1804 - la ténébreuse "affaire des plombs"
rappel : avant toute utilisation d'extraits ou d'illustrations de ces pages, vous devez en demander l'autorisation à leur auteur.
Cette page est l'une de : Après les ruines révolutionnaires, le temps des reconstructions (1800-1836), chapitre qui devrait être à terme constitué au moins des parties qui suivent, elles-mêmes susceptibles d’évoluer au fil du temps…
- 1797-1829 : Louis-Marie Baudouin, un montacutain réorganisateur en Vendée
• 1798 : le dernier physiocrate de Montaigu
- 1800-1806 : Pierre-Paul Clemenceau, sous-préfet de Montaigu
- 1801-1811 : Augustin-Moïse Auvynet et le difficile relèvement de Montaigu
• 1804 : le montacutain Pierre-Charles Jagueneau impliqué dans "l’affaire des plombs"
• 1808 : Napoléon Bonaparte fait halte à Montaigu
• 1809 : nouvelles limites communales pour Montaigu
- 1828, 1832 : la duchesse de Berry à Montaigu
- 1832 : Louis-Charles de Bonnechose, une victime de la police philippiste
- 1832-1834 : Depienne et les bons enfants, des Robins des Bois près de Montaigu
L'insertion de ces différentes parties ne se fera que progressivement. En cas d’utilisation de ces pages, y compris d’extraits, il va de soi qu'on en citera l’origine, l’auteur, et la date à laquelle elles ont été consultées. Enfin, toute remarque sur ce qu'elles contiennent (ou ne contiennent pas), sera la bienvenue (cf. "Contact").
----------------------
- 1804 : le montacutain Pierre-Charles Jagueneau impliqué dans la pseudo "affaire des plombs" -
Pierre-Charles Jagueneau (1762-1830) est un montacutain qui, en 1804-1805, se trouva impliqué dans "l’affaire des plombs", présentée comme une conjuration menée par l’opposition royaliste afin de renverser le nouveau régime politique que Bonaparte était en train d’établir en France.
Pierre-Charles (ou Charles-Pierre) Jagueneau est né dans le faubourg Saint-Jacques de Montaigu de Perrine-Charlotte Bouffard et François Jagueneau, qui s’y déclarait marchand. Le long acte du mariage de ces derniers, le 24 novembre 1756 dans l’église Saint-Jacques de Montaigu, évoque de nombreux membres de leurs familles respectives. Remontant la généalogie familiale, on trouve un Estienne Jagueneau (1672-1746), maître-chapelier à Montaigu, arrière-grand-père de Pierre-Charles, ainsi qu’un grand-oncle, Jean-Jacques Jagueneau, membre de la collégiale Saint-Maurice, et qui sera massacré par les Républicains à l'Andrie de la Bernardière, le 23 mai 1794. Sa tante Marie-Thérèse Bouffard était maîtresse à l'école des filles de Montaigu, tandis que parmi ses cousins on trouve un Jean Bouffard, greffier à Boufféré en 1757, et un Jean Bouffard, chirurgien. Un de ses grands-oncles maternels, Jean Payraudeau a été notaire à Montaigu…
Se destinant à la prêtrise, Pierre-Charles Jagueneau entra dans l'ordre des Trinitaires et fit son noviciat à Sarzeau. Ordonné en 1789, il fut nommé à la communauté de Sainte-Catherine, à Beauvoir-sur-Mer qu’il quitta fin juin 1791, ayant refusé le serment de soumission à la Constitution civile du Clergé. Continuant son ministère clandestinement, il rejoignit l’insurrection vendéenne et participa à la virée de Galerne dont il fut un des rares survivants. Après la paix de la Jaunaye, en février 1795, il fut desservant de la Guyonnière, jouissant d’une liberté relative, et il participa en tant que tel au synode du Poiré au début août suivant. Fin 1797, avec la reprise des persécutions religieuses il se retrouva sur les listes de prêtres réfractaires destinés à la déportation en Guyane, et en conséquence de nouveau à la clandestinité après, dit-on, avoir été arrêté et s’être évadé au cours de son transfert à Rochefort.
En 1801, après le Concordat et le retour de la paix religieuse, Pierre-Charles Jagueneau revint comme curé à la Guyonnière, y étant décrit comme "un homme d'aspect assez froid, peu loquace, impénétrable"1. Cependant sa paroisse ne se relevait que lentement des destructions et massacres per-pétrées en particulier en 1793 et en 17942… Le ressentiment y restait très fort envers les troupes révolutionnaires qui en étaient à l’origine, et à l’encontre de ceux qui faisaient partie des catégories socia-les s’étant réservé les avantages des changements politiques3. A cela s’ajoutait le retour de la conscription avec la reprise de la guerre après une courte période de paix de seulement quelques mois. Les opposants au nouveau régime politique pouvaient donc trouver sans peine des complicités dans la région, voire des partisans pour un possible complot, qui sera appelé par la suite "l’affaire des plombs"4.
