la Brossière
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Une métairie perdue dans un bout du monde
"La Brossière" est un village qui depuis toujours n’est composé que par une seule exploitation agricole et qui se trouve dans un site particulièrement isolé. L’étroite route qui y descend s’y termine en impasse tandis qu’un peu en contrebas coule "la Jaranne", et que sur le versant opposé des bois ferment l’horizon.
En 2019, "la Brossière" avec en arrière-plan les bois du château de la Métairie,
dont elle est séparée par le cours de "la Jaranne" ;
et, venant du bourg du Poiré, le premier des trois étangs qui la précédent.
On ne sait rien sur ses origines, mais ayant toujours dépendu du château voisin de "la Métairie", elle en a eu les mêmes propriétaires. Le plus ancien connu est un certain Jean de la Métairie qui vécut autour de 13431. Ce furent ensuite les Merleau dont une fille épousera en 1470 un Jean Marchand, puis par succession elle passa autour de 1648 aux Vaz de Mello, une famille nantaise aux lointaines origines portugaises. Ce sont eux qui étaient propriétaires de "la Brossière" à la fin du XVIIIe siècle, tandis que les métayers en étaient alors la famille de Jean Grolon2, que l’on retrouve parmi ceux qui ont soutenu Charette en son temps3.
La Révolution ayant fait périr tous les membres de la famille Vaz de Mello et ayant séquestré leurs biens, "la Brossière", avec tout l’amenage4 de "la Métairie", fut cédée le 1er mai 17985, au général républicain Travot, principalement connu pour avoir capturé Charette le 23 mars 17966.
Grâce à cette mise sous séquestre5, que l'on connaît parcelle par parcelle la composition de la métairie de "la Brossière" à la fin du XVIIIe siècle, où elle s’étend sur 261 boisselées, soit 29,75 ha (1 boisselée valant au Poiré 0,114 ha7). On retrouve ces mêmes parcelles quarante ans plus tard sur le cadastre du Poiré de 1836, mais elles y sont désormais mesurées 42,24 ha, tandis que l’ensemble lui aussi inchangé des biens du général Travot sur le Poiré qui contenait 817 boisselées (93,138 ha) en 1798, était cette fois-ci mesuré 161,83 ha en 1836. Ces écarts se retrouvent dans le même sens pour le plus grand nombre des quelque quarante autres métairies qui, sur le Poiré d’alors, qui devinrent biens nationaux telles celles du "Deffend", de "la Vieille Verrerie", des "Petits Oiseaux"… mais aussi au "Chiron" et ailleurs… Les estimateurs de ces biens en 1797-1798 et ceux faisant partie de leurs relations, étant aussi de ceux qui étaient susceptibles de les acheter8, certains ont pu voir dans cette réduction de l’ordre de plus d’un tiers de leurs surfaces estimées, une façon astucieuse pour pouvoir les acquérir à meilleur marché9.
Cependant, après la mort du général Travot en janvier 1836 dans une "maison de santé" (asile pour aliénés mentaux) parisienne, l’ensemble de ses biens, dont les 42,5 ha de "la Brossière" d’alors, fut vendu en 1837 à Ossian Morin d'Yvonnière (1814-1890), passa ensuite à sa fille Berthe, puis à sa petite-fille Yvonne (épouse Allard), et enfin au fils de cette dernière, Yves de La Thébeaudière (1901-1992), père de son propriétaire de 201910.
Bien que "la Brossière" eût sa surface réduite pour rééquilibrer l’ensemble du domaine de "château de la Métairie", elle garda sa structure faite de parcelles groupées et relativement grandes, contrastant avec celle des exploitations plus petites des villages voisins de "la Grande Roulière", "la Favrie" ou "la Maumernière", aux parcelles dispersées et plus petites7.
Superposition des limites de la métairie de "la Brossière" en 1798[[#ref_5]]
sur une vue aérienne du 27 juillet 1950
(environ : 1160 x 1100 m).
Superposition des limites de la métairie de "la Brossière" en 18365
sur une vue aérienne de la fin d’été 2014
(environ : 1160 x 1100 m).
