est tombé beaucoup de neige chaque hiver9, avant ce temps on passait souvent plusieurs années sans en avoir. La température des saisons varie chaque année comme dans le reste du Royaume. Il me semble cependant que la grande quantité d’arbres dont la campagne est couverte rend l’hiver le froid moins piquant, et l’été la chaleur moins brûlante que dans les plaines et autres lieux situés sous la même latitude, dont la disposition du terrain n’est pas la même.
De l’air et de sa pureté
L’air parait être très pur à Montaigu et dans la campagne voisine. Le grand nombre d’arbres répandus dans toute cette contrée, et assez éloignés les uns des autres pour ne pas interrompre la libre circulation de l’air, parait contribuer beaucoup à sa pureté. D’après les belles expériences de M. Ingenhouz, Priestley et Bonnet les feuilles de ces arbres doivent absorber par leur face inférieure une grande partie des émanations qui s’élèvent des mares des terrains humides, et par leur face supérieure, répandre dans l’atmosphère, cet air pur et vivifiant si nécessaire à l’économie animale10. L’observation annuelle semble confirmer cette opinion car dès le mois d’octobre, lorsque les arbres se dépouillent de feuilles, l’atmosphère se charge de vapeurs et de brouillards, et depuis ce temps jusqu’au mois d’avril, le ciel est presque toujours couvert, tandis qu’au printemps les jours purs et sereins renaissent avec les nuages et se soutiennent jusqu’à leur clarté.
Des productions et de leur qualité
On recueille autour de Montaigu, du froment, du seigle, de l’avoine, de l’orge, de la baillarge11, du mil, du blé sarrasin, du vin, du lin, du foin et du bois. Le seigle est beaucoup plus commun que le froment, le mil et l’orge sont les grains les plus rares. Les grains sont ordinairement d’une bonne qualité, et il est rare de voir du seigle ergoté ou du froment carié. Tous les vins sont blancs. Il y a deux espèces de raisins qui donnent des vins de qualité bien différente connus sous le nom de muscadet et de gros plant. Le vin de muscadet cueilli à propos et bien soigné, a une saveur agréable. Il n’est point fumeux et parait assez bon pour l’usage journalier. Le vin de gros plant est toujours vert et plat. On a la mauvaise coutume de vendanger trop tôt dans cette contrée, et cette précipitation influe sur la qualité des vins qui fermentent peu et deviennent gras. La récolte des foins n’est pas aussi abondante que le comporterait le grand nombre de bestiaux qu’on nourrit dans ce pays, mais on supplée au peu de fourrage par les choux, les navets ou turnep qu’on cultive en grande quantité depuis un temps immémorial, et dont on nourrit les bestiaux les deux tiers de l’année. Il y a plusieurs jardins autour de la ville et dans son enceinte où on cultive des arbres fruitiers et des légumes de toutes espèces, dont il est inutile de faire ici mention, et qui sont les mêmes que ceux qu’on connait à Paris. Ces jardins sont d’une grande utilité pour les habitants qui y trouvent des légumes excellents et chaque particulier un peu aisé a le sien. On jouit à Montaigu, comme dans plusieurs petites villes, des agréments de la campagne, on a des vaches dans plusieurs maisons et par ce moyen du lait et beurre frais tous les jours, des basses-cours nombreuses qui donnent des œufs et de la volaille dont on dispose à volonté. Tous ces objets ne laissent pas de contribuer à la santé par la nourriture saine et agréable qu’ils procurent.
Des animaux et des oiseaux domestiques
On nourrit autour de Montaigu un grand nombre de bestiaux. Il y a 5 à 6 couples de bœufs dans quelques métairies et en outre des vaches, des taureaux et des veaux qu’on élève chaque année. Nos bœufs sont assez grands, mais moins que ceux des marais de l’océan et du Poitou. L’hiver on en engraisse un ou deux couples dans les grandes métairies, et dans les petites on se borne à élever des veaux et à entretenir les bœufs en bon état pour les revendre. Le commerce des bestiaux est le seul de ce pays, car celui du blé ne s’étend que dans les paroisses voisines ; mais il sort chaque année des environs de Montaigu un grand nombre de bestiaux. Outre les bœufs gras qu’on conduit à Paris et à Nantes, les Bretons et les Normands viennent chercher au printemps des vaches et des taureaux, et c’est au mois d’avril, mai et juin que le commerce a le plus d’activité. Les moutons sont assez communs, et il y en a dans toutes les métairies.
On élève très peu de chevaux dans le pays, mais les gens riches, les marchands et les meuniers en ont. Ils ne servent jamais au labourage. On n’a de chèvres et d’ânesses que pour l’usage de la médecine. Le cochon est assez répandu, mais il en nait peu dans la contrée, et la plupart de ceux qu’on a viennent de l’Anjou. La volaille est assez abondante et elle est d’ordinaire très bonne. On a aussi des dindons et dans quelques maisons des paons et des pintades. Les canards et les oies ne sont pas rares, les dernières surtout chez les gens de la campagne. Les pigeons le sont davantage.
Des productions indigènes des trois règnes de la nature
Les productions indigènes des trois règnes de la nature sont très variées et assez intéressantes pour faire l’objet de plusieurs mémoires particuliers ; je ne puis en donner ici qu’une courte notice.
Du règne animal
Le loup se trouve quelquefois dans les bois taillis qui sont auprès de Montaigu, mais on n’y voit presque jamais de bêtes fauves. Le renard, le blaireau, la fouine, la belette, la loutre, le rat, le furet, le campagnol, le mulot, la musaraigne, la taupe, le lérot, le rat d’eau, le hérisson, sont naturels à ce pays, et le lièvre et le lapin y sont assez communs. Les espèces de chauves-souris que j’ai observées sont la chauve-souris commune, la noctule et l’oreiller12.