L’existence de cette conjuration éclata le vendredi 3 août 1804 (15 thermidor an XII) quand, dans le bourg de la Guyonnière, la maison de Pierre-Charles Jagueneau fut envahie par la police et subit une fouille en règle. Et quand dans le terrain proche de la cour de cette maison, en creusant, on découvrit 58 barres de plomb, dont quelques-unes pesaient cent livres (environ 45 kg).
Sur un extrait du plan cadastral de 1816, section D1 (environ : 620 x 310 m) :
le bourg de "la Guyonnière", son église et son cimetière, et le presbytère de P.-Ch. Jagueneau ;
l’ancien "château de la Cour" et ses terres, biens des Bedeau de l'Escochère, dont s’appropria en 1798,
ainsi que de différentes métairies, l’ex-conventionnel Jean-François Goupilleau, dit de Fontenay ;
et avec en jaune, les ruines subsistant des destructions faites en 1793-1794 par les troupes républicaines.
Une vue vers 1910 de l’église, incendiée pendant la Révolution, puis reconstruite au XIXe siècle :
le clocher en 1848, les trois nefs de 1854, l’abside et les absidioles en 1864.
Une vue aérienne partielle du bourg de "la Guyonnière" vers 2014 (environ 730 x 390 m)
Pierre-Charles Jagueneau fut interrogé par le sous-préfet de Montaigu, Pierre-Paul Clemenceau. Il déclara qu’il s’agissait de plomb destiné d’une part à assurer l’étanchéité d’une citerne qu'il voulait faire creuser, et d’autre part à la reconstruction des toitures du château d’Asson, sur la Boissière-de-Montaigu voisine, incendié durant l’automne 1793. Ce plomb, qu’il avait enterré afin d’éviter qu’il fût volé, lui avait été expédié par un certain René Merlaud, "mécanicien" (horloger) à Nantes, sur l’ordre de Jean-Baptiste Gogué (v.1769-1805), médecin à Boussay reconverti dans le commerce, qui vint lui-même le confirmer5. Le commerce du plomb n’ayant rien de délictueux et la conduite de Pierre-Charles Jagueneau étant sans reproche, Pierre-Paul Clemenceau décida d’en rester là.
Cependant, la police poursuivait ses investigations. Elle découvrit six moules à balles chez René Merlaud, et se souvint que celui-ci avait été en son temps aux côtés de Stofflet pour lequel il avait été amené à fabriquer un moulin à poudre. Quant à Jean-Baptiste Gogué, il avait longtemps été aux côtés de Charette et à la tête des habitants de la Chapelle-Heulin. Bien que, dans une région où une grande majorité de la population avait rejoint ou soutenu l’insurrection, ce ne fût pas exceptionnel, cela permit à la police de présenter ces trois personnes comme suspectes, et une semonce fut envoyée au sous-préfet de Montaigu : "J’espère que vous aller réparer cet oubli de vos devoirs !", ainsi qu’un blâme au préfet de la Vendée avec l’ordre d’arrêter les "coupables". Les deux autres ayant préféré "s’absenter", seul Pierre-Charles Jagueneau fut arrêté, transporté à Fontenay puis à Paris, incarcéré dans la prison du Temple, et interrogé par Réal, bras droit de Fouché, le ministre de la police. Il répondit volontiers aux questions posées, ne livrant aucun nom, mais révélant à ses interlocuteurs combien l’opinion publique de la région était, d’une façon inquiétante, défavorable au régime en place.
Avec la reprise de la guerre en mai 1803, le gouvernement britannique avait relancé son soutien financier aux mouvements royalistes, et la police surveillait "l’agence de Bordeaux"6 où les insaisissables Forestier et Céris avaient été signalés. Ces derniers, cherchant à créer des réseaux pour une possible insurrection, prirent contact sur Nantes avec Gogué, Merlaud et d’autres qui furent arrêtés par la police, ayant été dénoncés par l’un d’eux. L’instruction a laissé peu de traces ; elle dura plusieurs mois et aboutit à un procès en décembre 1805. Napoléon avait exigé que l’on fît un exemple. Sur les dix-neuf inculpés, cinq furent condamnés à mort : Jean-Baptiste Gogué, le seul présent, fut fusillé dès le lendemain ; les quatre autres le furent par contumace. Cinq furent condamnés à la prison malgré leurs protestations d’innocence, dont René Merlaud et Pierre-Charles Jagueneau qui y furent maintenus leurs temps de condamnation écoulés. Les autres furent relâchés. Ce n’est qu’à la Restauration que les prisonniers retrouveront la liberté. Revenu en Vendée fin 1815, Pierre-Charles Jagueneau fut nommé curé de Froidfond. Retiré en 1829 à la Garnache, il y mourut au début de l’année suivante.
