la Blélière
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Des traces de vestiges remontant à l’époque médiévale
"La Blélière", tournée vers le sud, est à quelque cent mètres du "Ruth", qui coule une douzaine de mètres plus bas, et où quelques grosses pierres y seraient des vestiges d’un passage qualifié par certains de "pont mérovingien"1. Vers 1981 à quelques dizaines de mètres au nord du village, des travaux pour rendre un chemin plus praticable, ont révélé l’existence qu’un souterrain qui fut de suite bouché. Il pourrait montrer que le village a une ancienneté médiévale, et qu’au fil du temps sa localisation a pu un peu changer (comme à "la Crépelière", à "la Micherie"…).
"La Blélière" sur le plan cadastral du Poiré de 1836, et sur une vue aérienne vers 2014
(environ : 200 x 190 m).
L’ancienne croix de la Blélière ou croix Arraud, dessinée par Alfred Tallonneau
(avec, à gauche, les traditionnelles petites croix de bois, plantées à chaque passage de convoi funèbre).
Le chêne marquant l’entrée du village, et en avant duquel un souterrain a été détecté).
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Traditions familiales et souvenir d’ancêtres courageux
La maison à droite en entrant dans "la Blélière", correspond à celle de Pierre Arraud (ou Arreau), sabotier, qui habitait là au début du XIXe siècle. Sa famille et lui-même avaient participé au soulèvement vendéen et avait fait partie en 1815 de ceux qui se mobilisèrent contre la tentative de reprise du pouvoir par Napoléon Bonaparte. Quinze ans plus tard, après le renversement de Charles X, l’armée, chargée du contrôle des opinions de la population locale, note vers 1831 dans ses rapports le mauvais état d’esprit de Pierre Arraud, qui était…
"présumé être hostile au gouvernement actuel, non précisément par faits patents et légalement répréhensibles, mais par des dispositions à protéger et servir l'ancien ordre des choses si l'occasion s'en présentait"2.
A "la Blélière" : la grange-étable la plus monumentale du Poiré,
ayant abrité un temps des chambres d’hôtes,
la maison ayant succédé sur le même emplacement à celle du valeureux Pierre Arraud,
l’ancien puits du village,
et quelques bâtiments à dater du tournant des XIXe et XXe siècles.
A côté de chez lui et partageant les même convictions politiques, habitait en 1836 Jacques-Joseph Perraudeau. La tradition de la famille de celui-ci rapporte que son père, Jacques Perraudeau (1758-1819), alors marchand blatier à "la Crépelière", eut une conduite héroïque en 1793-1795. Alors qu’il était de passage à Belleville, une troupe de soldats républicains le contraignit à la guider jusqu’au bourg du Poiré. Mais, au péril de sa vie, il réussit à leur faire emprunter de nombreux détours, et sauva ainsi celle des habitants qui eurent le temps de s’enfuir avant leur arrivée : les soldats n'y trouvèrent personne et ils durent se contenter de l’incendier3.
Vers 1900, "la Chronique paroissiale du Poiré" signale l’existence d’une…
"...croix ancienne en granit, au bord de la route de Palluau, avant d'arriver à Saint-Pierre, au détour du chemin de la Couarde, sans inscription ni millésime. Restaurée pendant la mission du carême de 1847, elle n'a plus de tige et se compose d'un simple croisillon. On l'appelle la Croix de la Blélière ou Croix-Arraud"4.
Les restes de cette croix ont été dessinés dans l’Ange gardien du Poiré du 7 septembre 1926 par Alfred Tallonneau, avec les petites croix en bois qui étaient déposées avec une courte prière, au passage de chaque convoi mortuaire. Il n’en restait rien en 2019.
En 1836, on trouvait à "la Blélière" deux métairies avec leurs "laboureurs". Elles appartenaient aux Caillé et aux Tireau, des familles de notables du bourg du Poiré. Parmi les 43 habitants formant les 10 ménages qui vivaient alors à "la Blélière", on comptait, outre ces 2 agriculteurs : 1 meunier, 1 tisserand, 3 sabotiers et des journaliers5.