Les oiseaux de proie sont l’épervier, la buse, la crécerelle et la pie grièche, et les nocturnes, l’orfraie, le chat-huant, le hibou et la chouette. Les perdrix rouges et grises sont assez communes, ainsi que les cailles, et le gibier est courant. Les autres oiseaux qu’on trouve dans cette contrée sont le ramier, la tourterelle, le corbeau, la corneille noire, le freux, le choucas, la pie, le geai, la grive, la draine, la litorne, le mauvis, le merle, le loriot, le gobe-mouche, l’étourneau, la huppe, l’hirondelle, le martinet, le chardonneret, le tarin, le moineau, le friquet, la linotte grise et rouge, le verdier, le gros-bec, le bruant, l’ortolan, le bouvreuil, l’alouette, la calandre, le cochevis, le rossignol, des fauvettes de plusieurs espèces, le rouge-gorge, le traquet, le motteux, la bergeronnette grise et jaune, le pouillot, la grosse et petite mésange, le roitelet, le grimpereau, le pic vert et rouge, le conure13, le martin-pêcheur, le pluvier gris et doré, le guiguart (?)14, le vanneau, le râle de genêt, le râle d’eau, le bécasseau, le chevalier, la bécasse, la bécassine, le courlis, la poule d’eau, l’hirondelle de mer, le cravaut, la sérule, l’oie et le canard sauvage dont j’ai vu plusieurs espèces. On y voit quelquefois des butors et des hérons, et dans les hivers rigoureux on y a même vu des cygnes.
On trouve autour de Montaigu des crapauds, des raines, des grenouilles de plusieurs espèces, des lézards gris et verts, des salamandres d’eau et de terre, des vipères, des couleuvres et des serpents.
Les poissons que nourrit la rivière sont la carpe, le brochet, le meunier, la brème, la perche l’able, le gardon, le goujon, la loche, le verdon (le vairon ?) et l’anguille. La Maine est assez poissonneuse, les brèmes surtout y sont très abondantes.
Les abeilles étaient assez répandues il y a plusieurs années et on avait des ruches dans toutes les métairies. Elles sont aujourd’hui beaucoup plus rares. On en trouve quelquefois dans les troncs creux de vieux arbres. Les guêpes et les frelons dévastent les jardins en plusieurs endroits.
Ce sont les seuls insectes dont la piqure soit à craindre, et on ne connait dans cette contrée aucun insecte venimeux. Les cantharides et les cloportes sont assez communs. Il serait trop long de faire ici mention de tous les insectes et des vers qu’on rencontre auprès de Montaigu. Les sangsues ne sont pas rares dans la rivière et dans les ruisseaux. Les seuls coquillages que j’ai vu sont de grandes moules qu’on trouve dans la rivière et dans quelques étangs, et qui ont quelquefois 8 à 9 pouces de long, et plusieurs variétés de limaçons.
Du règne végétal
Les productions du règne végétal sont très nombreuses. Je me bornerai à indiquer les arbres, les arbrisseaux et les plantes médicinales. Le chêne est l’arbre le plus commun. On trouve l’ormeau, le frêne, le peuplier, le tremble, l’aulne, le bouleau, le saule, l’érable, le charme, le châtaignier, le sorbier, l’alisier, le cerisier, le prunier, le pommier, le poirier, le noisetier, le néflier, l’aubépine, le troène, le fusain, le viorne, le nerprun, la bourgène, le genêt, l’osier, le houx, l’églantier, le sureau, la bruyère, l’ajonc, le lierre, la ronce et le chèvrefeuille. Les plantes médicinales sont le fraisier, l’oseille, le chiendent, la potentille, la bourache, l’aigremoine, le capillaire, la quintefeuille, la gentiane, l’argentine, la petite centaurée, le scorsonère, la patience sauvage, la bardane, la fumeterre, la véronique, le cresson, la beste, le beccabunga, la roquette, la scabieuse, la buglosse, la linaire, l’œillet, le petit houx, la pâquerette, la garance, le gratteron, la réau (la rue ?), la persicaire, la bétoine, le souchet, la consoude, la prêle, la renouée, la mercantaire (?), l’ortie, le millepertuis, le pied de lion, la bistorte, la sarriette, la bugle, la brunelle, la millefeuille, le polypode, la bryone, la flambe (?), l’épurge, la digitale, la carotte, la fougère mâle, l’herniole, la chanistrape (?), la filipendule, l’horcuin (?), l’aristoloche, la matricaire, le marrube, la scolopendre, le houblon, l’eupatoire, l’hépatique, le ceterach, le polytric, la pulmonaire, le coquelicot, la cynoglose, le lierre terrestre, le mourine (?), le nénuphar, la valériane, l’armoise, le caille-lait jaune, la primevère, le gui de chêne, le calament, le pouliot, la mauve, la pariétaire, le séneçon, la violette, la camomille, la morelle, la douce-amère, la figue, la scrophulaire, le hièble, la piloselle, la garie (?), le serpolet, le scordium, la verveine, la joubarbe, le plantain, la pervenche, l’ancolie, la menthe, la mercuriale, l’arroche, la gratiole, la vulvaire, le bouillon-blanc, l’orpin, l’ail, la chélidoine.
Quelques-unes des plantes médicinales du médecin Louis Richard de la Vergne, fils aîné
(extraits de la "Flore médicinale" de Chaumeton, Poiret, Chamberet,
dessins de Turpin, 1814-1820)
Du règne minéral
Les productions du règne minéral sont également très variées. Après la terre végétale, on trouve partout jusqu’à des profondeurs considérables, de l’argile mélangée de terre martiale. Sa couleur lui a fait donner le nom de terre jaune dans le pays. On en voit aussi de blanche, de grise et de rougeâtre. On s’en sert au lieu de chaux pour bâtir et lier les pierres, pour enduire les murs à l’intérieur des maisons. Elle est propre aussi à faire des tuiles, des briques et de la poterie grossière, et il y en a trois fabriques auprès de Montaigu. Parmi la terre végétale et quelquefois parmi l’argileuse, mais toujours vers la surface de la terre, on trouve une immense quantité de petits morceaux de quartz de toute espèce et de toutes couleurs, parmi lesquels on rencontre du feldspath, du silex, du pétrosilex, des cailloux, des agates, des cailloux onyx, des aventurines, des porphyres, du jaspe, des serpentines, des schistes, du granit, des poudingues. Il parait que cette grande quantité de pierres brisées a été jetée par la mer, car plusieurs ont les angles émoussés et paraissent évidemment avoir été roulées par le mouvement des eaux. On s’en sert pour caillouter le grand chemin qui est en cet endroit un des plus beaux du Royaume. Au sommet d’une chaine de collines qui sont à l’est de la ville et les plus élevées du pays, on trouve de gros rochers de quartz qui renferment des géodes et des cristallisations très belles. Quelques fragments contiennent du fer, quelquefois avec le brillant métallique, mais le plus souvent en état de craie martiale. J’ai même trouvé dans ce lieu un morceau de mine15 de fer assez gros et très curieux par les stalagmites qu’il contient, ce qui me fait soupçonner qu’en fouillant la terre on rencontrerait des mines de ce métal, d’autant plus que le terrain est aride comme il l’est ordinairement au-dessus des mines, et que la terre martiale est très abondante dans tout ce canton.