Plus de deux siècles plus tard, la reprise des faits de cette "affaire des plombs" par laquelle Pierre-Charles Jagueneau est resté connu, semble montrer que le sous-préfet Pierre-Paul Clemenceau avait eu raison en estimant que celui-ci n’avait pas menti à propos de la destination du plomb entreposé chez lui, et en constatant que le commerce exercé par Jean-Baptiste Gogué et René Merlaud était licite. Mais le passé, les sentiments politiques et les mauvaises relations de ces trois personnes en firent des victimes idéales pour monter une "erreur judiciaire" voulue par Napoléon afin de dissuader ses opposants de comploter, et afin que dans la région la conscription se fasse, les impôts rentrent et les manifestations soient absentes. C’est ce qu’il obtint, malgré la ruine de la contrée (Montaigu, après la Révolution, avait perdu la moitié de ses habitants de 17907) et le souvenir des iniquités, des luttes et des massacres passés.
--------------------
Notes, sources et références...
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Gabory (Emile), Napoléon et la Vendée, Paris, éd. 1932, p. 222.
2 Le commissaire du Directoire exécutif départemental près de la Municipalité cantonale de Montaigu, parle de cette situation misérable dans son courrier avec ses autorités disant sa difficulté à collecter l’impôt à la Guyonnière et à Treize-Septiers où tous les villages et métairies, ainsi que leurs bourgs on été entièrement incendiés, obligeant les habitants à vivre "sous les toits" (les abris pour les animaux) et où "il n’y a pas une famille qui n’ait perdu des leurs" (Arch. dép. de la Vendée : L 225, L 255). L’opposition de la population locale y est telle qu’il est impossible d’y trouver un "agent communal" (équivalant de maire) nommé par le pouvoir en place afin de surveiller et contrôler au plus près les habitants. Les incendies et destructions systématiques dès 1793, c’est-à-dire avant même le passage des colonnes infernales, sont racontés dans ses "Mémoires" par le général Kléber qui rapporte aussi la confiscation par ses troupes du bétail et des instruments de travail (entassés dans l’église Saint-Jean de Montaigu) afin d’affamer et la population et de la réduire à la misère. En 1818, le cadastre du bourg voisin de Saint-Georges-de-Montaigu montre que la moitié des bâtiments y sont encore en ruine, situation confirmée par toutes les minutes notariales de l’époque…
3 Parmi les avantages que se réserva la bourgeoisie d’alors, voir la vente des biens nationaux de la Guyonnière.
4 Les sources les plus importantes de "l’affaire des plombs" n’existent plus. Elle a été reconstituée de façons variables et variées à partir de restes limités, par Ch.-L. Chassin (les Pacifications de l’Ouest, 1896, t. 3, p. 91-93), ou par E. Gabory (Napoléon et la Vendée, 1914 ; p. 219 à 229, où il s’interroge sur la curieuse disparition des pièces du procès). Les éléments restants les plus fiables sont les rapports de 1804 à 1810 de la police secrète de Fouché (Arch. Nat. : principalement dans la série F7), qui ont servi de base pour cet article.
5 Registres de correspondance du sous-préfet de Montaigu (Arch. dép. de la Vendée : E dépôt 146 / 4-7) ; interrogatoires du 16 thermidor an XII (Arch. dép. de la Loire-Atlantique) et du 10 vendémiaire an XIV (Arch. dép. de la Vendée : série M).
6 En son temps, Ernest Daudet (frère aîné d’Alphonse Daudet) a évoqué cette "affaire des plombs" en 1895 dans "la Police et les chouans sous le Consulat et l’Empire", chapitre sur l’agence de Bordeaux, pages 141 à 163. Tout en restant dépendant de l’historiographie de l’époque, il y exploite les Archives Nationales d’une façon plus rigoureuse et convaincante que ne l'ont fait Charles-Louis Chassin et Emile Gabory.
7 Voir l’état civil et la liste nominative du recensement de 1816 de Montaigu (Arch. dép. de la Vendée : AD 2 E 146 / 3 à 5 ; et 6 M 232).
retour à
Histoire de Montaigu
◄ page précédente : Après les ruines révolutionnaires, le temps des reconstructions (1800-1840) Haut ▲ page suivante : Le règne des bourgeois républicains (1837-1935) ►