1789 - passage d'un futur "libertador"
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Ce chapitre devrait être à terme constitué au moins des parties suivantes, susceptibles elles-mêmes d’évoluer au fil du temps…
• 1742 : François-Frédéric Belloüard de Jémonville et la 1re histoire de Montaigu
• XVIIIe siècle, Montaigu centre régional
- 1755-1757 : Montaigu et le grand chemin royal de Nantes à la Rochelle
- au XVIIIe siècle, les poste aux chevaux et poste aux lettres à Montaigu
- 1770 : le seigneur de Montaigu, Jacques-Gabriel Leclerc de Juigné, y développe les foires
- 1775-1783 : l’amiral Du Chaffault et les montacutains dans la guerre d’Indépendance américaine
• 1777-1789 : Auguste Beufvier fonde une 1re société de secours mutuels
• 1783-1786 : Montaigu sur la carte de Cassini…
• 1786 : "Topographie médicale de Montaigu en Poitou" par Richard de la Vergne
• 1789 (avril) : le futur "libertador" Francisco de Miranda à Montaigu
L'insertion de ces différentes parties ne se fera que progressivement. En cas d’utilisation de ces pages, y compris d’extraits, il va de soi qu'on en citera l’origine, l’auteur, et la date à laquelle elles ont été consultées. Enfin, toute remarque sur ce qu'elles contiennent (ou ne contiennent pas), sera la bienvenue (cf. "Contact").
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- 1789 (avril) : le futur "libertador" Francisco de Miranda à Montaigu -
A la mi-avril 1789, le futur "libertador" vénézuélien, Francisco de Miranda, fit halte à Montaigu. Il a laissé dans son Journal de Voyages1, une courte relation donnant quelques aspects de ce que pouvait être la ville, à la veille de la réunion des Etats généraux à Versailles, et de la Révolution.
Né à Caracas en 1750, Francisco de Miranda y était le fils d’un riche commerçant venu des Canaries, et dont un ancêtre aurait participé en 1571 à la bataille de Lépante. Après des études à l’Université royale de Caracas, il partit en 1771 en Espagne, pour débuter une carrière militaire au cours de laquelle il fit preuve d’un caractère difficile, indépendant et peu discipliné. En 1774-1775, il servit au Maroc. En 1780, il fit partie du corps expéditionnaire espagnol envoyé en soutien aux Américains insurgés contre les Anglais et, à partir de Cuba, il participa à des actions en Floride, en Jamaïque et aux Bahamas, tout en étant mêlé à une affaire de trafic d’esclaves. En 1783, il quitta l’armée et, grâce à la fortune familiale, commença six années de voyages, aux Etats-Unis, en Angleterre, Hollande, Prusse, Autriche, Italie, Hongrie, Turquie, Russie, Suède, Norvège, Danemark, Allemagne, Suisse… hésitant entre l’espoir de se voir offrir un rôle important au service de l’Espagne, et un encore très fumeux projet d’une Amérique espagnole indépendante. Fin 1788 début 1789 il était dans le sud de la France d’où il partit vers Bordeaux puis Nantes2.
C’est au cours de ce voyage vers Nantes qu’il passa, le samedi 18 avril 1789, par Montaigu…
Extraits du manuscrit du "Diario de Viajes" de Francisco de Miranda,
aux dates des 18 et 19 avril 1789.
(Colombeia, Archives de Miranda, section II "le Voyageur des Lumières, 1783-1790", tome 17).
