la Cordinière
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Le village de "la Cordinière"
Le village de "la Cordinière" est situé au sud de "la Vie" qu’il domine d’une vingtaine de mètres, à un endroit où la vallée de celle-ci est relativement rétrécie et encaissée.
"La Cordinière" dominant la vallée de "la Vie",
vue en 2017 à partir de "la Roussetière" voisine.
et dessinée en 1996 par Olivier Dugast,
dans une étude visant à restaurer le patrimoine architectural rural local.
A la fin du XVIIIe siècle, "la Cordinière" n’était constituée que de deux métairies, des Micheau et des Montassier, qu’on trouve du côté de l’insurrection vendéenne, entre 1793 et 17961. Au total, elle comptait une douzaine d’habitants.
Autour de 1870, les deux métairies furent réunies, et les bâtiments reconstruits suivant le modèle se répandant alors, et constitués d’une part d’une vaste grange-étable au toit à deux pans, et d’autre part de bâtiments d’habitation formant ici une barre, plus quelques annexes2.
L’activité agricole à "la Cordinière" s’est brutalement arrêtée en 1982. Depuis cette date, le village n’a plus qu’une fonction résidentielle.
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Les "moulins des Cordinières"
A quelques centaines de mètres au sud-est de "la Cordinière" se trouvait un groupe de six moulins à vent très connus, aujourd’hui disparus, et auxquels on donnait le nom de "moulins de la Cordinière" ou de "moulins des Cordinières". Ils se trouvaient à un endroit particulièrement venté en raison de son altitude légèrement proéminente, autour de 70 m, et de son voisinage avec le creux formé par la vallée de "la Vie". Leur nombre avait varié au fil du temps. Si en 1836, le premier cadastre en dénombre six, situés à quelques dizaines de mètres les uns des autres3, vers 1760 la carte de Cassini n’en indique que trois, à savoir : le "Grand Moulin", le "moulin du Milieu" et le "moulin de la Hutte", auxquels s’ajoutèrent plus tard deux "moulin Neuf" (que l’on distinguait l’un de l’autre par le nom de leur propriétaire) et, situé un peu à l’écart, le "moulin Rouge"4.
Les six "moulins des Cordinières" aujourd’hui disparus :
- au nombre de trois, vers 1760 sur la carte de Cassini ;
- devenus six sur le plan cadastral de 1836 (environ 420 x 245 m) ;
- et enfin la localisation de leur ancien emplacement
sur une vue aérienne en 2014 (environ 700 x 690 m).
- en 1836, le "Grand Moulin" (C 1386, sur le cadastre de l’époque) appartenant aux meuniers Mathurin Guillet et Jean-Baptiste Laurenceau, de "Montorgueil" ; il fut démoli en 1900.
- le "moulin du Milieu" (C 1396) appartenant en 1836 au meunier Mathurin Guillet, de "la Turquoisière" ; quand il fut démoli, en 1865, il appartenait à Aimé Birotheau.
- le "moulin de la Hutte" (C 1391) appartenant en 1836 à Mathurin Guillet de "la Roussetière", et en 1872, à Pierre Gillaizeau de "l’Orbreteau" puis du "Beignon-Jauffrit" ; et enfin à Jean Guillet et à Jean Favroul quand il fut démoli en 1880.
- en 1836, le premier "moulin Neuf" (C 1402) étant la propriété de Jean Guillet de "la Jucaillère" ; et lorsqu’il fut démoli en 1870, celle d’André Bouhier, de ce même village.
- le second "moulin Neuf" (C 1394) appartenant en 1836 à Jean Morilleau, du village "le Chemin", et en 1891 au meunier Henri Morilleau-fils, de ce même village ; il fut démoli en 1926.
- le "moulin Rouge" (C 1230) était aussi appelé "moulin du Chemin"5, du nom du village voisin où habitait Jean Morilleau, son meunier et son propriétaire en 1836 ; il fut démoli autour de 1888.
Les fantômes de cinq des "moulins des Cordinières" sur leur ancien emplacement de 1836
(vue prise en direction du nord, en 2017,
à partir de l’emplacement du sixième de ces moulins) ;
et quelques débris de meules restés dans un talus.
A l’époque de ces moulins, et afin de ne pas leur ôter le vent,
les haies étaient moins denses et surtout moins hautes
que celles supprimées dans les années 1980, suite au remembrement.