Les "Gros rochers de quartz" le long de "la chaîne de collines
qui sont à l’est de la ville et les plus élevées du pays",
sur laquelle court la longue allée bordée de cèdres
aboutissant autrefois au château de Melay.
J’ai aussi trouvé dans un autre endroit, un morceau assez considérable de mine de fer qui par sa dureté approche beaucoup de l’émail. Les poudingues sont assez communs autour de Montaigu, le ciment qui les lie est dans la plupart la terre martiale. Les collines qui sont au nord-nord-est et à l’est de Montaigu sont presqu’entièrement formées de rochers de granit, et on exploite depuis longtemps de très belles carrières. Le feldspath qui entre dans sa composition est blanc, le quartz gris, et le mica très abondant. J’ai trouvé dans quelques fragments de la zéolithe et des grenats. Le granit est une très belle pierre et la plus propre à construire des édifices solides. On en transporte beaucoup à Nantes. A peu de distance du faubourg Saint-Nicolas sont de gros rochers d’une espèce de granit qui ne contient presque pas de quartz et très peu de mica, et qui ne parait composé que de feldspath blanc ou rougeâtre, lié par la terre argileuse martiale Ce granit est beaucoup moins dur que les autres. Enfin la pierre la plus commune et qu’on trouve en grandes masses dans l’enceinte de la ville et dans tous les environs est une espèce de schiste très mélangé et qui parait le produit de la terre argileuse martiale qu’on trouve partout dans cette contrée. On y distingue à l’œil du quartz, du mica, de l’argile, du fer. Ce dernier est si abondant dans quelques-unes de ces pierres qu’on pourrait le prendre pour des mines de ce métal. Il y en a de blanches, de jaunâtres, de rougeâtre et noirâtres, leur dureté est très variée depuis celle du quartz jusqu’à la friabilité. On ne trouve ni terres ni pierres calcaires autour de Montaigu.
Localisation sur la carte d’assemblage du cadastre de Montaigu de 1814,
des maisons à la fin du XVIIIe siècle
"des gens riches [qui] sont assez bien bâties et bien percées ;
la plupart ont des cours et des jardins"…
après leurs incendies et destructions par J.-B. Kléber durant la Révolution :
- en blanc : celles qui n’ont pas été relevées ou qui ont disparu depuis ;
- en noir : celles qui ont été relevées et existaient encore en 2016.
(certaines ayant disparu peuvent ne pas apparaître, leur souvenir s’étant lui-même effacé,
en particulier "sur les fossés" et dans les faubourgs Saint-Jacques et Saint-Nicolas)
Construction de la ville
La petite ville de Montaigu est en général mal bâtie ; les rues sont étroites, irrégulières et mal pavées et celles des faubourgs ne le sont pas. Les maisons n’ont que le rez-de-chaussée et un étage ; elles construites en pierres et couvertes de tuiles. Celles des gens riches sont assez bien bâties et bien percées ; la plupart ont des cours et des jardins, ce qui permet à l’air de circuler librement et les rend fort saines. Celles des artisans et des pauvres sont basses, humides et plusieurs ne sont point carrelées et n’ont d’ouvertures que la porte et de petites fenêtres qu’ils tiennent presque toujours fermées. Les rues qu’habite le peuple sont mal propres, pleines d’ordures et de fumiers (la police est ordinairement assez mal réglée dans les petites villes). Les boucheries sont hors de la ville dans le faubourg Saint-Jacques, et il n’y a qu’une seule tannerie qui, par sa situation à l’extrémité occidentale16 du même faubourg, ne peut être nuisible qu’aux maisons voisines qui sont en effet très malsaines. Leur construction est en est à la vérité très mauvaise, et elles sont habitées par la classe du peuple la plus indigente. Le cimetière de l’une des paroisses est au centre de la ville autour de l’église, et cette paroisse étant la plus considérable et le cimetière très petit, ce quartier en est moins salubre, et mon père a observé17 plus d’une fois que les habitants des maisons voisines en avaient été incommodés. En 1779 la dysenterie étant épidémique et causant une grande mortalité, et les fosses par je ne sais quelle circonstance ayant été creusées moins profondes, on sentait en traversant le cimetière une mauvaise odeur très manifeste. On s’occupe heureusement aujourd’hui d’une réforme à ce sujet, et on espère qu’on transportera le cimetière hors de la ville. Les autres paroisses ont également leur cimetière autour de l’église, mais étant situées l’une et l’autre à l’extrémité des deux faubourgs, ils ne peuvent être bien nuisibles.
De l’hôpital
La situation de l’hôpital à l’extrémité méridionale du faubourg Saint-Jacques, sur un coteau exposé au sud-ouest, dont la rivière baigne le pied, est heureuse et salubre. L’édifice est irrégulier et accompagné d’une grande cour et de jardins potagers ; il y a deux salles, l’une pour les hommes et l’autre pour les femmes. La salle pour les hommes est au rez-de-chaussée. Elle est belle, élevée, percée de six grandes fenêtres, trois de chaque côtés et exposée au nord-est et au sud-ouest. Elle contient seize lits. La salle des femmes est au premier étage, percée de trois fenêtres au nord-ouest, et au nord-est. Elle contient huit lits. Il y a en outre plusieurs appartements commodes pour la cuisine, la pharmacie. Cet hôpital a été créé en 1696 par lettres patentes de Louis quatorze et doté des revenus d’une aumônerie fondée en 1174 par un seigneur de Montaigu. Il est gouverné par quatre administrateurs : l’évêque de Luçon nomme le premier, le seigneur marquis de Montaigu le second, les ligérieurs ou vassaux nobles du marquisat le troisième, et le chapitre de Montaigu le dernier. Il y a trois ou quatre sœurs avec plusieurs domestiques, un receveur, un aumônier, un médecin et un chirurgien. On n’y reçoit que les habitants de la ville et des faubourgs, et les militaires pour lesquels le Roi paye18. On en exclut mal à propos les femmes en couches.
