la Thibaudière
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"La Thibaudière" et ses bâtiments témoins du passé
Jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, le village de "la Thibaudière" était constitué de deux exploitations agricoles de tailles importantes pour l’époque : celle de Jean Martineau et celle de Fernand Augizeau1. Sur le plan cadastral de 18362, le dessin de son parcellaire présente une forme globalement semi-circulaire correspondant à la topographie locale qui domine de dix à quinze mètres de petits ruisseaux rejoignant "le Ruth" à quelque 350 mètres de là.
"La Thibaudière" sur une vue aérienne du 2 septembre 2019 (environ 415 x 415 m),
et sur le plan cadastral de 1836.
En 2021, érigées dans les années 1880-1890, la croix de "la Thibaudière" (hauteur : 3,5 m),
et, en bonne partie masquée par un transformateur de l’EDF, celle de "la Chauchetière" (hauteur : 4,5 m).
On y voit un long corps de bâtiment aux allures de "logis" avec "chambres basses et chambres hautes" traversantes, et avec des encadrements d’ouvertures dont les caractéristiques font dater le tout du milieu du XVIIIe siècle. La seconde des habitations actuelles date de la fin du XIXe siècle. Quant aux autres petites maisons présentes sur le premier cadastre2, elles suggèrent une plus grande ancienneté du village, mais sans en dire plus.
En 1818, la métairie principale (environ 35 ha) fut achetée à Martial Fayau par Louis Gendreau, du "Fief" ; la famille de celui-ci la conservera jusqu’en 1990. Martial Fayau, "sieur de l’Olivière" (c’est-à-dire propriétaire à…) de Saint-André-d’Ornay, était né en 1786 dans une famille de notables (apothicaires, notaires, procureurs, sénéchaux seigneuriaux…) de la Roche-sur-Yon, et sa généalogie était connue depuis huit générations, ce qui la faisait remonter à la fin du XVe siècle. Sur le Poiré on trouve des traces de cette même famille dès le début du XVIIe siècle : des Fayau "sieurs de la Proutière", des Fayau "sieurs de la Pampinière"3... Et une Louise Fayau (1679-1751) fut l’épouse du seigneur de "Pont-de-Vie", François Pierres. On ne sait si la construction à cette époque de ce "logis" de "la Thibaudière" est à mettre en relation avec cette famille Fayau, de même pour les blasons, sans dessins discernables, gravés sur le pignon est du bâtiment et sur un ancien manteau de cheminée4.
La façade Nord du "logis" de "la Thibaudière" (avec à droite sa "gerberie")
et, posé sur ses anciens corbeaux sculptés,
le manteau d’une de ses anciennes cheminées (longueur : 1,80 mètre)
portant un écusson non historié.
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L’endroit où Charette a pu passer son avant-dernière nuit d’homme libre ?
Durant la Révolution, Louis Chevillon "laboureur demeurant à la Thibaudière en cette paroisse", soutint la révolte vendéenne5, et la tradition locale, rapportée par Jean Martineau (1916-1998)1, dit que…
"Charette a passé une nuit à la Thibaudière avant d'aller le lendemain aux Lucs, puis à la Chabotterie"
…précisant dans quelle pièce il y dormit…
"...celle immédiatement à droite en entrant dans le logis".
Bien que les sources de première main pouvant le confirmer fassent défaut, cette nuit pourrait être son avant-dernière nuit d'homme libre, celle du 21 au 22 mars 17966.
Peu après 1945, ce même Jean Martineau découvrit près du chemin menant à "la Laitelière", un sabre rouillé dont l’origine fut spontanément attribuée à la Guerre de Vendée7. On a pu le voir jusqu’en 1958, accroché à un mur de l’entrée du presbytère du Poiré, où il avait été déposé.
L’ancien chemin menant à la Genétouze, longeant "la Thibaudière" et passant par "la Goichonnière", fut redressé et transformé en route au milieu du XIXe siècle pour aller en ligne droite jusqu’au "Recrédy". De l’autre côté de celle-ci, entouré d’un petit enclos en pierre de 4 mètres sur 4 mètres, une croix fut érigée vers 1887 ; avec les six marches la précédant elle a une hauteur d’environ 4,50 mètres. Son socle se trouve gravée l’inscription : "Louis Salmon et Marie-Anne Salmon son épouse".
L’endroit du "logis" de "la Thibaudière"
où Charette a pu passer son avant-dernière nuit d’homme libre.
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Trois siècles d'évolution et de mutations agricoles
Jusqu’à la fin du XXe siècle, l’agriculture a été l’activité essentielle de "la Thibaudière". L’architecture des bâtiments a conservé le témoignage de l’évolution et des mutations de celle-ci.