Voir transcription et traduction ci-dessous :
Diario de Viajes y Escritos políticos |
Journal de Voyages et Ecrits politiques |
el 18 (…de abril 1789) Estuvo todo pronto, y asi parti á las 5. de la mañana en punto […] Prontos caballos, y así seguimos pr. mui buen camino siempre á St. Hermand (2. pos : d°). Noto que ia la costumbre del aguardiente comiensa, pues los Postillones se paran ia á hechár su trago, como en Dinamarca &c….. Io entré en la Casa de Posta donde comi un trozo de pan, y manteca, heché mi trago, tambien di un pedazo á mi buen Andrés ; y seguimos por pais, y camino semejante á Chantonay (2. pos : d°). Seguimos pr. camino semejante, mas el Pais comiensa á sér quebrado….. Y antes de llegár á la Posta siguiente, se nota sobre la Ysquierda cerca del Camino, la Casa de Campo, y abitacion de mr. de Fourgerai, vasta y bastte. bien situada (casi ninguna mas he visto pr. todo el Camino) y asi segui á St. Fulgent (2. ½ pos : d°). Tuve un poco de Conversacion con la ama de Postas, ínterin se ponian los Caballos, y segui pr. Pais bastante quebrado, y buen camino, hasta la entrada á Montaigu (2. pos : d°) cuio empedrado es tan diabolico, qe, por no rompér el carruaje, me heché a pie. Encontramos mui buena Posada, y alojamiento en el Hotel du Grand-Louis….. Bonissima gente, que me sirvieron Thé luego ; y despues buena sena ; pr. todo lo qual solo cargaron 4. ½ francos….. Me estuve con delicia leiendo el Telemaco hasta las 10. que á la Cama. |
le 18 (…avril 1789) Tout étant près, je suis parti (de la Rochelle) à cinq heures du matin précises […] De bons chevaux, et ainsi nous avons continué par un très bon chemin jusqu’à Saint-Hermand. On note que là commence la coutume de l’eau de vie, et les postillons s’arrêtèrent pour boire un verre, comme au Danemark, etc. Je suis entré dans la maison de poste où j’ai mangé un morceau de pain et de lard, bu un verre, et aussi en ai donné un morceau à mon bon André ; et nous avons continué par un même chemin jusqu’à Chantonnay. Nous avons continué par un chemin semblable, mais le pays a commencé à être accidenté. Avant d’arriver au poste suivant, on note sur la gauche près du chemin la maison de campagne et habitation de M. de Fougeraya, vaste et assez bien située (je n’en ai quasiment pas vu d’autre le long du chemin) et ainsi ai continué jusqu’à à Saint-Fulgent. J’ai un peu parlé avec la maîtresse de poste pendant que l’on changeait les chevaux, et j’ai continué par un pays assez accidenté et un bon chemin jusqu’à l’entrée de Montaigu dont le pavé est si diabolique que, pour ne pas rompre la voiture, j’y suis entré à pied. Nous descendîmes dans une très bonne auberge, l’Hôtel du Grand Louisb. J’y reçus un bon accueil et on m’y servit du thé puis un bon souper, le tout pour seulement 4 ½ francs. J’y passai la soirée à lire avec délices le Télémaque jusqu'à 10 heures du soir. |
Partimos á las 5. en punto, pr. mui buen camino, y el Pais no tan quebrado, hasta Aigrefeuille (1. ½ pos : d°). Aqui termina la jurisdiccion de Poitou ; y se conose al instante por la diferencia absoluta de los caminos, sumamte. malos relativamte. á los antecedentes….. El Postillon me decia que hacia ia 15. años no se les ponia mano ; y asi están ellos. Mas adelante se descubren los bordes de la Loire, qe. se elevan en colinas bastante agradables, y pr. algunas partes pictorescas….. Al llegár á la orilla opuesta á Nantes, está el villaje de Pont Rousseau, por donde se entra en 3. puentes larguisimos que atraviesan el rio, y tres islotes que aqui hai, en una distancia de ¾. de legua. El po se llama Pont Pirmy ; 2do. Pont de la Magdalene ; 3o Pont-de la belle Croix….. Y se entra en la Ciudad donde llegue felizmte. a las 9. a. m. (2 ½ pos : d°) alojandome perfectamente en el Hotel de Henry IV. á la Place-Gralin el mejór, y mas bien reglado auberge que he encontrado aun en Francia […]c. |
Nous sommes partis à cinq heures précises, par un très bon chemin, et le pays est moins accidenté, jusqu’à Aigrefeuille. Là se termine la juridiction du Poitou et cela se voit aussitôt par la différence absolue des routes qui sont maintenant extrêmement mauvaises. Le postillon me disait que c’est seulement depuis quinze ans que l'on commence à s'en soucier, et ainsi sont-elles. Plus loin on découvre les rives de la Loire qui forment des collines assez agréables, et par endroit pittoresques. En arrivant sur la rive opposée à Nantes se trouve le village de Pont-Rousseau, par où on entre par trois ponts très longs sur le fleuve et trois îlots qui s'y trouvent sur une distance de ¾ de lieue. Le premier s'appelle pont de Pirmil, le second pont de la Madeleine, le troisième pont de Belle-Croix, par lesquels j'entrai heureusement dans la ville à 9 h du matin et trouvai tout le confort souhaitable à l'Hôtel de Henri IV, sur la place Graslin, et c'est bien l’auberge la meilleure et la mieux organisée que j'aie encore trouvée en France […] |
a "Le Fougeray" était un village et un château situés immédiatement à l’ouest de l’actuel centre-bourg de l’Oie. Ils furent totalement incendiés en 1793 par les troupes républicaines. Le château, qui ne fut pas relevé, appartenait à Daniel Du Fougerais (1729-1794), d’une famille noble d’origine protestante et bordelaise, et qui avait fait fortune à Saint-Domingue. D’opinion libérale, il y accueillit le 19 février 1791 la "Société itinérante des amis de la Constitution" (affiliée au futur Club des Jacobins). Devant la radicalisation de la Révolution, il rejoignit en mars 1793 l’insurrection vendéenne ; fait prisonnier lors de virée de galerne, il fut exécuté le 5 janvier 1794 à Angers.
