la Turquoisière
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"La Turquoisière", un nom venant de "turcois"
Le village de "la Turquoisière" est situé à proximité des "moulins des Cordinières". C’est probablement de cette proximité que provient indirectement son nom.
"La Turquoisière" sur le plan cadastral du Poiré de 1836 et sur une vue aérienne en 2014,
(environ 160 x 155 m),
avec les localisations de l’ancien souterrain, de la pierre gravée "J H M"
ainsi que celle de la maison de Pierre Raynard.
A été indiquée la répartition des propriétés bâties en 1836 :
- une couleur par propriétaire, avec en noir celles appartenant à des personnes extérieures au village ;
les gros point étant les habitations, let les petits points, les autres bâtiments
(entourés de blanc ceux de la métairie de "la Turquoisière").
Jusqu’au cours du XVIIe siècle dans la région, les moulins à vent étaient composés d’une cabine en bois pivotant sur une tour en pierre nommée "tonnelle", ainsi qu’on en voit des représentations sur différents documents de cette époque : en 1542 sur le "rouleau d’Apremont"1, ou un siècle plus tard sur des tableaux de Lambert Doomer, peintre hollandais établi à Nantes… Ils étaient appelés "moulins turquois", en raison de leur origine remontant à un apport des croisades au XIe siècle... D’où le nom de "la Turquoisière", voisine depuis longtemps de nombreux moulins.
A 23 km du Poiré : un "moulin turquois" près de Vieillevigne en 1645
(peinture de Lambert Doomer (1624-1700), 235 x 357 mm,
musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam).
En 1793 ses modestes habitants prirent part, avec ceux de la contrée, à l’insurrection vendéenne. L’un d’eux, "Maître" Pierre Raynard, "farinier" de son métier, y fut très engagé. Il fut l’un des quinze membres élus du "Comité de la paroisse" du Poiré où il est dit "administrateur"2. Il échappa aux massacres perpétrés par les armées révolutionnaires3, mais fut surveillé de près dans les années suivantes et l’objet de visites domiciliaires et de perquisitions répétées de la part des troupes occupant le pays4. En 2016, il avait toujours des descendants sur le Poiré, et des restes en ruine de sa maison subsistaient encore dans le village.
En 1836, le village comptait 34 habitants en 6 familles : trois de meuniers, deux de laboureurs (dont une exploitant une métairie de 29 ha, ce qui était important à l’époque), et la dernière de tisserands5. En dehors de leurs maisons et annexes, chacune d’elles possédait en propre quelques hectares de terres6.
Dans une de leurs maisons à l’extrémité du village, se trouve intégrée dans le manteau d’une cheminée une pierre sculptée provenant d’une maison voisine (en ruine en 1836). Elle porte gravée l’inscription : "J H M" (Jesus Hominibus Miserere / Jésus prend pitié des hommes), qui se retrouve sur une croix autrefois à "l’Idonnière" et aujourd’hui sur le parvis de l’église du Poiré. Des inscriptions à rapprocher du développement, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, symbole de l’amour divin dans l’Église catholique. Ce qui pourrait les faire dater de cette époque.
Inscriptions du croisillon de la croix du parvis de l’église du Poiré
et de la pierre gravée de "la Turquoisière".
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Le plus célèbre des souterrains du Poiré
Cependant, "la Turquoisière" est surtout connue pour la présence d’un souterrain dont la mise au jour, au début de l’année 1928, déclencha une forte et durable curiosité… Le bulletin paroissial, l’Ange gardien du Poiré, en a laissé en plusieurs épisodes une description qui entraîna alors de nombreuses visites :
"[…] La galerie principale forme un circuit fermé avec des galeries rayonnantes au nombre de trois ou quatre. Ces galeries ont à peu près un mètre de largeur. De distance en distance, une ouverture est ménagée, sans doute pour laisser passage à l’air et à la lumière. Elles sont maintenant bouchées […]. Les galeries actuellement explorées mesurent près de 15 m de long […]"7.
