le combat de la Pénissière d'après divers historiens
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LE COMBAT DE LA PÉNISSIÈRE
d'après divers historiens
A la fin du XIXe siècle, la Chronique paroissiale de la Bernardière, rédigée par Hyppolite Boutin évoquait le combat de la Pénissière, qui avait eut lieu soixante ans plus tôt...
"En 1815 et en 1832, on vit encore les habitants de la Bernardière manifester hautement leurs opinions légitimistes et au premier signal du soulèvement saisir leurs vieux fusils. Nous ne pouvons ici passer sous silence un fait d'armes qui a retenti dans toute l'Europe et qui illustrera à jamais cette paroisse vendéenne-bretonne. Au petit château de la Pénissière, caché dans les bois et éloigné de tous les grands chemins, le 6 juin 1832, au moment où les royalistes faisaient sur plusieurs points des tentatives plus hardies qu'heureuses, quarante-cinq chouans, presque tous jeunes gens de familles, se réunirent dans le but de se porter sur Cugand et la Bruffière pour désarmer la garde nationale : ils combattirent la journée tout entière et, sous la conduite de trois frères, dont deux anciens officiers de la garde royale, au son d'une petite musique militaire, contre plus de mille soldats Leurs décharges continuelles d'espingoles jonchèrent plus d'une fois de cadavres la cour et les prairies du château. Quarante-cinq voltigeurs du 29e et deux gendarmes arrivèrent d'abord, sous la conduite d'un adjudant-major ; celui-ci, voyant que son détachement n'était pas assez fort pour cerner l'habitation défendue par un mur de clôture, dépêcha un gendarme qui revint avec un détachement de 90 hommes, suivi d'un autre de 40 soldats : on commença l'attaque, mais le mur extérieur fut bientôt abandonné et les chouans se retirèrent dans l'habitation, dont ils barricadèrent les portes. Alors, ils se distribuèrent au rez-de-chaussée et au premier étage, placèrent à chacun de ces étages un clairon qui ne cessa de jouer pendant tout le combat, et commencèrent par les fenêtres un feu très vif et très habilement dirigé. Deux fois, les soldats arrivèrent jusqu'à vingt pas du château, deux fois ils furent repoussés. Laissons un ennemi lui-même (le général Dermoncour), mais franc et loyal, faire le récit de ce brillant fait d'armes. Ses paroles ne peuvent être soupçonnées d'exagération, puisqu'il était dans le camp opposé aux royalistes : "Sur le soir, les soldats, voyant que les Vendéens ne tiraient que sur trois faces de la maison, s'aperçoivent qu'elle n'est point percée du côté sud-ouest ; à l'instant, quatre hommes, aidés d'un maçon, se saisissent d'une échelle, arrivent inaperçus jusqu'au toit et y mettent le feu ; bientôt, l'incendie se propage et force est aux intrépides assiégés de céder à la fumée qui les suffoque, aux flammes qui vont les envelopper. Les soldats, à cette vue, poussent de grands cris et se précipitent vers la petite citadelle qui semblait avoir arboré un étendard de feu. Les chefs des chouans ordonnent à ceux qui se trouvaient au rez-de-chaussée de monter au premier : le plancher est aussitôt mis au jour et décarrelé, de sorte qu'au moment où les soldats se précipitent dans l'intérieur, ils furent accueillis par une fusillade à bout portant dirigée par eux, à travers les entre-deux des poutres : force leur fut de se retirer et les chouans accompagnèrent leur retraite d'un redoublement de musique et des cris de : Vive Henri V. Le chef de bataillon ordonna de faire pour le rez-de-chaussée ce que l'on avait fait pour le grenier : en conséquence, les soldats s'avancèrent armés de torches enflammées et de bois sec, et, dans un instant, les chouans se trouvèrent avec le feu sous les pieds et sur la tête. Leur position était affreuse ! Ils prirent un parti désespéré ; ils résolurent de faire une sortie : huit s'offrirent à rester pour protéger la retraite de leurs frères et occuper les soldats. Des deux anciens officiers, l'un commandait la garnison restante, l'autre la sortie. Leur retraite fut saluée d'une salve générale de mousqueterie qui leur tua deux hommes : un troisième, blessé à mort, alla expirer auprès de la haie. Le clairon, qui marchait en tête, reçut trois balles et continua cependant de jouer. Il est fâcheux qu'on n'ose, dit le général Dermoncour, faire connaître le nom de pareils hommes. Cependant, dans le château, tout était en feu : les huit hommes qui s'y trouvaient se retirent dans un enfoncement au moment où le plancher tomba avec un bruit affreux ! Un calme succéda et les soldats crurent que la garnison était écrasée dans les décombres... Cette erreur la sauva... La nuit survint et, se glissant comme des ombres, les huit chouans rejoignirent sains et saufs leurs camarades, à la faveur des dernières lueurs de l'incendie."
Si les noms de ces braves sont presque tous inconnus, l'histoire enregistrera au moins le nom des deux anciens officiers de la garde royale qui commandaient cette vaillante garnison : MM. de Girardin. L'un d'eux succomba, et c'est pour ce brave et ses compagnons d'armes que se célèbre tous les ans, le 6 juin, dans l'église de la Bernardière, un service solennel auquel assistent les amis des victimes.
Les curieux qui, depuis quinze ans, sont venus en foule, de tous les coins de l'Europe, visiter ce lieu célèbre, ont été d'autant plus étonnés de la longue résistance des chouans, que la Pénissière, loin d'être un château fortifié et environné de douves, n'est qu'une petite gentilhommerie dominée de toutes parts, appelée aujourd'hui la Pénissière-Brûlée."