Pendant la Révolution, dans les années 1793 et suivantes, les "moulins des Cordinières" eurent à subir la politique de la Convention visant à affamer la population locale, voire à la faire disparaître. Il en reste le témoignage de Lucas Championnière qui évoque qu’en 1794 :
"le pays était garni de troupes et les vivres y manquaient presque totalement, mais ce qui nous incommodait le plus était le défaut de moulins ; ils avaient été tous incendiés et nous n’avions pour ressource que de petits moulins à bras qui servent ordinairement au blé noir".6
Les meuniers des "moulins des Cordinières" furent de ceux qui s’opposèrent au nouveau régime politique et à ses nouveaux privilégiés. Dans les années qui suivirent, non seulement ils durent reconstruire leurs moulins détruits, mais ils eurent aussi à supporter…
"la gendarmerie chargée de faire des visites domiciliaires chez les citoyens Pierre Raynard fils, farinier, Mathurin Guillet, farinier, Jean Morilleau, farinier, demeurant à la Turquoisière […] Joseph Guillet farinier, à la Jucaillère ; Mathurin Guillet, farinier, demeurant à l’Orcière […] et d’arrêter les individus qui s’y trouvent cachés […] et enlever toutes les armes qui peuvent s’y trouver"7.
En leur temps, ces moulins transformaient en farine les céréales (les "bleds", dont le froment) du voisinage, chacun au rythme moyen de 250 à 400 kg par jour.
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Les moulins à vent et à eau du Poiré
Sur le cadastre de 1836, les six "moulins des Cordinières" faisaient partie des 32 moulins à vent (et 3 à eau) se trouvant sur les 8107 ha de la commune du Poiré d’alors3. A cette date d’autres moulins n’étaient déjà plus qu’un souvenir, tandis que certains autres ne furent construits que plus tard. Au total, et sur l’étendue de la commune du Poiré d’alors, on a pu déceler l’existence, à une époque ou à une autre, d’au moins 53 à 55 moulins, dont 11 moulins à eau et 42 à 44 moulins à vent4. A cela il faudrait ajouter la présence ici et là du toponyme "tonnelle" (13 en 1836 sur le cadastre du Poiré3), car c’était ainsi qu’on appelait la base maçonnée des moulins à vent plus anciens, les "moulins turquois" (un nom qui venait de leur origine proche-orientale8). Aussi ces "tonnelles", font présumer de l’existence antérieurement en ces endroits d’autres moulins à vent disparus4.
Contrairement aux moulins à eau qui laissent des traces dans le paysage, longtemps après la fin de leur activité les moulins à vent disparaissent rapidement. Ainsi pour les "moulins des Cordinières" : à part quelques pierres et débris de meules perdus dans une haie, il n’en subsistait rien en 2019.
La fiscalité a été une des principales causes de la rapide disparition des moulins à vent. Quand leur activité s’arrêtait, les propriétaires devaient, pour ne plus être taxés, apporter la preuve de cette cessation à l’administration fiscale. Initialement, cela passa par la simple obligation d’en déposer les ailes, puis, pour s’éviter un répétitif travail de vérifications, cette administration poussa à une destruction pure et simple de ceux des moulins qui étaient devenus inactifs.
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Représentations des moulins à vent d’autrefois
Les caractéristiques techniques et l’architecture des moulins à vent ont évolué au cours du temps. Avant le XIXe siècle pour le Poiré ou ses environs, leurs représentations sont rares. Cependant Lambert Doomer (1624-1700), peintre hollandais de passage à Nantes, a laissé en 1645 deux "Moulin à vent sur la route de Vieillevigne"9, donnant une représentation de ce qu’étaient alors les "moulin turquois" de la région.
Sur son "Plan figuratif du château d'Apremont et du cours de la rivière de Vie"10 de 1542, présentant un projet visant à rendre navigable la partie aval de "la Vie", Jehan Florentin figure les moulins à vent se trouvant sur les versants de la rivière entre Apremont et la mer, les uns faits d’une tour simple, les autres constitués d’une cage sur "tonnelle", comme celui de Lambert Doomer vers Vieillevigne.
A gauche : extrait du "rouleau d’Apremont"11 de Jehan Florentin
représentant en 1542 des moulins à vent dans l’aval immédiat du château d’Apremont,
et d’un moulin à eau sur un ruisseau affluent
( ces moulins ayant tous disparu à la fin du XVIIIe siècle ).
A droite : la représentation en 1645 d’un "Moulin à vent sur la route de Vieillevigne",
par Lambert Doomer, et conservée au British Museum, à Londres.