Des habitants et de leur nourriture
Montaigu est habité par des gentilshommes qui ayant des terres dans les environs, viennent passer une partie de l’année dans la ville, et dont plusieurs jouissent d’une grande fortune, par des bourgeois assez riches, des marchands et des artisans nécessaires dans le pays, des manœuvres presque tous dans l’indigence. Les gens riches font bonne chère. Le bœuf, le veau, le mouton, la volaille, le gibier, le poisson de mer sont communs et de bonne qualité. Le pain et le vin sont assez bons, dans plusieurs maisons on boit du vin rouge de Bordeaux. Les domestiques et le peuple mangent du pain de seigle pur ou mêlé de froment, des viandes grossières, du cochon salé avec des légumes, des fruits qui souvent ne sont pas des meilleurs : le beurre (?) est le mets principal de plusieurs personnes du peuple des moins aisées. Les pauvres ne vivent presque de pain sec, que la Charité19 leur distribue et qui est composé de seigle (d’après le titre de cette fondation il parait qu’il existait dès lors un hôpital à Montaigu antérieurement à cette aumônerie), baillarge ou autre menu grain. Le peuple mange beaucoup de soupe qui souvent n’est que du pain trempé dans l’eau bouillie avec un peu de beurre et des légumes, des choux principalement. La boisson ordinaire est de l’eau, ou du vin de la qualité la plus inférieure et l’été souvent altéré.
De leur tempérament
Le tempérament des habitants est très varié, et il n’est pas possible de faire un caractère général qui soit commun à tous. Le régime de vie, le genre d’occupation, l’hérédité, paraissent le décider plutôt que l’influence particulière du climat. Il en est de même de leur stature. Cependant on n’y voit presque jamais des rachitiques, de boiteux ni de bossus. Les personnes du sexe ne sont pas jolies ; les femmes riches dont la vie est aisée et la nourriture succulente sont réglées de 13 à 14 ans et celles du peuple plus tard de 15 à 16. L’époque de la menstruation varie quelquefois. On voit des femmes réglées avant 12 ans et d’autres qui ne le sont pas à 18. Ces femmes en général sont fécondes et on compte dans la ville plusieurs familles nombreuses. L’époque de la cessation des règles n’est pas fixe d’une manière certaine. Les femmes qui sont réglées de bonne heure le sont plus longtemps, les femmes riches jusqu’au-delà de 50 ans et celles du peuple ne sont plus souvent de 40 à 45.
De leur caractère
Le caractère des gens du peuple est doux et paisible, mais ils aiment l’oisiveté. Cette cause est le peu d’industries et d’économie, conduisant à la mendicité la plupart de ceux qui n’ont d’autres ressources pour vivre que le travail de leur mains. Le pays, il est vrai, sans commerce ni manufactures ne leur offre pas beaucoup de moyens de subsister. Les hommes travaillent à la terre, mais les femmes et les enfants restent sans occupations. Un malheureux journalier ne peut gagner seul par son travail de quoi nourrir toute sa famille. Que faire ? Les femmes et les enfants mendient et les hommes même quelquefois. Peu de cantons dans le Royaume renferment autant de mendiants que Montaigu et les paroisses voisines où la plupart des habitants qui n’ont pas de métairies à cultiver, sont réduits à cette dure nécessité. Plusieurs à la vérité mendient par paresse, et assurés de vivre par ce moyen, ils négligent les travaux qui leurs sont offerts. Le libertinage si répandu aujourd’hui jusque dans les campagnes n’a pas encore gagné Montaigu ; les mœurs et la religion y sont encore respectées. Les gens du peuple sont adonnés au vin, et les cabarets sont nombreux et fréquentés… autre cause de la misère qui règne parmi eux.
De la population ou tableau des naissances
La population de Montaigu a augmenté d’un sixième depuis 25 ans, et le nombre total des naissances a surpassé celui des morts d’un quart.
Depuis 15 ans, le nombre des naissances a varié de 45 à 55, et les dix années précédentes de 35 à 45. L’année où les naissances ont été les plus nombreuses est 1783, où il y en a eu 58 et celle qui en a compté le moins 1768 où il n’y en a eu que 3220.
Depuis 25 ans le nombre des naissances a surpassé chaque année celui des morts excepté en 1762, 1767, 1779 et 1785. Il l’a doublé en 1761, 1765, 1774, 1775, 1776 et 1778, triplé en 1770 et 1771 et quadruplé en 1777.
Il nait à Montaigu plus de garçons que de filles, le nombre des premiers surpasse celui des dernières de plus d’un cinquième.
La saison qui compte le plus grand nombre de naissances est l’hiver, l’été ensuite et le printemps, et l’automne est celle où on en voit le moins. Le nombre des enfants qui naissent en hiver est à celui qui qui naissent en automne comme 4 à 3.
Il nait des enfants dans tous les mois de l’année, après celui de janvier, mars et septembre sont ceux où il en nait le plus et juin et décembre ceux où il en nait le moins. Le mois de janvier est à cet égard à celui de décembre comme 2 à 1.
Au mois d’avril il nait plus de filles que de garçons ; aux mois de janvier, février et décembre, le nombre est égal, mais dans tous les autres mois, et en général dans toutes les saisons, il nait plus de garçons que de filles.
En 1772, une femme du peuple accoucha de trois filles ; on voit assez souvent naître des enfants jumeaux, en 1761, il en naquit trois fois, deux fois en 1764, et une fois dans les années 1765, 1766, 1767, 1768, 1769, 1770, 1774, 1775, 1779, 1782, 1783 et 1785.
D’après ce tableau, il semblerait que la saison que l’auteur de la nature a destinée à la reproduction des êtres a aussi quelque influence sur les hommes, puisque l’hiver et spécialement le mois de janvier, est l’époque de l’année où les naissances sont les plus nombreuses et que hors ce temps les deux solstices21 sont les deux époques de l’année où la famille prolifique a le plus d’énergie, puisque mars et septembre sont les mois où il nait le plus d’enfants, et que cette même faculté en a moins au temps des équinoxes, puisque juin et décembre sont ceux où il en nait le moins. On va voir par le tableau des morts que je vais présenter, qu’elles sont beaucoup plus fréquentes autour des équinoxes et, et plus rares autour des solstices, ce qui indiquerait que l’énergie de la faculté prolifique semble être en raison de celle de la vie. Ces considérations sont curieuses et ne sont pas inutiles.
Tableau des morts et longueur de la vie
Le nombre des morts varie beaucoup chaque année à Montaigu, mais lorsqu’il ne règne pas de petite vérole ou de maladies extraordinaires il est toujours fort inférieur à celui des naissances. En 177922, il périt plus de 100 personnes. La dysenterie et la petite vérole étaient alors épidémiques. Les autres années les plus meurtrières ont été 1785, 1762, et 1767, où régnait la petite vérole, et où on a vu 60, 57 et 48 morts. Les années les plus salubres ont été 1770 et 1771, où il n’y en a eu que 13 ou 14.
