la Brachetière
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La résurrection d’un ancien village disparu
Venant de Mouilleron-le-Captif et, depuis sa résurrection en 1845, c’est par "la Brachetière" qu’on arrive dans le bourg du Poiré. Ce village est en effet beaucoup plus ancien, mais il se situait autrefois à 150 mètres plus à l’ouest, à l’emplacement où "Saint-Joseph" fut édifié vers 1900, mais il avait été ruiné un siècle plus tôt par les troupes révolutionnaires et n’y avait pas été relevé par la suite1.
Marquant l’entrée du bourg du Poiré :
les maisons anciennes de "la Brachetière", en 2016,
et deux vues de sa croix en granit à cette date.
En ces temps tourmentés, cette métairie était habitée depuis plusieurs générations par les Trichet puis par les Bulteau qui leur étaient apparentés2, et qui apportèrent leur aide aux insurgés en 1793, 1794 et 1795, leur fournissant à diverses reprises des bœufs, des moutons et du foin3. Elle faisait partie de l’amenage de "la Millière", qui devint bien national4. Récupérée par ses anciens propriétaires, elle fut morcelée et vendue entre 1808 et 18255, ce qui conduisit à la disparition des ruines qui subsistaient.
Peu après 1845, Auguste Rivière, Jules Vidal et Mathurin Rocheteau, respectivement facteur, menuisier et meunier, vinrent construire leurs maisons le long de la route toute proche menant à Mouilleron, ce qui ressuscita "la Brachetière"6. Puis d’autres s’y ajoutèrent qui, progressivement, la relièrent au bourg.
Une croix en granit, se trouvant toujours à l’endroit où elle fut érigée, y porte l’inscription "Souvenir de Mission - Favrou 1847".
Les emplacements de "la Brachetière" et de "Saint-Joseph" en 1836 et en 1945.
(environ : 360 x 260 m).
Dans un bas le long de cette route conduisant à Mouilleron, et à 350 mètres de "la Brachetière", se un terrain dont le nom curieux, "le Beignon d’homme" (ou "le Bignon d’homme" sur le cadastre), semble lié à la présence de la mare d’environ 35 ares qui en occupait une partie7.
Vers 1938, cet endroit a été le lieu d’une diablerie telle que celles que l’on racontait autour de "la croix Bouet". Alors que ce genre de phénomène a toujours des explications naturelles, celui-ci, malgré de nombreux témoins oculaires, n’en a pas reçu jusqu’à ce jour, en 2020.
"Le Beignon d’homme" sur des vues aériennes en 1945 et en 2014,
et son ancienne mare sur le plan cadastral de 1836.
(environ : 305 x 230 m)
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Les souvenirs d'une Marie Trichet, née en 1778
Jean Trichet (1750-1812), qui habitait à "la Brachetière" avant la Révolution, partit en 1793 s’établir dans une borderie d’environ 18,5 ha à "la Bultière" de Beaufou. Il habitera ensuite à "la Pallulière", et mourra à "l’Orbreteau"8. Parmi ses cinq enfants, il avait eu une fille, Marie Trichet (1778-1866).
Sur cette époque des guerres de Vendée les écrits venant du peuple insurgés sont rares, contrairement à ceux nombreux des vainqueurs, bourgeois et républicains. Cependant, alors qu’elle arrivait à la fin de sa vie, Marie Trichet a laissé son témoignage sur l’incendie de "la Bultière" et sur le massacre de plusieurs de ses habitants, début juin 1794. Elle y évoque le désarroi causé par les traques, par les destructions et par les morts, mais aussi les solidarités familiales et villageoises pour survivre. Il fut recueilli par Jacques Faucheron (1820-1890), curé de Beaufou de 1852 à 1888, et rapporté en 1904-1905 dans la Chronique paroissiale de Beaufou9 :
"C'était dans les premiers jours de juin 1794, des batailles avaient été livrées et plusieurs des combattants de la haute paroisse étaient rentrés chez eux pour se guérir de leurs blessures. M. le Curé se chargea de les soigner et de faire les remèdes, les médecins ayant pris la fuite. Il y avait une quinzaine de jours qu'il était tout absorbé de ces soins charitables, quand une nuit une bande de bleus vint surprendre le village de la Bultière. C'était la coutume des Vendéens, après les batailles, de prendre un peu de repos dans leur famille. C'était aussi dans leur caractère de ne point veiller à leur propre garde. Quand ils voyaient l'ennemi, alors ils avaient l'œil au guet. L'ennemi avait-il disparu ; ils se reposaient dans une aveugle confiance.