Hyppolite Boutin faisait suivre ce récit par d'autres écrits sur ce combat de la Pénissière, rédigés entre 1832 et les années 1890, les uns par des admirateurs des héros malheureux de cette journée, les autres (le Dr Z et son article dans Echos du Bocage Vendéen) par des personnes leur étant par principe défavorables...
"Nous, maire de la commune de la Bernardière, canton de Montaigu, département de la Vendée, certifions à qui de droit qu'il s'est donné un combat entre les Libéraux et les Royalistes à la Pénissière la Cour, commune de la Bernardière, le 6 juin 1832. Le parti libéral a remporté la victoire sur les royalistes après un combat de 6 heures. Les royalistes n'étaient qu'au nombre de 50 à 56, mais bien tous dévoués à leur cause, au lieu que les Libéraux étaient au nombre de 7 à 800 hommes. Les royalistes étaient renfermés dans le château, leur dernière ressource.
Les libéraux ont remporté la victoire sur eux après avoir mis le feu au château et avoir brûlé les deux métairies dépendantes.
Fait par nous, Maire de la Bernardière, le 7 juin 1832, le lendemain de la bataille."
(document inédit.) René Caillé, maire de la Bernardière.
"Le château de la Pénissière, qui désormais tiendra sa place dans l'histoire, comme tant de pauvres villages qu'un combat célèbre a tirés de leur obscurité, n'était plus depuis longtemps qu'un vieux manoir tout démantelé, presqu'une ruine. Il était si bien déchu de ses honneurs de castel féodal qu'on l'avait transformé en une paisible ferme. A peine le découvrait-on au milieu des haies et des arbres touffus qui couvrent les bords de la Sèvre-Nantaise et de la Maine. Ses murailles, lézardées par le temps, s'affaissaient à demi sous le poids de sa couverture."
(Théodore Muret)
"Quarante-deux royalistes du corps d'Auguste de la Rochejaquelein venaient le 5 juin chercher un abri contre l'orage dans cette masure à un seul étage, percée de quinze ouvertures de forme irrégulière et entourée par une prairie entrecoupée de haies vives, et que l'abondance des pluies avait transformée en lac.
Parmi eux en comptait cinq officiers de la garde royale ou de la ligne, des paysans, des jeune gens de toute condition, des séminaristes et quelques vieillards. Leurs noms ne doivent pas, ne peuvent pas être oubliées dans l'histoire de la Vendée militaire. Les quatre frères Eugène, Emmanuel, Victor et Egisthe de Girardin, Lévêque, Auclerc, Jamin, les trois frères Fouré, Aubry, Leclerc, Raffegeau, Motreuil, Joulin, père et fils, Mony, Augé, Juret, les deux Aubert, Bondu, Guinefolle, Thomasy, de Chevreuse, Bouleau, Jary, Touche, Monnier, Blandin, Ripoche, Gazeau, Martin, les deux François, et Guichard, composaient cette héroïque phalange. - Deniau (Guerre de la Vendée), ajoute les trois noms suivants : Beauchamp, Lecomte et Rousselot et dit que onze d'entre eux étaient des anciens élèves de Beaupreau.
Le nom des six derniers combattants s'est perdu même dans la mémoire de leurs compagnons de la Pénissière. La gloire passe si vite ! C'étaient des gens du pays, des laboureurs que le hasard avait le matin même conduits à ce manoir, et qui ne faisaient encore partie d'aucun corps d'armée."
(Jacques Crétineau-Joly)
"Ils étaient là cinquante-trois, cinquante-trois braves, les uns chefs, les autres soldats ; ou plutôt, non, tous étaient chefs et soldats à la fois, tous étaient frères et camarades. Comme dans la première guerre de la Vendée, où Lescure et La Rochejaquelein avaient pour égaux de simples paysans dont ils serraient fraternellement la main, il n'était parmi les défenseurs de la Pénissière qu'une seule distinction, celle que chacun s'efforcerait de mériter par son courage ; car dans toutes les guerres entreprises pour la cause royale, ce fut parmi les soutiens de cette cause qui, selon les révolutionnaires, étaient la cause de la noblesse et des privilèges, que l'égalité semblait avoir fixé son séjour.
Oh ! c'était un beau spectacle que celui de ces cinquante-trois hommes déterminés à mourir ! Il y avait là de pauvres paysans qu'un attachement héréditaire à leur foi politique et religieuse avait seul arrachés du sein de leurs travaux, lorsqu'il s'était agi de se rallier à la vieille bannière que la Vendée arrosa tant de fois de son sang. Il y avait des officiers et des soldats de la garde royale, de cette élite fidèle qui, au moment du départ de Rambouillet, brisait ses armes de désespoir, car on lui interdisait ce combat demandé avec tant d'ardeur. Près deux, on voyait aussi des jeunes gens qui, dans notre siècle égoïste et froid, avaient renoncé à tous les plaisirs que donne l'opulence, pour courir aux armes et braver la mort ; et là, tous confondus, ils n'avaient qu'une seule pensée : combattre jusqu'à leur dernier soupir."
(Théodore Muret)
"Malgré son nom de château, la Pénissière, située dans la commune de la Bernardière, n'était qu'une simple gentilhommière fort irrégulièrement bâtie, se composant de quelques grandes chambres et de beaucoup de petites, avec deux escaliers, l'un assez large, placé en face de la porte d'entrée et conduisant du premier étage aux greniers.