En 2019, le village regroupait 17 habitants en 6 ménages. Il était devenu résidentiel tout en conservant une exploitation agricole qui faisait de la vente de viande bovine à la ferme.
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1720, le farinier Pierre Gaultier part au Canada
En 1797 et aussi en 1836, on trouve à "la Blélière" un Pierre Gaultier, qui est dit tantôt "farinier", tantôt "meunier". Selon Charles Gautier (1922-2017), se revendiquant lui être lointainement apparenté, la tradition familiale rapportait qu’un de ses ancêtres, lui aussi meunier, était parti de "la Blélière" pour s’installer au Canada au XVIIIe siècle6.
Cette tradition est confirmée par un contrat d’engagement d’un "Pierre Gaultier farinier natif du Poiré-sur-la-Roche en Poitou, âgé de vingt ans ou environ […]"7, rédigé devant notaire à la Rochelle le 9 avril 1720, pour aller exercer son métier au Canada pour une durée de trois ans. Il avait été recruté par Charles Fleury, au nom de son frère Joseph Fleury d’Eschambault8 qui recherchait un meunier pour sa "seigneurie" (son domaine) située le long du Saint-Laurent, à 65 km au sud-ouest de Québec (et à 215 km de Montréal), et portant son nom.
L’en-tête du Contrat d’engagement de Pierre Gaultier,
établi le 9 avril 1720 devant un notaire de la rue de la Juiverie à la Rochelle.
Ci-après, la transcription de ce contrat d’engagement passé le 9 avril 1720 par Pierre Gaultier, devant René-François Desbarres, notaire rue de la Juiverie (rue Admyrault) à la Rochelle :
"Par devant les notaires royaux à la Rochelle ont été présents en leurs personnes Pierre Gaultier, farinier, natif du Poiré-sur-la-Roche en Poitou âgé de vingt ans ou environ, et Honoré Teisson, aussi farinier, natif de Beaulieu-sur-la-Roche, âgé de trente ans, lesquels se sont volontairement engagés par les présentes à La Gorgendière Fleury, écuyer, demeurant en Canada, acceptant par Charles Deschambault Fleury, son frère, escuyer, demeurant en cette ville, pour aller servir au dit lieu de Canada de leur profession de fariniers pendant trois années consécutives, qui commenceront au moment qu’ils mettront pied à terre au dit pays et seront en état de servir.
Durant lequel temps seront nourris et logés, entretenus de sabots, le petit coup d’eau-de-vie chaque matin, et défrayés de leur passage, en allant même pour le retour au cas qu’ils veuillent après les dits trois ans expirés s’en retourner en France et non autrement. Au moyen de quoi promettent de s’embarquer au premier mandement du sieur Fleury, sur le vaisseau qu’il leur indiquera.
Ces présentes faites entre les parties moyennant cent livres pour chacun et pour chaque année, payables aux dits engagés au dit pays par le dit sieur La Gorgendière Fleury par demie année ainsi qu’elle en feront usage xxxx d’icelle cinquante livres le tout argent de France. Et en outre leur sera fourni de tous outils convenables sans diminution des dites présentes, sur et en déduction de la première année. Lors ont reconnu avoir reçu chacun cinquante livres du dit sieur Fleury pour leur avoir des commodités afin de se mettre en état d’exécuter ce que dessus pour l’exécution des présentes.
Xxxx xxxx leur domicile en cette ville et maison de nous notaires, pour y recevoir tous actes xxxx l’intention des partis qui xxxx xxxx à peine de tous dépens et dommages obligent respectivement les dits biens le dit sieur Fleury, ceux du dit sieur La Gorgentière Fleury. Jugé et confirmé et fait à la Rochelle, étude de nous notaires, avant midi le neuvième avril mil sept cent vingt. Ont les engagés déclaré ne savoir signer de ce requis…
signatures : Guillemot, Desbarres, Fleury."