Les combattants de la Bultière venaient donc de rentrer dans le village qui se composait, à cette époque, de 7 ménages, comptant 42 personnes, savoir : 5 hommes, 10 femmes, 11 grands gars, 6 grandes filles, 12 drôles en-dessous de dix ans. Par une coupable négligence, ils n'avaient point placé de sentinelles pendant la nuit ; or, les bleus étaient cachés depuis vingt-quatre heures dans les bois du Petit-Luc, attendant une occasion. Un tisserand du Grand-Luc fâché contre les métayers de la Bultière qui ne le faisaient plus travailler, voulut s'en venger en amenant les bleus les incendier. Il était minuit quand ils s'approchèrent en silence du village endormi. La Providence permit qu'un métayer du Bas sortît dehors. Entendant le bruit des pas et comprenant vite ce que c'était, il crie à son monde : "Les bleus, sauvez-vous !" et court à toutes les portes frapper un coup terrible : "Les bleus !" Dans une minute ce fut une débandade désespérée.
Voici, tel qu'il nous a été raconté par une personne qui y était, le récit de cette horrible nuit. Cette personne, fille du métayer qui habitait la première maison, était, en ce moment-là, âgée de quinze ans, elle s'appelait Marie, son père s'appelait Jean Trichet. Elle avait sa mère, deux grands frères, Jean et Augustin, un autre frère plus jeune, Jacques, et un plus petit de sept ans, encore dans la robe, appelé Louis. […]".
"La Bultière", le village où vécut Marie Trichet, en 1794 et jusque vers 1860,
sur le cadastre de 1837 de Beaufou (encart : environ 240 x 190 m)
avec ses 6 habitations d’alors, dont 2 borderies et 3 métairies,
et quelques lieux cités dans son témoignage10.
Et en 2021, la boulangerie exhumée de ses ruines et les restes d’un bâtiment voisin,
susceptibles de dater d’avant juin 1794.
Suit le récit lui-même de Marie Trichet au cours duquel elle raconte :
"[…] Dans les autres maisons du village on s'était sauvé, comme nous autres, encore plus vite. Les quatre filles de la métairie d'En-Bas, plus mortes qu'en vie, s'étaient sauvées en chemise, ainsi que leurs deux grands frères. Un grand gars de la Métairie du Mitan avait fait de même. Pas un de ces petits drôles n'était habillé : tous s'échappaient de côté et d'autre. Une jeune veuve, qui venait de perdre son homme, tué à la guerre, se sauvait par le chemin de la Marlée avec ses deux enfants, une petite de deux ans qu'elle portait à son cou, et un petit de quatre ans qu'elle traînait par la main. Entendant courir après elle, elle perdit la tête de peur, et laissa s'échapper, pour se sauver plus vite, la main du pauvre petit, que les bleus attrapèrent. […]
Nous entendions de gros jurements, puis des bruits de coups que l'on frappait sur des planchers. Le feu passait par-dessus les maisons. Oh ! là là !! nous pensions voir les feux de l'enfer ; que c'était affreux !! Une fois, nous nous crûmes perdus. Une femme du village criait au secours. Elle poussait des clameurs, des hurlements. […]
On se compta, il manquait encore la jeune veuve avec les deux petits, et une jeune fille appelée Jeanne Biron. On sut plus tard que c'était elle qui avait jeté ces grands cris pendant qu'on la tuait, apparemment qu'elle n'avait pas entendu le signal de la fuite. […]
Il venait de trouver le cadavre de la fille Biron. Les scélérats de bleus l'avaient surprise dans son lit. Après l'avoir rouée de coups, ils l'avaient portée, enveloppée dans sa couverture, dans le petit pré à côté ; puis, à coups de sabres, ils lui avaient coupé un pied, puis l'autre pied, puis les mains, puis le cou, puis ils l'avaient percée avec leurs baïonnettes. C'était bien elle qui avait poussé ces cris affreux que nous avions entendus la nuit. […]
Voilà que les hommes arrivent au même moment. Ils apportaient le corps du petit de quatre ans que sa malheureuse mère avait délaissé dans sa fuite. Les bleus l'avaient attrapé. Ils lui avaient percé la gorge avec un sabre et passé un bois dans le trou, puis ils l'avaient planté, en place de barrière, sur le bord du chemin. Dans sa petite main, crispée par les tortures de la mort, ils avaient mis un papier où il y avait d'écrit : "Vive la République !"11 […]"
Les destructions de "la Bultière" réduisirent le nombre d’habitants de 42 avant 1794 à environ 21 en 1796, puis il remonta à 32 en 1816. En 1802, Marie Trichet se mariera avec Pierre Grollon (1772-1852) de "la Brossière", avec lequel elle reprendra la borderie de "la Bultière". Devenue veuve, Marie Trichet ira habiter chez leur fils Jean, sabotier, et sa famille jusque vers 186012. Elle mourra au Poiré, à "la Grande Roulière" du Poiré en 18668.