C'est là que le mardi 5 juin, vers quatre heures du soir, quarante-deux légitimistes sous les armes vinrent chercher un abri contre une pluie torrentielle. Leur intention était de prendre part au soulèvement et de se porter le lendemain sur Cugand pour y désarmer la garde nationale. Ils passèrent tranquillement la nuit du 5 au 6 juin dans le château, mais leur présence y avait été signalée au 29e de ligne, cantonné dans le voisinage, à Clisson, et ils s'apprêtaient à sortir du manoir, quand le cri : Aux armes ! retentit. C'étaient les rouges qui approchaient avec une supériorité numérique si considérable que les Vendéens durent se former à la défensive ; mais cette défense est restée légendaire…
Vers onze heures du matin, le combat ou, pour mieux dire, le siège commence.
Voilà les soldats de Louis-Philippe qui se développent autour des murs et des clôtures, occupent la chapelle, la grange, les maisons de ferme, et de tous ces points engagent une fusillade à laquelle les assiégés répondent vigoureusement. Un effectif de quarante-deux hommes, avec trois clairons de voltigeurs pour musique, une douzaine d'espingoles, des carabines avec leurs baïonnettes, des pistolets, des poignards, quelques sabres ; comme munitions quarante cartouches par homme et deux gargousses contenant dix livres de poudre, voilà les ressources des Vendéens pour lutter pendant neuf heures de suite contre plusieurs centaines de combattants. Ils ont placé à chacun des étages un clairon dont la fanfare retentira pendant tout le combat. Leurs plus habiles tireurs, embusqués derrière les quinze fenêtres, déchargent à chaque seconde sur les assiégeants les espingoles que leurs camarades rechargent avec une extrême promptitude, et que de main en main on se passe, pour ne pas laisser se ralentir le feu. Chaque espingole porte au moins vingt-cinq balles ; les Vendéens en tirent neuf ou dix à la fois ; on dirait une batterie chargée à mitraille. "Rendez-vous, brigands !" s'écrient les soldats de Louis-Philippe. "Vive Henri V !" répondent les assiégés. Deux fois les assiégeants sont arrivés jusqu'à vingt pas du château, deux fois ils ont été repoussés. Les Vendéens ont décarrelé le plancher des chambres hautes, et, le mettant à jour à coups de hache dans différents endroits, ont pratiqué quelques meurtrières et consolidé les barricades avec des meubles et des madriers. Mais voici un nouvel ennemi : l'incendie. Les assiégeants sont parvenus à percer le mur d'une grange faisant face à un pignon du château, pignon qui ne présente aucune ouverture, et que les assiégés avaient négligé de créneler ; ils ont donc pu s'en approcher, en se glissant le long de la ferme qui se trouve dans la cour. Une fois arrivés au mur, ils y ont appliqué une échelle, et, montant jusqu'au toit, ils ont jeté dans l'intérieur du grenier des matières enflammées et se sont retirés ensuite. Une colonne de fumée s'échappe du toit, au travers duquel la flamme se fait jour. Les clairons vendéens ne cessent pas de sonner.
On entend dans le lointain le bruit du tambour. Sont-ce des chouans qui arrivent pour secourir les assiégés ? Non, c'est un renfort considérable que reçoivent les assiégeants ; c'est le commandant Georges, du 29e de ligne, qui leur amène des troupes fraîches.
La fusillade devient de plus en plus nourrie. Les boiseries des fenêtres volent en éclats sous la grêle des balles qui frappent les murs. La fumée tourbillonne dans les chambres. Des craquements sourds annoncent que la toiture va s'effondrer. Il pleut ; les assiégés espéraient que la pluie éteindrait les flammes dans le grenier. Mais après l'incendie d'en haut, voici l'incendie d'en bas. Les assiégeants, prenant des fagots et de la paille au bout de leurs baïonnettes, sont parvenus à les jeter dans le château par une fenêtre du rez-de-chaussée. Cernés de toutes parts, ayant le feu sous leurs pieds et au-dessus de leurs têtes, les Vendéens comprennent que la prolongation de la résistance ne sera pas possible. Mais se rendront-ils ? Non. Pendant que leurs clairons sonnent toujours, ils se décident à faire une trouée. Avant d'exécuter cette résolution héroïque, un d'eux s'écrie : "Amis, après avoir combattu en braves, mourons en Vendéens ! A genoux !" Et tous, agenouillés, ils récitent le Miserere au milieu des flammes Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam.
La grêle des balles redouble. L'incendie augmente de seconde en seconde ses ravages. Et secundum multiudinem miserationum tuarum dele iniquitatem meam.
Les solives craquent. La fumée, s'engouffrant par les fenêtres, est tellement épaisse qu'on se voit à peine. Amplius lava me ab iniquitate meâ, et à peccato meo munda me. Et ainsi de suite jusqu'à la fin du dernier verset.
Les hommes qui viennent de prier se relèvent. "Une trouée !" s'écrient-ils. Chefs en tête, ils descendent l'escalier, se serrant la main les uns les autres en signe d'adieu, car ils croient aller à la mort. Ils traversent une chambre complètement incendiée : puis, enfonçant la porte qui donne sur le jardin, ils s'élancent au pas de course, en bon ordre, clairons en tête. Dans cette sortie, cinq d'entre eux succombent : Mony, Gazeau, Leclerc, Jarry et Emmanuel de Girardin. Les autres traversent la prairie, franchissant, sous le feu des soldats et en ripostant, un torrent où ils ont de l'eau jusqu'à la ceinture, baignés de sueur et sortant d'une fournaise.
Enfin, après un quart d'heure de marche, ils cessent de se trouver sous le feu des soldats, qui négligent de les poursuivre, et, à la nuit, ils arrivent dans une ferme, où des soins leur sont prodigués par des paysans et un curé du voisinage. En pénétrant dans cette ferme, ils prient quelques jeunes villageois de se rendre sans armes au château de la Pénissière, afin de recueillir les blessés qu'ils trouveraient, et ceux des combattants qui se seraient égarés dans la retraite.