Ainsi dans la prolongation du "logis", la "gerberie" (environ 19 mètres sur 5,50 mètres), qui date du XVIIIe siècle, et qui est une des rares subsistant au Poiré trois siècles plus tard.
Au cours du XIXe siècle cette activité a pris une forme plus intensive, faisant disparaître la pratique de la jachère et des landes, et à une époque où "l’agriculture avait besoin de bras"8, divisant les exploitations pour créer des métairies-types s’étendant en moyenne sur une vingtaine d’hectares, Le bâtiment emblématique en a été "la grange-étable" apparue vers 1850 et qui se généralisa dans les cent ans suivant, à "la Thibaudière" comme ailleurs9. Celle-ci regroupait des activités jusqu’alors dispersées dans divers petits bâtiments, facilitait le stockage du fourrage et sa distribution aux bêtes, et rationnalisait le travail de l’agriculteur.
En 2021 près du "logis" de "la Thibaudière" : sa "gerberie" multiséculaire avec sa vieille charpente,
et sa "grange-étable" datant, elle, du tournant du XIXe au XXe siècle,
conçue pour rationaliser le "soin des bêtes".
En 1940, Pierre Martineau moissonnant avec ses bœufs à "la Thibaudière"10.
A l’exception des battages mécanisés dès la première moitié du XXe siècle, la motorisation de l’agriculture ne prendra son essor que dans les années 1950, rendant le travail des agriculteurs plus facile, permettant le maintien ou l’amélioration du niveau de vie, mais faisant aussi disparaître la plupart des petites exploitations dont les pratiques étaient proches de l’autarcie. C’est ainsi que le nombre d’UTH par hectare de SAU (Unité de Travailleurs Humains par rapport à la Surface Agricole Utile) a baissé, que les "stabulations libres" ont pris la place des "granges-étables", que les CUMA (Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole) ont permis un accès plus large à du matériel moderne, que les retenues collinaires pour l’irrigation des cultures se sont multipliées… et même que des moments de vacances sont devenus possibles pour les agriculteurs.
En En 1990, une des deux exploitations de "la Thibaudière" cessa son activité. En 2018, au moment du changement de génération, l’activité agricole a été déplacée de quelque 500 mètres, et la production de viande bovine à trois ans y céda la place à celle de veaux de six mois1.
L’étang pour l’irrigation de la "la Thibaudière" au début de l’automne 2021,
avec en arrière-plan sa stabulation libre.
Et à la même époque, l’atelier d’élevage de veaux délocalisé près de "la Chauchetière".
Après le déplacement de ses activités agricoles, "la Thibaudière" n’a plus qu’une fonction résidentielle, et elle ne comptant plus que 4 habitants en 2021. Elle en avait une petite vingtaine au début du XIXe siècle, plus du double cent ans plus tard, et 14 au recensement de 196811.
"La Thibaudière" en 2021 avec ses deux habitations et leurs dépendances…
- à gauche, celles de son dernier ancien agriculteur,
- à droite, celles de nouveaux venus en Vendée.
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Notes, sources et références...
(sauf mentions contraires, illustrations et texte sont dus à M. Mignet)
1 Entretiens en 2021 avec Daniel Martineau (un des fils de Jean Martineau), dont la famille a vécu à "la Thibaudière" durant des générations, ainsi qu’avec Armand Audureau, qui en prit la suite en 1976..
2 Registres et plans cadastraux de 1836 du Poiré (Arch. dép. de la Vendée : 3 P 178-24).
3 Cf. le site généalogique "Familles de Vendée", consulté le 14 octobre 2021. Martial Fayau est lointainement apparenté à Joseph Fayau se disant "des Brétinières" (1766-1799) qui était un des fils de Jean-Baptiste Fayau "sieur de la Pampinière". Ce Joseph Fayau, avocat, est le personnage le plus connu de la famille Fayau, ceci pour avoir été député de la Convention nationale où il se fit remarquer par ses positions "ultragauchistes" et par des propos hystérisés tels ceux de son intervention du 17 brumaire de l’an 2 (7 novembre 1793), retranscrits dans la Gazette nationale ou le Moniteur universel, n°50, du 20 brumaire de l’an 2, p. 5 :
"On n'a point assez incendié dans la Vendée : la première mesure à prendre est d'y envoyer une armée incendiaire ; il faut que pendant un an nul homme, nul animal, ne trouve de subsistance sur ce sol".