Pour des raisons administratives, Marie Trichet et Pierre Grollon, qui ne s’étaient mariés que religieusement en 1802 à Beaufou, s’y (re)marieront civilement en janvier 185113… ce qui en dit long sur les incertitudes des états civils locaux durant la période révolutionnaire ; sans parler des confusions créées par les prénoms usuels différents des premiers prénoms sur l’état civil. Tout cela laissant planer une forte possibilité pour qu’à cette époque il y ait eu deux familles Trichet de cinq enfants, avec des prénoms identiques pour les pères et pour les filles : l’une à "la Bultière" de Beaufou, l’autre à "la Brachetère" du Poiré, et que l’histoire dramatique de l’une n’ait rien à voir avec l’histoire moins agitée de l’autre.
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Notes, sources et références
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Plan cadastral de 1836 du Poiré (Arch. dép. de la Vendée : 3P 178).
2 Registres paroissiaux du Poiré, année 1738, décès (Arch. dép. de la Vendée : AD2E 178/1).
3 Voir le Cahier des réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré (Méd. mun. de la Roche-sur-Yon : ms 019), plus particulièrement les réquisitions à "la Brachetière" ; voir aussi de Lorvoire (Jean-Claude), "les Réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré-sur-Vie", in Recherches vendéennes, n° 3, 1996, p. 257-299.
4 Voir les Estimations des biens nationaux du canton du Poiré (Arch. dép. de la Vendée : 1 Q 212), et les Adjudications des biens nationaux (Arch. dép. de la Vendée : : 1 Q 279-280).
5 Pour la vente de la métairie de "la Brachetière", voir les minutes notariales du Poiré, année 1825 (Arch. dép. de la Vendée : 3E24/60) ; pour le devenir des autres biens de l’amenage de "la Millière", voir les minutes notariales de Napoléon-Vendée (la Roche-sur-Yon) aux années 1808, 1810 et 1811, (Arch. dép. de la Vendée : 3E2/08, 10 et 11).
5 Listes nominatives des recensements du Poiré, de 1851 et de 1861 (Arch. dép. de la Vendée : 6 M 280).
7 Cf. Verrier (Anatole-Joseph) et Onillon (René), Glossaire étymologique et historique des patois et des parlers de l'Anjou, 1908, tome 1, p. 101, ou encore Alexandre Bitton qui imagine que "beignon" proviendrait de balnerum, balnearium, et ainsi se rapporterait à un étang, à une mare. Jean-Loïc Le Quellec, dans son Dictionnaire des noms de lieux de la Vendée, p. 41, lui donne, sans autre explication, le sens de "petite bosse", quant au terme "d’homme", il voudrait y voir (p. 176), peut-être par homophonie, un rapport avec orme ou ormeau.
8 Etat civil du Poiré (Arch. dép. de la Vendée : 2 E 178).
9 Boutin (Hippolyte), Chronique paroissiale de Beaufou, 1904-1905, p. 442 à 462. Le témoignage de Marie Trichet a été repris dans Femmes oubliées de la guerre de Vendée (collectif, 2015, 345 p.). Ce témoignage a vu son authenticité contestée par la suite. D’un côté, de par son statut et de par la nature des faits rapportés, Jacques Faucheron a été soupçonné par principe d’avoir fabriqué cette histoire de toutes pièces. D’un autre côté, l’existence de cette Marie Trichet a été mise en doute, soit pour des raisons de possibles homonymies, soit pour des questions de difficultés à suivre sa généalogie dans l’état civil incomplet de cette époque perturbée. Des arguments qui sont à prendre en considération, même si aucune preuve définitive ne soit là pour les étayer.
10 Cadastre de 1837 de Beaufou, section D, 1re feuille (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 015).
11 Même si on a pu dire par la suite que ces pratiques ne furent utilisées que par les colonnes infernales de janvier à mai 1794, on les trouve appliquées dès l’été 1792 par la garde nationale puis par les troupes révolutionnaires pour "pacifier" la région, ainsi qu’en témoigne dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de Vendée, le très républicain fontenaisien André Mercier du Rocher.
12 Listes nominatives des recensements de Beaufou de l’An V, et de 1836, 1841, 1846, 1851 et 1856 (Arch. dép. de la Vendée : L 288 et 6 M 49).
13 Etat civil de Beaufou, 1844-1854 (Arch. dép. de la Vendée : 2 E 01 5/7, vues 334-335-336/512). C’est parce qu’en son temps le mariage de Marie Trichet avec Pierre Grollon n’avait pas été l’objet d’un enregistrement à l’état civil officiel, que ceux-ci furent amenés à devoir se "remarier" en 1851. Par ailleurs l’impossibilité rencontrée pour prouver leur "premier mariage" qui les avait obligés à procéder à un "second mariage" montre non seulement la fiabilité incertaine des registres d’état civil au sortir de la Révolution, mais aussi la méfiance dans laquelle une partie importante de la population locale pouvait tenir la légitimité du pouvoir politique d’alors.
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