Le lendemain matin, les villageois, attendus avec impatience, arrivent vers les huit heures à la ferme. Ils y amènent avec eux les braves qui étaient restés au château et que leurs compagnons avaient crus perdus. Ces hommes, sauvés comme par miracle, sont au nombre de huit. Pendant que des solives en flammes craquaient de toutes parts, ils s'étaient retirés dans une espèce d'enfoncement formé par un retrait de mur, décidés à s'y défendre jusqu'à la dernière extrémité. Au même moment, le plancher était tombé avec un bruit affreux. Puis la fusillade avait cessé, les soldats de Louis-Philippe croyant que les derniers défenseurs du château venaient d'être écrasés dans les décombres.
Cette erreur les sauva. Ils se tinrent immobiles tandis que les assiégeants s'éloignaient avec répugnance d'un foyer qui dévorait à la fois amis et ennemis, vivants et morts. Et alors, à l'aide des ténèbres, les huit Vendéens se sont laissés glisser le long des murs. Ils sont sortis ainsi de la fournaise rouge et fumante où il ne restait plus que quelques cadavres éclairés par les dernières lueurs de l'incendie, et ils sont parvenus à rejoindre leurs camarades. On s'embrasse, mais on pleure, car il faut se séparer et l'on ne sait pas si l'on se reverra jamais, et les commissions militaires, les prisons vont réclamer les défenseurs du château de la Pénissière, les héros du suprême combat de la légitimité. "Adieu, disent-ils, adieu, et à des temps meilleurs !" Et pour la dernière fois ils jettent leur cri de guerre, le vieux cri des Vendéens : "Vive le roi !"
(Imbert de Saint-Amand. - La duchesse de Berry en Vendée)
"C'était le 5 juin 1832, quarante-cinq royalistes de la division d'Auguste de la Rochejaquelein, dont l'histoire doit buriner les noms, se trouvèrent attardés par un orage dans le manoir de la Pénissière, près Clisson. Leur présence y fut bientôt signalée au commandant Georges, qui occupait Clisson, et qui se disposa sur-le-champ à les entourer avec deux compagnies de grenadiers et une compagnie du 29e. Les quarante-cinq royalistes, avertis du danger qui les menace, n'en tiennent pas compte ; se fiant sur les secours des communes voisines qui sont prêtes à se soulever, et cédant du reste au besoin de repos qui les presse, ils prennent la résolution d'attendre de pied ferme l'attaque dont ils sont menacés.
La nuit se passe sans aucune apparition de la troupe ; le 6, au matin, ils se préparaient à se remettre en route pour joindre leur corps d'armée, lorsque tout à coup un cri se fit entendre : "Aux armes !" et en même temps plusieurs coups tirés sur leur sentinelle leur annoncent la présence des soldats de Georges et des gardes nationaux qui arrivent à travers le bocage.
Sans perdre de temps, ils sont à leur poste de combat ; ils barricadent les portes et les croisées du manoir, et font des ouvertures dans ses murs. L'action s'engage. "Mort aux chouans !" crie-t-on d'un côté. "Vive Henri V !" répond-on de l'autre. Les soldats, qu'on a surexcités avec de l'eau-de-vie, se précipitent avec furie contre les blancs en poussant de nouveaux cris et des hurlements, et font une décharge générale de leurs fusils, mais ils sont repoussés avec perte.
La Pénissière est une antique maison à un seul étage, percée de quinze ouvertures de grandeur inégale et irrégulière ; une chapelle ruinée en est séparée par un petit chemin. Il était difficile d'y forcer des hommes énergiques et courageux qui s'étaient juré de s'y défendre jusqu'à la mort. Les Philippistes, déconcertés par une résistance à laquelle ils ne s'attendaient pas, se retirent, mais excités par des gendarmes qui arrivent pour les soutenir, ils reviennent sur le manoir et s'emparent de la chapelle, des maisons des fermiers et des granges et se postant derrière les murs du jardin et de la cour, au-dessus desquels ils pratiquent des créneaux : la fusillade qui recommence, donne l'éveil aux cantonnements voisins des bleus, bientôt plusieurs compagnies avec des gardes nationaux arrivent au secours des soldats de Georges. Ils se reportent en avant pour forcer les royalistes. Les soldats sont de nouveau repoussés. Ils retournent une troisième fois à l'assaut. Leurs efforts sont encore impuissants ; chaque espingole des royalistes leur lance vingt-cinq balles à la fois, et à chaque seconde une espingole part. Les adroits tireurs sont blottis derrière les fenêtres, pendant que leurs camarades leur passent rapidement les armes chargées. Le gros des soldats ripostent de loin et criblent les fenêtres. La lutte devient acharnée. Les Philippistes arborent le drapeau noir et font entendre des cris de mort, mais les pertes sont de leur côté ; dix-neuf charrettes sont pleines de leurs morts et de leurs blessés, et aucun assiégé n'a encore succombé. Les soldats entrent en fureur. "Ce ne sont pas des hommes que nous avons à combattre, disent-ils, ce sont des diables." Les gardes nationaux, au lieu de soutenir les soldats, se tiennent prudemment à distance, l'arme au pied.
Cependant le commandant Georges veut en finir, il appelle de nouvelles forces à son secours, bientôt neuf cents troupiers enveloppent la Pénissière, des compagnies de voltigeurs sont disséminées dans la campagne pour repousser toute attaque du dehors. Les assiégés ne s'en effraient pas, ils s'excitent à se battre de plus en plus avec courage et crient constamment : vive Henri V ! Le clairon Monnier sonne la charge pour engager leurs amis qu'ils supposent en armes dans le voisinage, à venir les dégager.