Schéma du souterrain de "la Turquoisière", et de coupes de ses "salles",
effectué en 1980 par Eugène-Marie Vincent et Luc Archambaud.
Dans les limites des effondrements, le souterrain faisait
dans sa plus grande longueur environ 15 mètres, avec une largeur des galeries de l’ordre d’un mètre.
Les lettres de A à F localisent les vues ci-après.
C'est sans doute en prenant des matériaux dans le coteau, que fut découvert par hasard en 1928, une extrémité de ce souterrain, qui est devenue son entrée actuelle.
Les travaux de Jérôme et Laurent Triolet sur les souterrains de Vendée8, permettent de voir dans la galerie descendante, à gauche sur le plan ci-dessus9, celle qui servit au creusement du souterrain, à l’évacuation de ses déblais puis qui, rebouchée ensuite, continua à en assurer le drainage ; et à voir dans les deux galeries montantes, en haut du plan, des galeries conduisant à des entrées. Quant à son origine (sans doute au Moyen Age) et sur ses utilisations, elles continuent d’exciter les imaginations.
Depuis 1928, et bien que l’émotion suscitée par sa découverte se soit atténuée et qu’il ne soit plus maintenant qu'un repère de chauves-souris, le "souterrain de la Turquoisière" est devenu une sorte de référence pour les nombreux autres souterrains que le hasard remet ou a remis au jour ici et là sur le territoire du Poiré.
Visite du souterrain de "la Turquoisière" durant l’été 19808, avec :
– A son entrée et B sa voûte – C la galerie principale
– D des coups de pics – E une des cheminées d’aération…
– F quelques-uns de ses habitants saisonniers, des Petits Rhinolophes…
...et en 15 diapositives, sa visite à cette date :
Cliquer sur l'image pour ouvrir le diaporama
Comme pour beaucoup de villages du Poiré et d’ailleurs, toute activité agricole a disparu de "la Turquoisière" dans le dernier quart du XXe siècle. Ce qui s’accompagna du départ de la quasi-totalité de la population d’origine du village. Cependant, la plupart des bâtiments anciens ont échappé à la ruine, ayant été repris par de nouveaux venus. En 2019, "la Turquoisière" était devenue essentiellement résidentielle, ses habitants allant chaque jour travailler à l’extérieur. Une originalité : on comptait parmi eux un auteur de romans policiers.
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Les autres souterrains connus et supposés sur le Poiré
Ce "souterrain de la Turquoisière" est un souterrain parmi d’autres sur la commune du Poiré d’autrefois. Trente-cinq d’entre’eux ont une existence prouvée par des témoignages vérifiés. Les rumeurs ou les on-dits locaux y ajouterait une quinzaine d’autres. La plupart sont situés dans des villages ou à leur proximité. Pour ceux se trouvant en d’autres endroits, on peut y voir des indices de probables lieux d’anciens habitats disparus.
Au sujet de ces souterrains, on évoque aussi parfois les guerres de Vendée. Non qu’ils auraient pu avoir été creusés à cette époque, mais parce que certains auraient pu être utilisés alors au Poiré et dans les communes voisines10.
Effectivement, dans le bourg du Poiré, une tradition de la famille des tanneurs Arnaud, raconte qu’on s’y cachait des soldats républicains dans le souterrain de "la Gibretière", après s’être noirci le visage avec de la suie, afin de ne pas être repéré ; et aussi qu’on y filait la laine pour Charette.
A "la Bugelière" des Lucs, une autre tradition familiale, celle des Simonneau, rapporte que le souterrain qui y a été redécouvert en 1999 par l’association patrimoniale "Lucus", et restauré dans les années suivantes, a servi de cachette provisoire à des membres de cette famille en février 1794.