Il est péri environ 800 personnes à Montaigu depuis 25 ans, dont 390 au-dessous de l’âge de puberté, 160 de l’âge de 18 ans jusqu’à celui de 50 et 250 ont atteint ou passé l’âge moyen de la vie. De ces dernières, une a vécu 97 ans, une 94, trois 90, 35 de 80 à 88, 69 de 70 à 79, 53 de 60 à 69, et 55 de 50 à 59.
On peut juger d’après ce tableau de la salubrité du climat de Montaigu. On trouverait difficilement, dans d’autres endroits du Royaume, une aussi grande quantité de vieillards proportionnelle à un aussi petit nombre d’habitants. Nous avons encore dans la ville une femme âgée de 92 ans et plusieurs personnes au-dessus de 80 ans qui jouissent d’une santé assez robuste pour cet âge. On compte des vieillards dans toutes les classes de la société, mais ils sont en plus grand nombre dans celle des gens aisés.
Parmi les personnes âgées il y a plus de femmes que d’hommes au-dessus de 80 ans, le nombre des deux est à peu près égal de 70 à 80, le nombre de femmes excède celui des hommes d’un quart, de 60 à 70, la proportion est la même, de 50 à 60 le nombre des hommes surpasse celui des femmes d’un cinquième.
De 40 à 48 ans, il y a eu 62 morts et autant d’hommes que de femmes, 50 de de 30 à 39, et à cet âge le nombre d’hommes surpasse celui des femmes d’un tiers, 24 de 20 à 29, et le nombre des femmes surpasse à cet âge celui des hommes d’un tiers, 24 au-dessous de 20 ans parmi lesquels il y a eu 16 filles qui, la plupart, sont mortes de 16 à 17 ans.
L’âge où il meurt le plus de femmes est depuis 60 à 70, et celui où il en meurt le moins est de 20 à 30. L’âge le plus critique pour les hommes est 50 ans, et celui où il en meurt le moins est de 6 à 20 ans. Parmi les enfants, il meurt plus de garçons que de filles, mais il en nait aussi davantage. Le plus grand nombre meurt au-dessous de 2 ans, à 8 ou 9 ans il en meurt rarement.
Les années où il est mort le plus d’enfants ont été1779, 1762, 1785, 1772 et 1767, où il y a eu 52, 31, 28, 22 et 19 morts, et celles où il en est mort le moins sont 1769 et 1770, où il n’y en a eu que trois. En 1779, 1783, 1762, et 1785, il est péri 34, 18, et 16 adultes, et 3 ou 4 seulement en 1765, 1769, 1770, 1771, 1772, 1774, 1776, 1777. Les années les plus funestes aux vieillards ont été 1779, 1785, 1767, où il y en est mort 19, 14 et 13, et dans 1771, 1775, 1776 et 1777 il n’en est mort que trois.
Baptêmes et sépultures à Montaigu de 1761 à 1785
( en 1785, il y eut 61 sépultures ).
Registres des paroisses Saint-Jean, Saint-Jacques et Saint-Nicolas ;
pour cette dernière, on ne possède que les registres que pour quelques années.
Des sépultures et surtout des baptêmes peuvent concerner des personnes
vivant à la Gaudine, aux Rochettes ou "sur les fossés",
c’est-à-dire extérieures à ces trois paroisses.
Par ailleurs, ces nombres n’incluent ni les décès de l’hôpital ni ceux du couvent.
La saison la plus salubre à Montaigu est le printemps, on y voit beaucoup moins de morts que dans les autres saisons qui sont à cet égard en même raison entre elles ; les morts sont cependant plus fréquentes en automne.
Les mois où les morts sont les plus fréquentes sont septembre, octobre et mars, et ceux où elles sont les plus rares sont juin, juillet, avril et décembre.
Les mois où il meurt le plus d’enfants sont septembre, octobre et août, et ceux où il en périt le moins sont avril, mai et juin.
Les mois où il périt le plus de filles sont septembre, octobre et mars, et ceux où il en périt le moins sont juin, juillet et décembre.
Les mois les plus redoutables pour les vieillards sont mars et octobre, et les plus salubres juin et juillet.
Des maladies du climat des différentes classes de citoyens et des artisans
Il n’y a point de maladies épidémiques à Montaigu. Le régime de vie, le genre d’occupation, l’hérédité, en décidant du tempérament des habitants, ont également le plus de part à leurs affections morbifiques23 et le climat ne parait y contribuer d’aucune façon. L’oisiveté et l’excès dans la bonne chère altèrent la constitution des gens riches et paraissent leur occasionner des maladies particulières. La goute est commune parmi eux. Des femmes mêmes en sont attaquées ; mais ceux qui prennent de l’exercice et ne restent pas dans l’inaction jouissent de la meilleure santé. Le genre d’occupation influe beaucoup sur les maladies des artisans. Les cordonniers, les tailleurs et autres ouvriers sédentaires sont sujets à la constipation, aux engorgements du foie et des viscères abdominaux. L’attitude gênante dans laquelle ils sont presque toujours assis et le corps penché en avant comprimant l’abdomen et principalement la région épigastrique gène la circulation dans la veine porte et donne naissance à ces maladies. Le teint jaune et pâle de ces ouvriers indique assez chez eux le mauvais état du foie. La poitrine se ressent assez souvent des effets de cette posture qui en s’opposant au mouvement libre du thorax empêche le poumon de se développer convenablement et intervertit la circulation dans cet organe. De là les affections de poitrine que ces ouvriers éprouvent quelquefois. Les meuniers, les boulangers, plongés sans cesse dans une atmosphère chargée de particules grossières sont sujets à l’asthme, aux tabercules du poumon. La poitrine est souvent affectée dans les maladies aigües qu’ils éprouvent. J’en ai vu aussi périr de phtisie. Les serruriers, les maréchaux, les taillandiers, passant rapidement de l’atmosphère brûlante de leurs foyers, et presque nus, en plein air, sont exposés à des suppressions de transpiration, à des affections inflammatoires et rhumatisantes. Les menuisiers, les charpentiers et autres ouvriers de ce genre paraissent jouir d’une meilleure santé et leurs métiers du moins ne les exposent pas à autant d’accidents. Je ne m’étendrai pas davantage sur la maladie des artisans. J’observerai seulement que les affections spéciales à chaque métier sont beaucoup moins communes à Montaigu que dans les grandes villes. La raison en est que les ouvriers y restent moins longtemps à l’ouvrage, et qu’ils l’interrompent souvent pour aller prendre l’air hors de la ville, cultiver leurs petits jardins et qu’ils restent par conséquent moins exposés aux causes de ces maladies.