Irrité d'une résistance à laquelle il ne s'attendait pas, et voulant débusquer les assiégés à tout prix, le commandant Georges ordonne de mettre le feu à plusieurs corps de servitudes, afin que les flammes se communiquent au principal corps du logis ; des sapeurs armés de leurs haches s'avancent en même temps avec une rare intrépidité pour défoncer les portes de ce bâtiment ; des grenadiers, favorisés par un pignon qui n'a pas d'ouvertures, et sous la protection du feu continuel des autres soldats, se glissent jusqu'aux croisées les plus basses, pendant que les tambours battent la charge. Sous leurs efforts combinés, les portes et les croisées du rez-de-chaussée menacent d'être forcées. Le commandant des blancs, Eugène de Girardin, craignant alors une lutte trop inégale si les volontaires sont obligés de lutter corps à corps avec les assaillants, fait monter tous ses hommes au premier étage et barricade fortement la porte qui y donne accès. Malgré leur rage, sapeurs et grenadiers ne peuvent enfoncer la porte principale. Les décharges meurtrières des assiégés les forcent, après des pertes fort sensibles, à se reporter de nouveau en arrière. Cependant, avant de se retirer, ils ont pu mettre le feu à une des fenêtres basses et à la porte qu'ils n'ont pu briser. Les flammes produisant des effets destructeurs et le cordon des assiégeants ne cessant de tirailler sur le manoir, la position des assiégés devient critique. On les somme de se rendre. Ils répondent par des cris encore plus enthousiastes de vive Henri V ! et continuent leur fusillade ; elle durait depuis cinq heures ; le feu donnait de plus en plus à la troupe des chances de succès ; voulant profiter de ses ravages, elle tente une nouvelle charge et se précipite du côté du jardin et de celui de la cour d'entrée. Elle est encore reçue à coup d'espingoles et de carabines qui tuent et qui blessent un grand nombre d'hommes. Cependant, malgré les feux continuels des assiégés, une compagnie de grenadiers parvient à enfoncer la porte d'une salle basse, donnant sur le jardin ; en même temps une compagnie du centre entrait dans ce même appartement par la croisée que les sapeurs venaient de briser. Cet appartement communiquait au grand escalier que les soldats se proposaient d'enlever, et cet escalier, une fois en leur possession, ils pouvaient pénétrer jusqu'aux chambres occupées par les royalistes. Déjà ils tentaient d'enfoncer la porte de communication lorsque des décharges, parties des meurtrières pratiquées au plafond, nettoient en un instant l'appartement occupé et le jonchent de morts et de blessés. D'autres décharges faites au dehors achèvent de réduire à un fort petit nombre la colonne envahissante. Les soldats de Georges sont de nouveau forcés de reculer et d'abandonner leurs blessés au milieu des flammes. Mais, enhardis par le progrès effrayant que faisaient ces flammes, ils retournent encore à la charge jusqu'à deux fois, mais toujours sans succès.
Ils avaient perdu déjà cent cinquante hommes, et les royalistes n'avaient que six blessés dont un seul hors de combat. Cependant la position de ces derniers n'était plus tenable, des brasiers ardents les entouraient et la fumée de l'incendie et de la poudre les suffoquait. Leur mort leur paraissait certaine. N'ayant pas pris de nourriture depuis vingt-quatre heures, et n'ayant ni vivre pour réparer leurs forces, ni eau pour étancher leur soif ardente, ils succombaient d'épuisement. C'était un spectacle digne des temps antiques. Il fallait prendre un parti. Eugène de Girardin, quoique blessé à la tête, aurait voulu prolonger la lutte jusqu'à la nuit afin de s'évader avec moins de danger; mais il n'y avait plus moyen de différer. L'escalier par lequel ils devaient descendre brûlait déjà, il ordonne de se jeter au milieu de l'ennemi du côté du jardin. "Mourons, crie-t-il à ses volontaires, mourons pour Henri V." Les trente-quatre hommes qui l'entourent répètent avec amour ce cri de désespoir, et traversant deux appartements envahis par les flammes, ils se disposent à s'échapper par une porte sur laquelle l'ennemi faisait constamment converger ses feux. En colonne serrée, ils traversent rapidement le jardin, escaladent par une brèche son mur d'enceinte où sont embusqués des soldats qu'ils culbutent et se trouvent dans un pré entourés par deux cents soldats ; marchant toujours en avant et espérant de nouveaux prodiges de valeur, ils voient tomber sous leurs coups un officier et trente soldats1, les balles semblent les respecter2. Dans cette sortie, cinq royalistes seulement succombent, Mony, Gazeau, Leclerc, Jarry et Emmanuel de Girardin.
Ce dernier est tué à côté de son frère Eugène. Se sentant atteint dans le dos, il se retourne vers celui qui l'a frappé : "Tu m'achèveras au moins," lui dit-il en plein visage. Eugène de Girardin put s'échapper avec ses autres camarades ; un ruisseau qu'il traverse met fin à la poursuite des bleus3.
Mais tout n'était pas fini ; huit des assiégés qui se trouvaient à une extrémité du manoir et qui n'avaient pas eu connaissance de la sortie de leurs compagnons d'armes, continuaient toujours à faire feu contre les assiégeants et à les repousser. Cette résistance fait croire au commandant Georges que la sortie des trente-quatre Vendéens n'est qu'une ruse de guerre pour le détourner d'un assaut général, il néglige d'envoyer à leur poursuite, c'est ce qui sauva Eugène de Girardin et ses camarades, et leur permit de se retirer à Treize-Septiers.
Cependant, le manoir étant ouvert, les fantassins de Georges y pénètrent, mais pour y subir de nouvelles pertes.
Les huit royalistes qui y sont restés leur opposent toujours la résistance la plus héroïque. Il faut laisser Lévêque, leur chef, en raconter lui-même toutes les péripéties.