4 Située primitivement sur l’extérieur du pignon est du "logis", cette ancienne cheminée montre que celui-ci était plus long autrefois devant mesurer environ 28 mètres à l’origine au lieu de sa vingtaine de mètres en 2021 ; et qu’il était centré sur son actuelle porte d’entrée. Cette cheminée a été démontée en 1982, ses corbeaux reposaient sur des montants formés chacun par une colonne, et sa largeur totale était d’environ 2, 20 mètres.
5 Cahier des réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré (Méd. mun. de la Roche-sur-Yon : ms 019), extrait : réquisitions à "la Thibaudière" ; voir aussi de Lorvoire (Jean-Claude), "les Réquisitions de l’armée catholique et royale dans la paroisse du Poiré-sur-Vie", in Recherches vendéennes, n° 3, 1996, p. 257-299.
6 Pour La plupart des compagnons de Charette ayant été tués le 23 mars 1796, et les autres n’ayant pas, pour des raisons évidentes, rapporté par le menu ces journées de traque, on ne connaît pas au jour le jour les derniers déplacements de celui-ci. Les récits jusqu’au jour de sa capture le 23 mars 1796 près de "la Chabotterie", sont le plus souvent au mieux de seconde main, et ne relatent les événements dans leurs détails qu'à partir de son arrivée le soir du 22 mars à "la Pellerinière" des Lucs. Dans la Revue du Bas-Poitou, année 1910, p. 113 à 147, Alain de Goué a fait une étude critique et minutieuse des sources s’y rapportant ; une étude qui montre la fiabilité limitée de celles voulant que Charette soit arrivé à "la Pellerinière" en venant de Saint-Philbert-de-Bouaine. Ces doutes donnent de la crédibilité à la tradition locale de "la Thibaudière", où un passage de Charette n’aurait rien de surprenant, même si sa date peut être sujette à discussions. De possibles compléments d’information pourraient se trouver dans les archives de la famille de Béjarry à la Roche-Louherie de Saint-Vincent-Puymaufrais, qui fut fréquentée par Joseph Jaunâtre (1777-1847), des Lucs, un des rares survivants de la matinée du 23 mars 1796.
7 On perd la trace de ce sabre après 1958, le nouveau curé du Poiré accordant plus d’importance aux questions spirituelles qu’aux questions historiques. Ayant ou non de rapport avec cette découverte, on rappellera que dans les Procès-verbaux de la Municipalité cantonale du Poiré de cette époque, celui du 28 brumaire an 6e (18 novembre 1797) fait état d'une "charrette chargée d'effets" destinés à la petite troupe de Charette, qui avait été cachée précédemment "en une pièce de genet" près de "la Goichonnière", c'est-à-dire à plus ou moins un kilomètre de "la Thibaudière" (Arch. dép. de la Vendée : L 1240)..
8 Cf le chapitre "Culture du Bocage", p. 506 à 544 de Statistique ou description générale du département de la Vendée, de La Fontenelle de Vaudoré (Armand-Désiré de), 1844, 944 p., qui reprend et complète abondamment l’ouvrage du même titre de Jean-Alexandre Cavoleau, 1818, 390 p., et qui souligne les évolutions s’étant produites dans la première moitié du XIXe siècle.
9 Pour la diffusion de nouveaux modèles de constructions agricoles, voir de Garric (Jean-Philippe) et Nègre (Valérie) : La Ferme réinventée, constructions agricoles du XIXe siècle (catalogue de l’exposition tenue du 24 février au 30 septembre 2001 à la Garenne-Lemot, à Gétigné), éditions du Conseil général de Loire-Atlantique, 2001, 158 p., plus particulièrement dans le chapitre 7 : "Des bâtiments propres à loger les animaux", les pages 94 à 107.
10 Sur la photo "Faire les métives en 1940 à la Thibaudière", on reconnaîtra : à gauche, Pierre Martineau (1876-1954) ; sur la faucheuse, son fils Georges (1920-2009) ; et derrière sa fille Marguerite (1913-2007) ; avec à droite le valet Louis Guillet de "la Côtrelière". Enfin, on saura que les deux bœufs au travail sur la photo s’appellaient Bourgadin et Fainéant ; des noms qui étaient fréquemment donnés à l’une ou l’autre des paires de bœufs dans les exploitations proches du bourg, ainsi à "la Jamonière", à "la Tailleferrière"… Cela procurait le malin plaisir qu’on imagine, quand on était amené à leur faire traverser le bourg pour une occasion ou une autre (origine de la photo et des informations qui lui sont liées : Daniel Aubret du "Recrédy", arrière-petit-fils de Pierre Martineau).
11 Recensements de la population du Poiré (Arch. dép. de la Vendée : L 288, 6 M 280-281-282).
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