Les hommes du peuple jouissent en général d’une santé assez robuste jusqu’à l’âge de 48 à 50 ans. Les forces digestives perdent à cet âge beaucoup de leur énergie, le pain lourd et compact et les aliments grossiers dont ils se nourrissent ne peuvent être digérés et assimilés convenablement, ils éprouvent des fièvres quartes rebelles et, s’ils ne sont pas secourus à propos, les viscères épigastriques s’engorgent, la leucophlegmatie et l’anasarque surviennent et les font périr. En général les habitants de Montaigu paraissent avoir quelques dispositions au relâchement des solides, car on voit périr plusieurs personnes hydropiques dans toutes les classes de la société. On voit aussi quelques phtisiques, mais le vice héréditaire ou des circonstances particulières produisent plutôt ces maladies que l’influence du climat.
Maladie des femmes
Les femmes jouissent à Montaigu d’une santé constante et il est rare de voir des filles attaquées de pâles couleurs. L’époque de la menstruation n’est pas orageuse pour elles, et comme on peut le voir ci-dessus, il meurt peu de jeunes personnes de 16 à 17 ans, et plusieurs même de ce nombre sont mortes de la petite vérole ou autres maladies aigües. La cessation des règles les expose assez rarement à des accidents. Cette évacuation cesse peu à peu en laissant des intervalles plus longs entre ses retours. Les grossesses, les accouchements et la suite des couches sont heureuses, quoique toutes les femmes bien réglées riches négligent de nourrir leurs enfants. Quelques femmes du peuple en buvant du vin et s’exposant imprudemment au froid éprouvent quelquefois des suppressions du lactier, des métastases laiteuses et autres accidents, auxquels on remédie aisément lorsqu’on est appelé à temps.
Maladies des enfants
Les deux cinquièmes des enfants qui naissent à Montaigu périssent avant l’âge de puberté ; mais cette proportion est bien plus considérable dans la plus grande partie du Royaume. Le peuple en perd beaucoup plus que les gens aisés, et la plupart périssent avant l’âge de deux ans : à cet égard les enfants sujets à des maladies spéciales, inconnues dans un âge plus avancé, et à la merci de leurs parents sont souvent victimes de la malpropreté et du défaut de soins. Les femmes du peuple ont d’ailleurs coutume de les nourrir en les sevrant, de bouillies de farineux non fermentés. Cette mauvaise nourriture les dispose à la diathèse pituiteuse et aux engorgements de la rate et du mésentère auxquels ils succombent souvent. Plus les enfants avancent en âge, moins il en périt. Ils prennent alors beaucoup d’exercice en plein air et ils n’ont plus besoin d’autant de secours. La petite vérole est le fléau le plus redoutable pour les enfants. On peut voir ci-dessus que les années les plus funestes aux enfants ont été celles où régnait la petite vérole, et que dans les années intermédiaires le nombre des morts a été proportionnellement très petit. Les mois d’août, septembre et octobre où cette maladie est ordinairement plus fréquente et plus dangereuse sont précisément ceux où il périt le plus d’enfants. On n’a pas observé de maladies particulières parmi eux. La coqueluche apparait quelquefois, mais elle n’a jamais fait de grands ravages.
Maladies des saisons populaires ou épidémiques
La constitution variée des saisons, la qualité des aliments particulière à chaque année, et l’usage mal réglé des choses naturelles dont les effets se contrebalancent mutuellement, agissent plus ou moins sur l’économie animale, produisent diverses maladies plus ou moins fréquentes et dangereuses. Chaque année on observe constamment que les gens riches moins exposés à l’impression des vicissitudes des saisons. L’hiver on voit régner des affections catharales, des péripneumonies des angines plutôt rhumatisantes qu’inflammatoires, parmi le peuple qui dans des maisons basses et humides, et souvent mal vêtu, souffre le froid et l’humidité, tandis que les gens riches, bien habillés et dans des appartements bien sûrs, ne s’aperçoivent pas de la rigueur de la faim. Au printemps paraissent des fièvres tierces et intermittentes qui se compliquent d’affections péripneumoniques quelquefois. En 1784 et 1785, ces complications furent fréquentes et quelques personnes périrent de péripneumonies bilieuses putrides et malignes. Les chaleurs de l’été affaiblissent les forces de digestion. Le peuple nourri de pain grossier et de mauvaises viandes est sujet à des fièvres intermittentes, rémittentes, bilieuses, putrides, vernimeuses, et toutes d’origine gastrique, tandis que les gens riches vivant alors de bons légumes, de fruits, de volailles et d’autres aliments légers corrigent l’influence de la saison et échappent aux maladies qui affligent le peuple. Lorsqu’il y a beaucoup de fruits et que le peuple peut en manger, les fièvres sont moins fréquentes. Dans les étés pluvieux les fièvres sont sopereuses et présentent des symptômes plus fâcheux. La langue est plus humectée, mais la putridité est portée au plus haut degré, et les forces vitales plus affaissées. Les fièvres quartes sont plus communes l’automne suivant, et la dermatite des jambes survient assez souvent dans la convalescence. Quand les étés sont secs, les fièvres sont ardentes, bilieuses, la langue sèche, le mal de tête insupportable, les vomissements fréquents, les diarrhées douloureuses. Il parait aussi que les années sèches sont les plus favorables à la génération des vers, car l’été dernier si célèbre par sa sécheresse, toutes les fièvres étaient vernimeuses. Les vers étaient également très répandus sur les végétaux, et tous les fruits et les grains même en contenaient. Les fièvres d’été se soutiennent jusqu’en automne et les fièvres quartes leur succèdent. C’est aussi vers la fin de cette saison qu’on voit paraître les obstructions du foie et les hydropisies qui sont les maladies de cet ordre le plus commun à Montaigu. Une observation intéressante que j’ai eu occasion de voir confirmer souvent, est que le système gastrique est toujours plus ou moins affecté dans les maladies du peuple, dans quelque saison qu’elles paraissent. La nourriture grossière, et surtout le mauvais pain dont il fait usage en sont vraisemblablement la cause.
On observe quelquefois dans les prisons de la ville qui sont très malsaines, cette espèce de fièvre putride maligne dont plusieurs auteurs ont parlé sous le nom de fièvre de prisons et des hôpitaux.
Les maladies sont beaucoup plus fréquentes à la fin de de l’été et au commencement de l’automne, cependant la mortalité n’est pas proportionnellement aussi grande qu’à la fin de l’hiver, parce que la plupart des personnes attaquées de maladies chroniques périssent à cette époque, ce qui augmente beaucoup le nombre de morts dans cette saison.