Entre 1990 et 2010, alors que près de la moitié des exploitations agricoles du Poiré avaient disparu, celle de "la Brossière" s’était maintenue, mais de nombreuses haies avaient été arrachées. En 1973 une seconde maison s’était ajoutée, et en 2017 le cabanon, établi en bordure des étangs de pêche voisins créés en 1968, avait été transformé en habitation.
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Auguste Bernard (1887-1987), issu de "la Brossière", devenu citoyen de l'Alberta
En 1857 est né à "la Brossière", Jacques Bernard († 1896), dont un des fils, Auguste, a été de ceux qui, du Poiré et alentours, partirent vivre leur vie dans des pays lointains. Une vie devant être évoquée ici, vu ses origines.
Auguste Bernard est né en 1887. En tant que novice de la congrégation des Frères Lassaliens, il fut expulsé de France en 1904-1905 par les lois anticongréganistes lors la séparation des Eglises et de l’Etat, un procédé utilisé par les gouvernements de l’époque pour se débarrasser de potentiels opposants. Balloté entre l’Angleterre et les Etats-Unis, et ayant choisi de quitter sa congrégation, il gagna Montréal où il se fit embaucher pour la construction de voies ferrées par le Chemin de fer Canadien Pacifique (Canadian Parcific Railway) qui développait son réseau dans l’ouest canadien. A la veille de 1914, il décida de devenir colon et obtint une concession de 160 acres (65 hectares) de terres près de Provost dans l’est de l’Alberta.
La guerre venant d’être déclarée, il s’engagea par fidélité à sa mère-patrie comme volontaire dans le Corps expéditionnaire canadien d’outremer (Canadian Overseas Expeditionary Force) et fut envoyé sur le front en Europe. Cependant, cela lui valut des problèmes avec l’administration française qui, après l’avoir chassé hors de France dix ans plus tôt, le poursuivit comme insoumis pour ne pas y avoir satisfait aux obligations militaires. Ces difficultés ayant été aplanies quelques mois plus tard, il participa à la bataille d’Ypres du printemps 1915, où il fut gravement gazé. De retour au Canada, il reçut en tant que démobilisé "un quart de section" de terres, ce qui doubla la taille de sa "ferme de Belleville" ("Belleville’s Farm").
Il revint brièvement en Vendée pour se marier le 11 novembre 1919 avec Marie Seiller, née en 1894 à Saligny. Il agrandit son exploitation canadienne qui, bientôt, dépassa les 1000 acres (400 ha). Parlant parfaitement l’anglais, il participa activement à la vie locale : reconstruction de son église paroissiale (Saint-Norbert de Rosenheim), construction d’une école (Belleville’s School)… et, en dépit de la crise climatique et agricole des années 1930, y poursuivit son activité jusqu’en 1941, date à laquelle il alla habiter et travailler à Calgary, principale ville de l’Alberta.
En 1956, le voyage dans sa famille en France, de son épouse, n’est pas passé inaperçu au Poiré, tant par la distance qu’elle avait dû parcourir pour y venir, que pour la quantité d’objets religieux qu’elle ramena de son pèlerinage à Lourdes, pour les membres de sa paroisse. Auguste Bernard est mort à Calgary, le 12 juin 198711.
Au centre de la photo du haut : Auguste Bernard et sa famille en 1894 ;
et sur la photo du bas, Auguste Bernard et son épouse, Marie Seiller,
lors de leurs 50 ans de mariage, en 1969 à Calgary, dans leur église paroissiale.
La localisation de sa "Ferme de Belleville" / "Belleville’s Farm", en Alberta.
(photos reproduites avec l’autorisation de J. Colleu11)
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Notes, sources et références
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Raigniac (Guy de), De Châteaux en Logis, itinéraires des familles de la Vendée, t. IV, 1992, p. 82 à 87 ; ainsi que le Fonds Pierre Parois, notices sur le Poiré-sur-Vie (Arch. mun. de Saint-Philbert-de-Bouaine).