Plus dramatique est l’histoire du souterrain du bourg de Beaufou, dont la mémoire a été ravivée lors de sa redécouverte en 2007, et lors de son dégagement entre 2014 et 2017 grâce à l’opiniâtreté de l'Association de sauvegarde du patrimoine de Beaufou. En 1794, le mercredi 12 mars, une forte patrouille de soldats révolutionnaires s'était avancée jusqu'au bourg de Beaufou, qui avait déjà été brûlé plusieurs fois. Prévenus, les habitants avaient pris la fuite, sauf une vingtaine qui se cachèrent dans ce souterrain. Mais celui-ci fut découvert par les bleus. N'osant s’y risquer, ils entassèrent du bois à son entrée, y mirent le feu, et ceux qui s’y étaient réfugiés furent asphyxiés, étouffés par le manque d'air et par la fumée11. On rapporte que l'un d'eux, essayant de se sauver, voulut sortir du souterrain en se jetant dans les flammes, mais à peine eût-il apparu qu’un soldat l'abattit d'un coup de sabre donné en plein visage. Quelques-uns des noms de ceux qui périrent ce jour-là ont été conservés, dont celui de Julien Guibreteau, qui a été donné à une place du bourg de Beaufou.
Vues du souterrain du bourg de Beaufou, le 19 juin 2016.
( photos Dominique Chabot, Association de sauvegarde du patrimoine de Beaufou )
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Notes, sources et références...
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Pour "le rouleau d’Apremont", consulter les pages consacrées à la rivière "la Vie", sur ce site "Montaigu-en-Vendée".
2 Cahier des réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré (Méd. mun. de la Roche-sur-Yon : ms 019), réquisitions à la Turquoisière ; voir aussi de Lorvoire (Jean-Claude), "les Réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré-sur-Vie", in Recherches vendéennes, n° 3, 1996, p. 257 à 299.
3 Pour les ravages et massacres causés par les armées républicaines sur le Poiré, voir : Manuscrits de Collinet (1788-1804), éd. du Centre Vendéen de Recherches Historiques, 2003, p. 183 (23 nov. 1793), p. 197 (3 janv. 1794), p. 210 (9 et 12 févr. 1794), p. 291 (16 août 1794)… ou encore l’état de la commune, dressé le 5 floréal de l’an V (24 avril 1797) par la municipalité cantonale nommée par les autorités départementales à l’époque pour "le Poiré-sous-la Roche" (Arch. dép. de la Vendée : L 1238).
4 Délibérations du conseil municipal du Poiré, 7 thermidor an 6 / 25 juillet 1798 (Arch. dép. de la Vendée : L 1238).
5 Liste nominative du recensement de 1836 au Poiré, p. 75 (Arch. dép. de la Vendée : 6 M 280).
6 Plans, états de sections et matrices du cadastre de 1836 du Poiré-sur-Vie (Arch. dép. de la Vendée : 3P 178).
7 Ange gardien du Poiré-sur-Vie, des 5, 12, 20 févr. 1928 (Arch. dép. de la Vendée : BIB PB 454).
8 Triolet (Jérôme) et Triolet (Laurent), les Souterrains de Vendée, 2013, 168 p., extraits.
9 Photos et plan du souterrain, d’E.-M. Vincent et de L. Archambaud lors de visites en 1980.
10 Pour les traditions familiales évoquées, voir les passages correspondants, sur "la Gibretière" ou sur le site de l’Association Lucus, ainsi que dans la Chronique paroissiale de Beaufou…
11 En 2013, dans son essai Un détail inutile ? Le dossier des peaux tannées : Vendée, 1794, le professeur d’histoire parisien Jean-Clément Martin, a indirectement officialisé ces pratiques des troupes révolutionnaires, longtemps niées ou occultées. Avec la reconnaissance de la réalité du tannage de dizaines de peaux humaines, il y ouvre la voie à celles de colliers d’oreilles coupées, de fonderies de graisse humaine, de projets d’élimination de populations par gazages, d’empoisonnement des puits, etc. ou d’enfumages d’habitants comme ici à Beaufou.
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