b Il s’agit de "l’auberge du Grand Louis", de Louis Ratié, dont la quasi-totalité de la famille disparut en 1793. Les "seulement 4 ½ francs" que lui coûta son passage correspondent à 3,5 journées de travail d’un journalier à cette époque.
c La transcription a conservé l’orthographe particulière du journal de Miranda. Les chiffres entre parenthèses correspondent au temps séparant deux relais. Entre la Rochelle et Nantes, Miranda passa par ceux d’Usseau, Aligre (à Marans), Moreilles, Saint-Hermand (sur Sainte-Hermine), Chantonnay, Saint-Fulgent, Montaigu, Aigrefeuille. Il mit 12 ½ heures de la Rochelle à Montaigu, où il arriva sur les 17 h 30, et 4 heures de Montaigu à Nantes ; soit un voyage effectué à une vitesse moyenne de 9 km / heure, temps de relais inclus.
Miranda en septembre 1788 à Zurich (auteur probable : Jean-Henri Lips,
collection de la Bibliothèque Nationale de Vienne).
Et un demi-siècle plus tard, la "Grand’Rue" et les "Halles" de Montaigu
vues du 1er étage de l’ancienne "auberge du Grand Louis",
où il passa la nuit du samedi 18 au dimanche 19 avril 1789.
(dessin d’Augustin Douillard, vers 1840)
A lire le Journal de Voyages de Francisco de Miranda, son passage à Montaigu avait été des plus agréable et s’était déroulé on ne peut plus paisiblement. Mais si on en croit une lettre envoyée par Jean-Victor Goupilleau (1751-1820) à son frère aîné, le futur conventionnel Philippe-Charles-Aimé Goupilleau de Villeneuve (1749-1823) ce ne fut pas exactement le cas… Selon ce courrier, Francisco de Miranda à son arrivée à Montaigu s’y montra d'une grande arrogance, prenant de haut la maréchaussée locale, et on allait en venir aux mains. Il fallut que Jean-Victor Goupilleau intervînt pour calmer les ardeurs du voyageur sud-américain3.
Le 24 mai 1789, Francisco de Miranda arrivera à Paris. En juin il partira à Londres et rompra avec l’Espagne. En 1792, de retour en France, il se liera aux Girondins, et sera à Valmy à côté de Dumouriez avec lequel il se brouillera bientôt. En juin 1793, ces amitiés politiques lui vaudront la prison dont il ne sortit qu'au début de 1795.
(ci-contre : Francisco de Miranda en 1793 - eau forte de Charles-Etienne Gaucher)
En 1798, il passera en Angleterre, puis de nouveau en France, puis en Angleterre… poursuivant désormais réellement des projets d’Amérique espagnole indépendante. En 1810 il sera rejoint à Londres par Simon Bolivar, avec lequel il rentrera au Vénézuéla pour y commencer la lutte contre les troupes espagnoles. Mais les vanités, les ambitions et intérêts personnels, les luttes pour le pouvoir, primant sur les grands principes affichés, Bolivar, en bon révolutionnaire, le livrera deux ans plus tard à celles-ci, et il mourra en prison près de Cadix en 1816.