2 Un des fils de Jean Grolon (v.1740-1804), Pierre (1772-1852) épousa en 1802 Marie Trichet (1778-1866), qui est connue par le témoignage qu’elle a laissé vers la fin de sa vie, sur l’incendie et le massacre en juin 1794 du village de "la Bultière" de Beaufou où sa famille était venue habiter. Un témoignage qui fut recueilli et rapporté entre 1861 et 1872 par Jacques Faucheron dans Histoire de Beaufou et légendes pieuses, 3 cahiers manuscrits, 80 p., 117 p. et 191 p.
3 Voir "les Réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré" effectuées en 1793-1795 auprès des habitants de "la Brossière".
4 "L’amenage" était l’ensemble "d’un domaine, de propriétés" (Verrier et Onillon, Glossaire des parlers de l’Anjou, 1908, t.1, p. 33). Passant par l’anglais, ce terme est revenu en français actuel avec "manager", ayant toujours le sens de gérer et de diriger une entreprise ou des biens. Celui de "la Métairie" était constitué du château et de sa réserve, terres en dépendant immédiatement, des quatre métairies contiguës dites "du logis", "de la porte", "d’en haut" et "d’en bas", et de celle de "la Brossière".
5 Dossiers des procès-verbaux d’estimations et d’adjudications des biens nationaux (Arch. dép. de la Vendée : 1 Q 212 et 1 Q 250).
6 Jean-Pierre Travot, né à Poligny le 7 janvier 1767, s’était engagé dans l’armée fin 1786, et l’avait quittée dix-huit mois plus tard avec le grade de caporal. En 1791, quand il reprit du service, il avait celui de lieutenant-colonel. A la fin de l’été 1793 puis les années suivantes, il fit partie de "l’armée de Mayence" envoyée faire de la répression en Vendée. On lui attribua la bonne réputation d’y avoir "fait tuer avec modération". Ainsi, lors de son fait d’arme le plus connu, la capture de Charette le 23 mars 1796, s’il fit abattre sur le champ ceux qu’il fit prisonniers, il épargna Charette qui, envoyé à Nantes, y sera exécuté six jours plus tard. Cette carrière militaire en Vendée lui permit d’y acquérir un certain nombre de biens nationaux, et d’obtenir un titre de baron en 1813 (avec, ci-contre, des armoiries aux significations transparentes). Rallié à Napoléon lors de la vaine tentative de celui-ci pour reprendre le pouvoir en 1815, il fut traduit devant un conseil de guerre l’année suivante. Mentalement fragile, il sombrera dans la folie et terminera sa vie dans une "maison de santé" à Montmartre, le 6 janvier 1836. Plus tard son nom sera gravé sur l’Arc de Triomphe de l’Étoile à Paris, avec ceux d’autres ayant eux aussi glorieusement fait tuer y compris lors des nombreux combats de l’époque.
7 Plans et registres cadastraux de 1836 du Poiré-sur-Vie (Arch. dép. de la Vendée : 3P 178).
8 Ces estimations furent faites par Henri-Jean Caillé (1753-1804) et par le notaire André-Philippe Danyau (1762-1813), tous deux bien placés pour cela, étant à la fois républicains, propriétaires fonciers, et, en tant que tels, ayant été installés comme membres de l’administration municipale du Poiré par le pouvoir de l’époque.
9 Voir le Tableau comparatif des surfaces des parcelles de la métairie de "la Brossière" en 1836 et en 1798 (ainsi que la transcription in extenso du "PROCES-VERBAL de consistance et d’estimation du domaine national de la maison principale, des borderies et métairies du ci-devant château de la Métairie provenant de Vaz de Mello émigré", 16 pages). Le rapport hectare / boisselée indiqué sur le cadastre de 1836 vérifié, la possibilité est forte que l’on soit en présence d’erreurs faites intentionnellement et pour leur plus grand profit, par les estimateurs qui avec leurs relations sociales faisaient aussi partie de ceux susceptibles d’acquérir lors de leurs adjudications, les biens qu’ils avaient eu à estimer auparavant.
10 Entretien en 2016 avec Gilles de La Thébeaudière, né en 1944 et fils d’Yves de La Thébeaudière.
11 Souvenirs familiaux et entretiens avec Jacqueline Colleu, auteure de : Les Vendéens au Canada, une épopée migratoire 1880-1920, 2016 (cf. les pages 303 à 307).
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