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Notes, sources et références
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Cahier des réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré, extrait : réquisitions à "la Cordinière" (Bibl. mun. de la Roche-sur-Yon : ms 19), et listes nominatives des dénombrements et recensements de 1797 à 1911 (Arch. dép. de la Vendée : 6 M 280).
2 Dugast (Olivier), Le devenir du bâti ancien dans le Bocage de Vendée à travers l’exemple du Poiré-sur-Vie, 1996, p. 19 et 33 à 36.
3 Plan, états de sections et matrices du cadastre de 1836 du Poiré-sur-Vie (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 178). Avant qu’en 1849, sa partie la plus à l’est fût rattachée à Belleville, la commune du Poiré s’étendait sur 8107 ha (contre 7295 ha en 2016) ; en 1836, cela faisait d’elle une des trois plus vastes communes de la Vendée, avec celle d’Aizenay (8105 ha) et celle de Talmont-Saint-Hilaire (8843 ha).
4 Cf. "les Moulins du Poiré-sur-Vie", d’Eugène-Marie Vincent, 2012, 42 p. Une étude exhaustive inédite, s’appuyant sur la carte de Cassini, l’inventaire des documents cadastraux, des actes notariés, des registres d’impositions, et sur des relevés systématiques sur le terrain.
5 A ne pas confondre avec un ancien moulin à eau portant lui aussi le nom de "moulin du Chemin", situé sur "la Vie" en contrebas de "Montorgueil", et à 200 m du "moulin Ragoiller".
6 Lucas Championnière (P.-S.), Mémoires de la Guerre de Vendée (1793-1796), édition 1994, p. 88. Sommé le 10 mars 1793 de se mettre à la tête des insurgés de Brains et du Pellerin, Pierre-Suzanne Lucas de la Championnière (1763-1825) a combattu aux côté de Charette d’octobre 1793 à fin février 1796. Bien qu’à cette dernière date il eût fait une soumission lui promettant la vie sauve, il préféra aller se cacher dans Nantes afin de ne pas être tué comme l’avaient été précédemment tous les membres de sa famille, ou à la même époque d’autres qui avaient eu tort de faire confiance à ces promesses. Il y rédigea les écrits évoqués ci-dessus, qui ne furent cependant publiés que deux générations plus tard, en 1904. Jules Verne, qui était un ami de sa famille, s’inspira librement de l’histoire de sa vie pour son roman Le Comte de Chanteleine (1864) où il montre où vont ses sympathies, et ce qui lui vaudra une censure idéologique qui ne le fera publier qu’un siècle plus tard, en 1971.
7 Délibérations de la municipalité cantonale du Poiré, 7 thermidor an 6 / 25 juillet 1798 (Arch. dép. de la Vendée : L 1238). De la fin 1796 au tout début de 1800, les communes du Poiré, de Beaufou et des Lucs étaient sous la dépendance d’une municipalité unique, exclusivement constituée des quelques partisans locaux du régime politique en place, et étroitement surveillés par un commissaire politique (le notaire André-Philippe Danyau) qui rapportait décadairement leurs faits et gestes aux autorités départementales (Arch. dép. de la Vendée : L 264).
8 La présence de moulins à vent en Europe occidentale ne se serait généralisée, dit-on, qu’à partir du XIIe siècle. Cette diffusion viendrait des expéditions organisées à la fin du XIe siècle afin de donner de nouveau aux pèlerins un libre accès aux Lieux saints, accès qui avait été fermé en 1078 après la prise de Jérusalem par les Turcs On donnera plus tard à ces expéditions le nom de "croisades". Quant aux nouveaux moulins dont la technique avait été rapportée de ce "pays des Turcs", on les appela des "moulins turquois".
9 Lambert Doomer a réalisé au moins deux versions de ce "Moulin à vent sur la route de Vieillevigne", l’une (208 x 285 mm) se trouvant au British Museum, à Londres et l’autre (235 x 357 mm) se trouvant au Musée Boijmans van Beuningen, à Rotterdam.
10 Florentin (Jehan), "Plan figuratif du château d'Apremont et du cours de la rivière de Vie", dit "le rouleau d’Apremont", 1542 (Bibliothèque nationale de France, département des cartes et plans : GE A-364).
11 Pour la présence, ou non, des moulins à la fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe siècle : voir la Carte générale de la France (dite carte de Cassini), feuille 132, "les Sables-d'Olonne", 1768-1770 ; voir aussi les plans cadastraux dit "napoléoniens" (pour le Poiré : Arch. dép. de la Vendée : 3 P 178).
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