Pierre Gaultier partit donc à Deschambaut au Canada. En 1723, il s’y maria avec Marguerite Arcand et, s’y étant déjà fait concéder des terres, il y resta, et y mourut en 1756. Trois siècles plus tard, les descendants de leurs 11 enfants faisant partie de "l’Association des Gauthier d'Amérique" perpétuent leur mémoire.
Sur la rive nord du Saint-Laurent et à 65 km en amont de Québec : Dechambeaut
où Pierre Gaultier partit en 1720 pour s'y charger de son moulin à vent, qui y existait déjà en 1688
(extrait - environ 9,5 x 5,5 km - de la carte de James Murray, levée en 1761,
un an après l’occupation du Canada par l’Angleterre).
Et en 2019, son homologue, le moulin des Grondines qui fut édifié en 1674.
Pierre Gaultier ne fut pas le premier à partir du Poiré pour aller au Canada. Parmi ceux qui l’y précédèrent, on connait Joseph Barbeau (v.1663-1741), fils d'Etienne et de Marie Martinelle, et que l’on voit se marier en 1690 à Lachenaye (à 20 km au nord de Montréal). On connait aussi André Renaud, dit aussi Arnaud-Desmoulins (v.1666-1736), fils de Gabriel et de Françoise Badrelle, qui lui se maria en 1710 à Saint-Joachim (à 50 km au nord-est de Québec)9. On retrouve dans les noms "Martinelle" et "Badrelle" la coutume de féminiser les noms autrefois dans l’actuelle Vendée, tels ceux des "Martineau" ou des "Badreau".
D’autres suivront plus tard, entre autres au début du XXe siècle, Auguste Bernard (1884-1984) dont la famille était issue de "la Bros-sière", et qui s’établit comme agriculteur dans l’Alberta10 ; ou encore Anne Remaud (née en 1968) dont la famille était originaire du quartier de "la Gibretière" et qui, après avoir été tapissière d’art aux Gobelins en France, a travaillé à la Manicouagan, et est devenue policière à Baie-Comeau (à 415 km au nord-est de Québec) où elle s’est établie.
Pendant longtemps ces départs du Poiré et de ses alentours vers le Canada ont été des cas isolés, mais depuis les années 1980 ils se sont multipliés, ceux ayant acquis une bonne formation y estimant les perspectives d’avenir plus prometteuses qu’en France. A contrario et en partie dus à Nicole Cardinal, de l’Université de Montréal et membre de "l’Association des Gauthier d'Amérique", des liens se sont aussi établis dans l’autre sens. C’est aussi ainsi qu’en 2013, Hélène Dugal (née en 1949), titulaire de 1975 à 2021 de l’orgue de la cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal, est venue enregistrer un CD-DVD sur l’orgue de l’église Saint-Pierre du Poiré…
Le CD des enregistrements effectués du 8 au 10 octobre 2013
sur l’orgue historique ABBEY de l’église du Poiré,
par Hélène Dugal et par Jean-Michel Dieuaide
(un recueil d'œuvres de compositeurs du XXe siècle).
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Notes, sources et références
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Ceci si on suit une hypothèse proposée par Gérard Bénéteau, préhistorien et docteur en archéologie et anthropologie sociale, et ayant participé à la remise en valeur de plusieurs ponts mégalithiques, lequel se basait sur un planche mégalithique existant, dit-il, autrefois sur "le Ruth" et aujourd’hui disparue.
2 Service Historique de la Défense, Vincennes (Arch. dép. de la Vendée).
3 Témoignages recueillis à la fin des années 1960 auprès de Marcelle Martineau (1917-1997). Parmi les souvenirs transmis génération après génération dans la famille, elle évoquait cet épisode au cours duquel son arrière-arrière-arrière-grand-père, Jacques Perraudeau, marchand blatier (c’est-à-dire marchand de grains), s’était montré si courageux, , ceci à une époque où pas grand-chose sinon rien du tout était suffisant pour qu’on vous ôte la vie.