"Trois soldats, dit-il, passèrent à côté de nous pour entrer dans la grande chambre sans se douter que nous fussions dans un enfoncement ; mais un quatrième, plus défiant, veut s'assurer s'il n'y a personne de caché dans le petit réduit qui nous abrite. II tâte avec sa baïonnette et me la passe le long des reins ; aussitôt il lâche son coup. Nous fonçons sur les quatre soldats, ils tombent morts. Nous montons aussitôt l'escalier qui conduit aux mansardes ; c'est alors qu'en jetant les yeux par une ouverture, nous aperçûmes un officier occupé à faire porter les blessés à l'ambulance établie dans le chemin derrière la fuie aux pigeons, et à faire enlever les morts : un de nous l'ajuste, il tombe. A cette vue, des cris de : "Mort aux brigands !" se font entendre avec encore plus de rage. Ce bruit retentit dans les escaliers. que les fantassins remplissent. Ils font sur eux une décharge presque à bout portant, et se précipitent ensuite en avant la baïonnette croisée ; mais deux coups d'espingoles chargées jusqu'à la gueule suffisent pour balayer l'escalier.
Après cette décharge, il ne nous restait que douze cartouches pour nous huit. Une seconde fois, les grenadiers se précipitent sur nous. Les malheureux soldats qui gravissent l'escalier périssent encore. Les cris des mourants et des combattants faisaient frémir."
Motreuil, dans ce moment de fureur, montra un sang-froid extraordinaire. Un soldat ayant gravi l'escalier rencontre ce séminariste et s'apprête à le tuer en proférant d'horribles blasphèmes. Motreuil le terrasse, le désarme et lui dit : "Je pourrais et devrais peut-être t'ôter la vie, mais, en le faisant, je t'enverrais en enfer : éloigne-toi et épargne-moi un remords4."
Le capitaine qui commandait la troupe, continue Levêque, ne voyant pas revenir ses soldats, défendit de monter dans cet endroit dangereux. L'incendie n'allant pas assez vite à son gré, il ordonne de mettre le feu à vingt endroits différents. La dernière partie, un bâtiment où nous nous étions retirés, devient la proie des flammes ; elles nous cernent de toutes parts et nous font éprouver les plus cruelles souffrances.
Nous n'avions plus de cartouches, deux espingoles venaient de crever entre nos mains, le feu cessa forcément". Il était neuf heures du soir : ces intrépides volontaires s'étaient battus depuis onze heures du matin. Le silence qui succède aux détonations, l'incendie qui paraît avoir tout consumé fait croire à Georges que tous les blancs sont ensevelis sous les débris du vieux manoir5. Il s'éloigne après avoir perdu près de deux cents hommes.
Vers dix heures du soir, au moyen de leurs mouchoirs qu'ils lient ensemble, les huit royalistes s'échappent du milieu des ruines ; un cabinet pratiqué dans l'épaisseur d'une muraille les avait providentiellement préservés des flammes.
Ce fait d'armes a toujours été cité comme le plus beau de ces derniers temps ; quarante-cinq jeunes gens, dont la plupart étaient des paysans et des séminaristes, avaient tenu en échec et décimé douze ou quinze cents hommes aguerris et bien disciplinés. C'était comme un souvenir de la guerre des géants faite par leurs pères, et qui montrait de quoi eût été encore capable la Vendée s'il y avait eu plus d'entente parmi les chefs et si ses élans n'avaient pas été comprimés.
Le lendemain, les rouges vinrent inspecter les ruines qui devaient couvrir, pensaient-ils, un grand nombre des ennemis qu'ils avaient eu à combattre. Ils furent stupéfaits de n'y rencontrer aucun cadavre."
1 Extrait du rapport fait à la duchesse de Berry par Eugène de Girardin.
2 Dans le temps on m'a affirmé qu'une balle s'était aplatie sur le scapulaire de l'un de ces braves.
3 Un des fuyards se vit mettre en joue à dix pas seulement par un voltigeur ; il se retourna vers lui et, payant d'audace, il l'ajuste avec son fusil chargé. Le voltigeur, épouvanté, se sauva à toutes jambes.
4 Souvenirs de l'abbé Boutillier, condisciple de Motreuil.
5 Les royalistes eurent en tout cinq tués et dix blessés.
(Félix Deniau. - Histoire de la Vendée, T. VI)
"Le château de la Pénissière n'était qu'une vieille maison bourgeoise, mansardée, couverte en tuiles et percée de quinze ouvertures dispersées sans aucune symétrie. A la maison d'habitation était adossée la chapelle qui faisait face au midi et donnait sur un vaste jardin planté de vieux arbres. Au-dessus des fenêtres du jardin, s'élevaient les fenêtres du rez-de-chaussée, à une hauteur d'une douzaine de pieds. Au nord, un pré, formant vallon, couvert d'eau. A l'ouest, la cour principale, dont les murailles étaient hautes de 4 à 5 mètres ; cette cour était en communication avec la maison du fermier.
Dans le château, se tiennent, dans une attitude martiale, quarante hommes résolus, choisis entre les vaillants d'Israël, auxquels il faut ajouter une quinzaine de pauvres diables qui n'ont pas légué leur nom à la postérité, par la bonne raison qu'ils n'ont pu, faute de temps, ni se reconnaître ni reconnaître leurs compagnons de combat.
Le chef de la bande est un ex-officier de la garde royale, Eugène de Girardin. A ses côtés, se tiennent ses trois frères, Egisthe, Victor et Emmanuel, puis M. de Chevreuse, les trois Fouré, les Joulin, père et fils, les deux Aubert, les deux François, etc., peu de nobles, quelques séminaristes, surtout des paysans jeunes et vieux, qui, unis par les liens d'une étroite parenté, se sentent forts en se serrant les coudes. Ils sont fiers de leurs fusils, et surtout caressent de la main de lourdes espingoles de cuivre qu'ils chargent, jusqu'à la gueule, de dix-huit à vingt-cinq balles.