Quant à Jean-Victor Goupilleau, il obtint en 1790 le poste de "commissaire national près le tribunal du District de Montaigu". Il sera le dernier, le 30 janvier 1793, à y condamner des prévenus à la peine du pilori, c’est-à-dire à être exposé sur un échafaudage devant les Halles de la ville, avec un écriteau informant les passants des motifs de leur condamnation4. Lors de l’insurrection vendéenne, en mars 1793, il se réfugiera à Nantes, avec femme, enfants et domesticité, comme les quelques autres familles de Montaigu ralliées au nouveau régime politique, et quand en septembre suivant il fut rejoint par d’autres membres de sa famille dangereusement inquiétés comme suspects par les autorités révolutionnaires, il n’hésitera pas à refuser à leur venir en aide5. Quelques mois plus tard, il sera un partisan déterminé des colonnes infernales mais tout en étant soucieux de la préservation des biens familiaux, ainsi leur demande-t-il de "se borner à la destruction totale des brigands [mais de] se dispenser de brûler indistinctement partout où l’armée révolutionnaire passe"6.
En 1803, il détient l’important et lucratif poste de "receveur général" à Auxerre où il prendra bientôt sa retraite, et où sa famille s’intégrera aux notabilités de la bourgeoisie voire de l’aristocratie locales, une des ambitions familiales. Elle y fera souche7, et c'est là qu’il mourra en juillet 1820.
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Notes, sources et références...
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Les Archives du général Miranda ont été publiées de 1929 à 1950, et ont été numérisées par la Bibliothèque numérique hispanique. L’extrait de son Journal de Voyages, cité ici, provient de leur tome IV, p. 254-255 (p. 1805-1806, sur 11463, de l’ensemble de la publication). Voir aussi de Charles Lemaire : "Miranda en Bretagne (1789)", in Annales de Bretagne, tome 79, n°2, 1972, p. 394-395.
2 Pour une biographie détaillée et abondamment illustrée, cf. "¿ Miranda, precursor o libertador ?", in Memorias de Venezuela, n°38, juillet 2016, 50 p. Voir aussi la présentation des "Diario de viajes y escritos políticos" de Francisco de Miranda, faite par Mario H. Sanchez-Barba, 1977, p. 9 à 39.
3 Cf. la correspondance de Philippe-Charles-Aimé Goupilleau, Fonds Dugast-Matifeux, tome Ier, "Documents révolutionnaires", 1re et 2e série ; tome II, "Documents divers" : familles bretonnes et vendéennes, dossier 104 (Bibl. mun. de Nantes).
4 A savoir Julien Huchet, Jean-Baptiste Goisneau et Jean Ferchaud (Lettre du 30 janvier 1793 de Jean-Victor Goupilleau, procureur au tribunal de Montaigu ; Arch. dép. de la Vendée : L 491).
5 Lefeuvre (Pierre), Philippe Guitter (1768-1835) maire de Rocheservière, conseiller à la Cour royale d'Angers, v. 1950, p. 7 (Arch. dép. de la Vendée : "fonds Guy de Raigniac", 8 J 82).
6 Lettres de Jean-Victor Goupilleau à son frère, le conventionnel Philippe-Charles-Aimé, citées dans "Carrier et la Terreur nantaise", 2016, de Jean-Joël Brégeon, note 403.
7 Ainsi retrouve-t-on plus tard à Auxerre un Jean-Philippe Goupilleau (1783- ? ), fils de Jean-Victor époux d’Anne-Sophie-Angélique Potherat de Billy, et père de Victor-Philippe Goupilleau (contrôleur des contributions directes et maire d’Annéot dans l’Yonne, 1813- ? ) et de Louis-Charles Goupilleau (ingénieur des Ponts-et-Chaussées, 1814- ?). La fille de ce dernier, Lucie (1847- ? ), épousera en 1877 Augustin Ragon de Bange (colonel d’infanterie, 1834-1922)… On trouve aussi en 1842 un Goupilleau parmi les 120 électeurs du canton-est d’Auxerre, et un Albert Goupilleau inspecteur des forêts à Avallon, en 1898.
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