4 Boutin (Hippolyte), Chronique paroissiale du Poiré-sur-Vie, 1900-1901, p. 21, et le bulletin paroissial l’Ange Gardien du Poiré-sur-Vie (Arch. dép. de la Vendée : 4 num 26…).
5 Plans et états de sections du cadastre du Poiré de 1836 (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 178). Recensements de la population du Poiré, de 1836 (Arch. dép. de la Vendée : 6 M 280).
6 Entretien en 2016 avec Charles Gauthier (1922-2017), fils de Charles Gautier (1897-1958), petit-fils de… etc. ce qui conduisait, selon lui, jusqu’à un autre Charles Gautier, farinier à "la Blélière" en 1766. Le Charles Gauthier du début du XXIe siècle se disait être, plus que probablement, un arrière-[…]-petit-neveu de Pierre Gaultier (v.1699-1756) parti à Deschambaut, ceci d’autant plus que le prénom de Pierre était, avec ceux de Charles et de Jean, un des prénoms traditionnels de sa famille. Une conviction ne constituant cependant pas, à elle seule, une preuve absolue.
7 Contrat d’engagement de Pierre Gaultier, passé le 9 avril 1720 devant René-François Desbarres, notaire, rue de la Juiverie à la Rochelle (Arch. dép. de la Charente-Maritime : Les engagés - XVIIe et XVIIIe siècles, 3E 574 fol. 128).
8 Joseph Fleury (1676–1755) et son frère Charles Fleury (1674–1742), qui engagèrent Pierre Gaultier, étaient tous les deux nés à Québec où ils avaient développé une prospère entreprise d’armement et de négoce, le second étant venu ensuite s’installer à la Rochelle. Leur père, Jacques-Alexis de Fleury Deschambault (1645-1715), était originaire de la paroisse Saint-Jean, de Montaigu en Bas-Poitou, et était arrivé en Nouvelle-France en 1671, avec le titre de "docteur ès lois et avocat au Parlement". Par son mariage à la fin de la même année, il avait acquis sur les bords du Saint-Laurent, un fief qu’il fit fructifier et à qui il donna le nom de Deschambault. En 1690, revenant à sa formation juridique, il devint bailli (c’est-à-dire juge et administrateur) à Montréal où il mourut vingt-cinq ans plus tard (d’après René Baudry, Dictionnaire biographique du Canada, 2003, vol. 2, avec ajustements à partir de divers actes juridiques et d’état civil de sa famille en France ou au Canada).
10 Auger (Léon), Pionniers vendéens au Canada aux 17e et 18e siècles : fleurs de lys et léopards, 1990, p 100-101. Pour la féminisation autrefois des patronymes dans l’actuelle Vendée, voir le cas du nom du village de "l’Alouette" du Poiré.
11 Colleu (Jacqueline), Les Vendéens au Canada, une épopée migratoire 1880-1920, p. 302 à 307. En 1904, la politique anticléricale du gouvernement de l’époque avait abouti à l’expulsion d’Auguste Bernard hors de France, pour délit d’opinion. Arrivé au Canada, il y travailla dans la Canadian Pacific Railway qui construisait des chemins de fer dans l’Ouest du pays, où il acquit par la suite une concession agricole. Devenu citoyen canadien, il s’engagea comme volontaire pour venir faire la guerre en France quand en 1914 débuta ce qui sera la Première Guerre mondiale. Mais à son arrivée, il eut un temps des soucis avec l’administration française qui, après l’avoir chassé de France, lui reprocha de ne pas y être resté pour y accomplir son service militaire et d’être ainsi "un insoumis"... Après la guerre, il se maria avec Marie Seiller de Saligny. Retourné dans sa Belleville’s farm dans l’est de l’Alberta, il mourut longtemps après à Calgary, en 1984 à l’âge de cent ans.
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