Après la première décharge de mousqueterie dont elle avait été saluée, la troupe de l'autorité, se voyant trop peu nombreuse pour opérer avantageusement, était restée au port d'armes, tout en se rafraîchissant. Arrive le renfort demandé, quarante-cinq hommes en un paquet. Désormais on peut prendre l'offensive... Il est environ onze heures quand on enfonce les portes d'une maison de fermier, en communication avec la cour du côté de l'est, et qu'on commence les hostilités. Un garde national, tailleur de pierres de son métier, pratique une ouverture dans le mur d'un bâtiment servant de pressoir et la fusillade s'engage.
Neuf à dix espingoles, maniées par les plus habiles tireurs de la bande insurgée, crachent leur mitraille, et, le coup parti, sont passées aux camarades placés derrière qui les rechargent avec rapidité. La fusillade ne chôme pas. Au milieu des détonations qui se répondent, le clairon Monnier souffle l'ardeur aux siens et jette aux champs voisins un appel désespéré. Les soldats embusqués ripostent, mais leurs balles vont s'aplatir sur les murs, sans blesser personne. Honteux de cette infériorité, les plus hardis (et de ce nombre est Frise-Poulet) s'élancent et vont se loger dans la chapelle, distante du pressoir de sept mètres environ. Du chœur, par une fenêtre, ils observent les croisées du château qui font face. L'idée vient à Frise-Poulet, autrement dit à Charbonneau, de faire flamber les chouans. Elle est accueillie par des bravos. Le grenadier Pléchaud, d'un coup de crosse, fait voler la croisée du chœur en éclats, et, par là, on jette. auprès des abat-vent du rez-de-chaussée, des fagots de fournilles et de genêts, qu'on transporte au bout des baïonnettes. Ensuite, en enflamme une pincée de poudre dans le bassinet d'un fusil, on y allume une poignée de filasse et Pléchand s'élance attacher la mèche incendiaire aux fagots. Sept balles lui transpercent les cuisses. Il tombe. Les camarades exaspérés sortent à leur tour. Les fagots flambent bientôt, aux applaudissements des militaires et des nationaux. L'incendie dévore le bois des fenêtres, de la porte, et la fumée qui entre par les ouvertures force les défenseurs à évacuer le rez-de-chaussée.
Il pouvait être alors entre trois et quatre heures, la face du combat change avec le commandant Georges, qui fait preuve, en cette occurrence, d'une grande célérité. A onze heures du matin, il fouillait Maisdon, s'emparait des munitions cachées dans la cure de ce lieu ; à trois heures et demie, il était de retour à Clisson. Là il apprend qu'on se bat à la Pénissière, distante d'une lieue et demie. Le temps de faire déposer les sacs, de battre l'appel, et le bataillon s'élance au pas de course dans la direction de la fusillade. A quatre heures, ils avaient rejoint les combattants. Le commandant Georges avait alors sous sa main cinq à six cents hommes. Il prend ses positions de combat : il place, à l'arrière-garde, un peloton de militaires et de nationaux qu'il charge de veiller sur ses derrières, en même temps qu'ils garderont les blessés étendus sur de la paille et des couvertures, dans un hangar attenant à une maison de fermier, sise en dehors des murs d'enceinte. Puis la bataille recommence.
Le tambour bat la charge, les grenadiers s'élancent, poussant des hurrahs formidables : Mort aux brigands. Les partisans ripostent en criant : vive Madame, vive Henri V, vive la ligue, à mort les nationaux ! Le clairon Monnier répond par des sons stridents, d'une étonnante énergie, aux roulements du tambour ; la flamme qui crépite mêle son grondement au bruit général.
Les portes, les croisées sont mises en pièces, à coups de barres de fer, à coups de fusils tirés dans les serrures. La foule hurlante s'engouffre dans le rez-de-chaussée qu'elle trouve désert, quand entre les solives, par les intervalles du plancher décarrelé, les espingoles jettent le désordre dans la troupe des assaillants. Un caporal tombe mortellement frappé, plusieurs grenadiers sont blessés. Des cris de rage répondent aux cris de triomphe sauvages. Encore une fois, la petite troupe recule. Mais on vient de découvrir une échelle, on l'applique au mur et un soldat, plus audacieux que ses compagnons, enlève plusieurs tuiles du toit et lance dans la charpente un brandon allumé.
Là encore, l'incendie se propage avec rapidité. Le feu sur la tête, le feu sous les pieds, la troupe de Girardin semble une troupe de diables qui se jouent dans une fournaise. Et le clairon, et le tambour, et l'incendie font rage. Malgré le feu des fenêtres, un peloton, composé de sept hommes, se risque dans le jardin. Aussitôt, quatre espingoles sont braquées sur les imprudents. Desnos, tambour de la garde nationale, a son bonnet de police traversé par une balle ; un officier un bouton de son habit emporté; mais pas de mort à déplorer.