Les maladies aigües et populaires sont rarement bien meurtrières à Montaigu, et on peut en juger d’après le tableau des morts que j’ai présenté ci-dessus. On n’a observé de ces épidémies effrayantes qui désolent quelquefois des villes entières, qu’en 1779, où la dysenterie qui était presque généralement répandue en Europe, fit de grands ravages. La petite vérole régnait en même temps, et ces deux maladies se compliquant souvent, en étaient plus dangereuses l’une et l’autre. Cette dernière reparait constamment tous les cinq ou six ans, et elle a toujours fait périr un grand nombre d’enfants et souvent même des adultes. Cependant à son dernier retour en 1785, il n’est mort aucun adulte et moins d’enfants que dans les épidémies précédentes …/…24
Louis Richard de la Vergne, fils aîné,
docteur en médecine de l’université de Montpellier.
En 2017, près de l’église Saint-Jean-Baptiste de Montaigu :
la vaste demeure du XVIIIe siècle de la dynastie des médecins Richard de la Vergne.
Après avoir été habitée par Kléber durant l’occupation de la ville à partir de l’automne 1793,
elle fut vendue en 1809 à Louis Aillery
pour y relever le collège qui avait été supprimé par la Révolution.
En 1840, elle fut achetée par l’érudit-local, Charles Dugast-Matifeux (1812-1894),
qui se partageait entre ses demeures de Montaigu et de Nantes.
(à gauche, la maison des Royrand de la Roussière, avec des bandeaux de marine
évoquant leur participation à la guerre d’Indépendance américaine)
Le 27 février 1787, lors de sa séance publique tenue au Louvre, la Société Royale de Médecine avait distingué "les auteurs des meilleurs Mémoires sur la Topographie médicale des différents Cantons et Provinces, parmi ceux qu’elle avait reçus". Elle en avait primé six25 et, regrettant "de n’avoir pas un plus grand nombre de prix à distribuer, dans cette séance", elle avait "cru devoir citer avec éloge" celui "de la ville de Montaigu et paroisses circonvoisines par M. Richard de la Vergne, docteur en médecine" à Montaigu.
Deux autres "Topographies médicales" seront réalisées localement, toutes deux en 1788 : la "Topographie médicale la ville et l’Hôpital de Clisson en Bretagne"26, par Michel Du Boueix, d’une ampleur moindre que celle sur Montaigu, et la très courte "Topographie médicale de Vieillevigne"27 par Charles Baudry, qui rétrospectivement est un encouragement à ne pas tomber malade. Incontestablement, le Mémoire de Louis Richard de la Vergne est celui qui contient les informations les plus complètes et référencés, et qui montre le plus de compétences de la part de son auteur… ce qui en fait un élément incontournable pour la connaissance de l’histoire de Montaigu.
Ce genre d’enquêtes faites au niveau local disparaîtra avec la Révolution. Elles sont en quelque sorte les prémices des études et enquêtes faites à une échelle plus large aux débuts du XIXe siècle, telles que Statistique ou Description générale du département de la Vendée (1818) de Jean-Alexandre Cavoleau, repris et largement développé en 1844 par Armand-Désiré de La Fontenelle de Vaudoré, ou encore Recherches économiques et statistiques sur le département de la Loire-inférieure (1802) par Jean-Baptiste Huet de Coëtlizan.
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Notes, sources et références...
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 La thèse de doctorat de Louis Richard de la Vergne, de 14 p., un peu plus longue que la moyenne des thèses de l’époque, était intitulée : "la Chaleur animale". En 1776, son père avait publié des "Notes relatives aux épidémies de variole de 1756, 1762, 1766 et 1772 à Montaigu" (cf. de Jean Artarit, "les Docteurs médecins de Montpellier au moment de la Révolution française", Recherches vendéennes, n°22, 2015-2016).
2 La thèse de doctorat de Charles Richard de la Vergne (1785), était intitulée : "l’Activité vitale" (Tentamen physiologicum de activate vitali). Toujours en 1785, il en publia à Paris une version augmentée (100 p.), en français : Essai sur la vie considérée principalement dans les différentes périodes de sa durée ; puis en 1790 : Essai sur les vaisseaux lymphatiques. De 1787 à 1789, il fut correspondant de Dubois de Fosseux, le secrétaire de l’Académie d’Arras. On a dit de lui qu’il a été "le médecin de Charette" (cf. de Jean Artarit, "les Docteurs médecins de Montpellier au moment de la Révolution française", Recherches vendéennes, n°22, 2015-2016, p. 136 et 154).
3 Blandin (Gaston), les Annales de Nantes et du Pays nantais, n°268 "Spécial bicentenaire", 1998.
4 La longitude donnée par Louis Richard de la Vergne se base sur un méridien d’origine passant par l’île de Fer (Hierro), aux Canaries (environ à 18° à l’ouest de Greenwich), dont l’usage avait été fixé le 1er juillet 1634 pour les cartes marines par une ordonnance de Louis XIII, à la suite d’une conférence tenue à l'Arsenal de Paris le 25 avril précédent. Cela reprenait la référence de la Géographie de Ptolémée, datant du IIe siècle av. J.-C., et explique l’absence de précision "Est" ou "Ouest". En 2012, les coordonnées du clocher de Montaigu étaient : 46° 58’ 33,75" N et 1° 18’ 44,04" W du méridien de Greenwich.
5 En 1945, dans Recueil de données statistiques relatives à la climatologie de la France, page 124, J. Sanson relève : "1785. – Grande sécheresse dans toute la France. A Paris, le total de l’eau tombée du 1er mars au 31 mai n’atteint que 21 millimètres. En Bretagne, aucune pluie notable n’est enregistrée « entre la Toussaint 1784 et la Madeleine (22 juillet) 1785 ». Dans la Sarthe « les bestiaux se donnent ; à peine peut-on se défaire des chevaux, car on les refuse à qui les offre pour rien. On ne parle que de chiens enragés ; il en est tué une quantité prodigieuse ». Il en est de même dans le Limousin où, par suite du manque de foin, les paysans abandonnent tous leurs animaux. Dans l’Ain, la disette de fourrage oblige à nourrir les ânes avec des sarments coupés dans les vignes. Au mois de mai de cette année, « la livre de beurre vaut 20 sols dans la Sarthe, 36 sols en Ille-et-Vilaine et jusqu’à 48 sols à Bourges et à Issoudun ». Par contre la récolte de vin est très abondante. Dans de nombreux diocèses, les évêques prescrivent des prières publiques pour demander la pluie."