A la fin, la situation était devenue intolérable pour les assiégés : le feu prenait au plancher. Mieux valait risquer une sortie que d'attendre le moment où il faudrait périr dans le brasier. De Girardin confie à Lévêque le commandement de huit hommes qui resteront dans le château pour couvrir la retraite du reste de la bande. Les uns sautent dans le jardin, les autres dans la prairie du nord. A cet endroit, les fenêtres ont huit mètres de hauteur. Heureusement qu'un grand prunier élève ses branches presque à ce niveau. S'élancer sur une branche du prunier, s'abaisser avec elle, et, grâce à ce jeu de tremplin, dégringoler dans le pré sans se faire de mal, tel est le parti qu'embrasse la majorité. Une fois dans la prairie, on avait de l'eau jusqu'à mi-jambe. De là, on gagnait un champ de genêt, où il était facile de disparaître. Déjà, une partie de la troupe s'était échappée en tapinois, sans rodomontade, par conséquent Monnier avait caché son clairon, bien que Crétineau-Joly le lui ai fait emboucher. Georges s'aperçoit de la fuite et donne l'ordre d'ouvrir une brèche dans le mur du jardin, pour surveiller la sortie. Emmanuel de Girardin, en ce moment, sautait du prunier. Plusieurs coups de feu l'étendent mort. Emmi, Mony, Gazeau, Leclerc, Jarry sont, les uns fusillés, les autres percés de baïonnettes au moment où ils essaient de s'enfuir. Un sergent beauceron, qui logeait chez les Gautret, se distingua par ce genre d'exploits.
A six heures arrive un nouveau renfort de cent hommes qui veulent prendre part à la chasse à l'homme, fouillent les taillis, tuent ceux qui font feu et, parmi eux, un nommé Douillard qui passait pour être chef de paysans.
Neuf heures. La nuit vient. Plus de cartouches, deux espingoles hors de service Lévêque voit que toute résistance est désormais inutile : mais se rendre, jamais ! Au-dessus du château en flammes, l'orage gronde toujours. Partout la mort. Blottis dans l'angle d'une grande chambre, les huit abandonnés, qui se sont sacrifiés pour sauver leurs compagnons, attendent, frémissants d'impatience, l'heure fatale qui approche. Le toit embrasé éclate et s'abîme sur eux. Heureusement un pan de mur détourne l'avalanche de feu. La trouée qui vient de se faire leur donne un peu d'air frais ; il n'était que temps, la fumée commençait à les asphyxier. Le ciel, en même temps, fait ruisseler une pluie d'orage qui apaise la flamme autour d'eux. Bientôt ils ont découvert l'échelle abandonnée le long du mur de façade. Ils descendent. Lévêque veille et ne sort du manoir que le dernier. Ils s'en vont emportant, sur leurs fusils disposés en litière, un de leurs compagnons que la fièvre avait empêché de combattre. Et, au moment où Georges les croit ensevelis sous des monceaux de cendre, ils sont en lieu sûr.
Le lendemain, on fit des perquisitions dans le château abandonné. Sur un mur on put lire une inscription tracée au charbon : "Mort au traître de Z***" en toutes lettres. On découvrit des cachemires, des couverts d'argent, des espingoles, une soutane ; mais on ne mit la main sur un ancien partisan de la duchesse.
La victoire coûta à l'armée philippiste dix blessés et quatre morts. Il y a loin de ce chiffre restreint au chiffre fantaisiste de Crétineau-Joly. Le nôtre est celui que le commandant Georges donne dans le rapport qu'il expédia au général Dermoncourt, à la date du 15 juin. A cette date c'est-à-dire huit jours après, la Pénissière brûlait encore… On ne sait ce qu'on doit admirer le plus ou de l'acharnement de la défense, ou du courage déployé dans l'attaque."6
6 Il a paru, en 1834, chez Dentu, un poème intitulé : Les Quarante de la Pénissière, avec cette épigraphe :
France, théâtre du malheur,
France, trop lâchement trompée,
Apprends que la vieille Vendée
Est le berceau de la valeur.
(Echos du Bocage Vendéen, 3e année n°81, Dr Z.
"Telle fut cette journée sanglante et glorieuse, bien digne de clore cette grande épopée qui commence en 1793 et se termine en 1832. Ce fut, à proprement parler, la dernière bataille livrée pour la défense de la royauté légitime. La duchesse de Berry pleura, en l'entendant raconter. La Vendée militaire sembla être descendue dans la tombe avec Emmanuel de Girardin et ses valeureux compagnons.
Ils dorment, les braves, enveloppés dans les plis du drapeau blanc fleurdelisé ! ils dorment jusqu'au jour où se lèvera le chantre prédestiné qui doit les faire revivre !
En attendant, le temps accumule sur leurs noms son rayonnement et son prestige. Leur mémoire grandit, et c'est justice. L'histoire a immortalisé les Coclès et les Léonidas. Quand on s'interroge, on ne voit pas bien ce que les Chouans de la Pénissière pourraient envier à ces héros."
(Alcide Leroux, Vendée militaire)
"Aujourd'hui le vieux château de la Pénissière subsiste encore ; son squelette noirci par la poudre et l'incendie ; ses murs d'enceinte, dont le crénelage irrégulier retrace parfaitement l'admirable résistance des héros assiégés, semblent des murs de cimetière au milieu duquel se trouve une sépulture de famille abandonnée. Rien de plus merveilleux, et pourtant rien de plus exact que le récit de cet immortel fait d'armes. Dans le champ qui fait partie de l'enclos, on voit çà et là quelques tombes, dont la seule marque de distinction est une croix de bois, renouvelée par la piété des habitants. On ne peut se faire une idée de l'impression produite par ces lieux si féconds en souvenirs.
Je ne veux pas oublier de dire qu'en apprenant le combat de la Pénissière, les paysans des environs s'empressèrent de prendre les armes. MM. de N… et de C… se mirent à leur tête et se portèrent en toute hâte au secours des braves assiégés ; mais au moment où ils allaient arriver près d'eux, on leur annonça que les troupes venaient de se retirer, croyant avoir englouti les Vendéens dans une fournaise ardente."
(Auguste Johanet, La Vendée à trois époques)
L'auteur écrivait en 1840. Le château a été démoli depuis.
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