6 Il peut s’agir de la fontaine Poupeline (orientée face au 310°) toujours existante, faisant alors partie du couvent des fontevristes (couvent Notre-Dame de Saint-Sauveur) et reliée au faubourg Saint-Jacques par le chemin de la Minière.
7 Les délibérations du conseil municipal de Montaigu du 18 février 1894, parlent de la "fontaine dite de Clisson servant de temps immémorial aux habitants du faubourg Saint-Nicolas" et qu’à proximité "il n’existe pas de source ni de puits fournissant de l’eau potable". Cette fontaine se trouve au-delà du faubourg Saint-Nicolas à l’extrémité ouest de la rue de la Gaudine, sur la commune de Boufféré. Elle a été utilisée par les habitants du quartier jusqu’à l’installation du service d’eau, au début des années 1960.
8 A la page 526 du tome 35 de son édition de 1779, l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, dite "Encyclopédie de Diderot", décrit ainsi "le sirop de violette" : "La teinture de violettes est proprement un instrument chimique. Lorsqu’elle est préparée convenablement, elle est d’un gros bleu, sans la moindre teinte de violet ni de vert. Cette conserve s’altère avec la plus grande facilité. Lorsqu’on applique à cette teinture diverses substances salines, elle est assez constamment changée en rouge par les acides, et en vert par les alcalis. […] Cet emploi de la teinture de violettes est fort commode. Il est bien supérieur à celui de plusieurs autres couleurs végétales et notamment à celui de la teinture de tournesol".
9 L’été sec de 1785 et les hivers très neigeux de 1784, 1785, 1786, sont aujourd’hui attribués aux conséquences météorologiques des très fortes émissions de cendres du Laki, volcan islandais, entre le 8 juin 1783 et le 7 février 1784.
10 Allusion aux expériences à l’origine de la découverte de la photosynthèse, faites entre 1771 et 1777 par le chimiste britannique Joseph Priestley, et affinées en 1779 par Jan Ingenhousz, médecin botaniste d’origine néerlandaise installé à Londres.
11 La "baillarge" est une variété d’orge.
12 Pour la chauve-souris oreillard.
13 Le "conure" évoqué ici ne semble pas correspondre aux espèces actuelles de conures (sortes de perruches).
14 Le déchiffrement de l’écriture du manuscrit a parfois posé quelques problèmes. Les (?) indiquent les mots pour lesquels ces problèmes n’ont pas été résolus. C’est le cas principalement pour certains noms de poissons, d’oiseaux ou de plantes.
15 Pour "minerai".
16 C’est-à-dire au village du Pont Neuf, le long de la Maine. En 1816, les bâtiments de ce village qui avait été totalement détruit fin 1793 par les troupes républicaines, étaient encore à 80 % en ruine et n’abritait plus que huit habitants en deux feux : les Arnaud père et fils, qui utilisaient la rivière pour leur activité de tanneurs.
17 Les fenêtres de la maison familiale des Richard de la Vergne (l’actuel n°1 de la rue de Tiffauges) surplombaient une partie de ce cimetière Saint-Jean.
18 Les registres de sépultures de 1762 à 1784 de l’hôpital montrent que sur 213 décès, seulement 13 % proviennent des trois paroisses de Montaigu. Les autres sont des malades venant des paroisses voisines ainsi que des personnes venues de tout le royaume, voire d’autres pays. Ainsi, le 19 octobre 1762 fut enterré "Jean-Baptiste Favre, gantier, originaire de la paroisse de Turrin en Piémont" et le 1er décembre de la même année "Félix Veuvit, originaire de Savoie" ; le 27 juin 1767 est inhumé "Jean Spinola du royaume d’Espagne"… La plupart des décédés extérieurs à la région sont des militaires. (Arch. dép. de la Vendée, 5 Mi 873).
19 En plus de la Confrérie Saint-Nicolas dans la paroisse du même nom, il en existait quatre à Montaigu dans la paroisse Saint-Jean : celle de la Bienheureuse Marie, celle du Saint-Sacrement, celle de Notre-Dame des Agonisants, et celle de la Charité. Cette dernière, connue aussi sous le nom de "confrérie charitable des pauvres de la ville de Montaigu" (cf. Gustave Mignen, Paroisses, églises et cure de Montaigu Bas-Poitou, 1900, p. 51), est probablement cette "Charité" évoquée ici, et aux statuts de laquelle ("le titre de cette fondation") il est fait allusion un peu plus loin. Elle disparut avec la Révolution et par la suite sa mission, qui était de venir en aide aux pauvres et nécessiteux, dut être prise en charge par la municipalité de Montaigu.
20 Les chiffres avancés par Louis Richard de la Vergne sont confirmés par les registres paroissiaux : en 1783 ceux-ci comptent 26 naissances à Saint-Jean, 17 à Saint-Jacques, 15 à Saint-Nicolas… chiffres qui donnent une indication quant à la population du Montaigu d’alors (les constructions immédiatement proches incluses). Ces registres paroissiaux sont continus à partir de 1674 pour Saint-Jean, de 1682 pour Saint-Nicolas, de 1711 pour Saint-Jacques ; mais avec quelques lacunes : pour Saint-Nicolas de 1737 à 1763 et de 1767 à 1781, pour Saint-Jacques de 1713 à 1736.
21 On remarquera qu’ici les termes "solstices" et "équinoxes" sont intervertis.
22 Pour l’année 1779, le registre paroissial de Saint-Jean compte 65 sépultures, celui de Saint-Jacques en compte 37, celui de Saint-Nicolas a disparu. L’hôpital compte par ailleurs 18 sépultures, souvent de personnes étrangères à Montaigu et à ses environs.
23 La terminologie utilisée dans le manuscrit original pour les différentes maladies évoquées a été conservée, leurs équivalents actuels pouvant être facilement retrouvés.
24 C’est ici et ainsi que se termine, un peu brusquement, le manuscrit de la Topographie médicale de la ville de Montaigu en Poitou, tel qu’il est conservé aux Archives départementales de la Vendée (Fonds Mignen, 36 J 60/2).
25 Parmi ceux-ci, et en 5e rang : "M. le Chevalier de La Coudraye qui nous a présenté des observations sur l’Histoire naturelle des Sables d’Olonne".
26 Journal de Médecine, Chirurgie, Pharmacie, etc., tome LXXV, juin 1788, p. 385 à 417.
27 "Topographie médicale de Vieillevigne", Société Royale de Médecine (SRM 179, dossier 2).
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Histoire de Montaigu
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