1789, les cahiers de doléances de la ville et des faubourgs de Clisson
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Tout le monde a entendu parler des Cahiers de doléances de 1789. Le 8 août 1788 une convocation des Etats généraux ayant été décidée pour le 1er mai 1789, chaque ville et chaque paroisse rurale rédigea suibant la tradition un "cahier de paroisse" et élit des délégués. Ceux-ci se retrouvèrent dans chaque chef-lieu de baillage (ici, Nantes) pour rédiger un "cahier de baillage" à partir de ces "cahiers de paroisse", et pour élire leurs députés à la future assemblée des Etats généraux.
Les "cahiers de paroisse" constituent une sorte de "sondage" sur l'état de l'opinion publique en France à la veille de la Révolution, bien que beaucoup d'entre eux aient été rédigés d'après des modèles diffusés par des officines de propagande. Cependant, les "cahiers de baillages", qui devaient théoriquement présenter une synthèses des revendications des paroisses, négligeaient souvent les humbles griefs populaires qui n'intéressaient pas les bourgeois.
D'après le résumé fait devant l'Assemblée constituante le 27 juillet 1789, tous les cahiers étaient d'accord sur les principes suivants...
- le gouvernement français est un gouvernement monarchique,
- la personne du roi est inviolable et sacrée,
- le roi est dépositaire du pouvoir exécutif,
- les agents de l'autorité sont responsables,
- la sanction royale est nécessaire pour la promulgation des lois,
- la nation fait la loi avec la sanction royale,
- le consentement national est nécessaire à l'emprunt et à l('impôt,
- l'impôt ne peut être accordé que d'une tenue d'états généraux à l'autre,
- la propriété sera sacrée,
- la liberté individuelle sera sacrée.
Bref, les "cahiers de doléances" manifestent un loyalisme monarchique et le désir d'une réforme limitant l'arbitraire gouvernemental. le principal désaccord portant sur l'égalité de tous les Français devant la loi et devant l'impôt. Rien ne pouvait annoncer le déroulement futur de la Révolution ni l'œuvre législative de l'Assemblée constituante, qui dépassa de beaucoup le mandat que lui avaient confié les électeurs.
Les deux Cahiers de doléances de Clisson, celui de la ville et celui du faubourg de la Madeleine du Temple, font partie, avec celui commun aux paroisses des Marches communes de Bretagne et du Poitou (Boussay, la Bruffière, Cugand, Gétigné, Grand'Landes, Saint-Etienne-du-Bois...), des 14 qui nous sont parvenus pour les paroisses des futurs "Pays de Montaigu" et "Terres de Vie et Boulogne" ; les 32 autres ont disparu.
Ces Cahiers de doléances de Clisson, ont été collectés en 1989 avec tous les autres du département dans un livre parrainé par le Conseil général de Loire-Atlantique. Ils ont été tous deux commentés et contextualisés par par M. Philippe Bossis, professeur d'histoire de l'Université de Nantes, et qui a proposé les textes de présentation suivants.
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CAHIERS DE DOLÉANCES
de la ville de CLISSON
(paroisses de Notre-Dame, la Trinité, Saint-Gilles et Saint-Jacques)
(texte et commentaire par Philippe Bossis)
En -tête du Cahier de doleances de la ville de Clisson.
L'assemblée générale du 7 avril dont il est question est celle de la Sénéchaussée de Nantes,
au cours de laquelle fut rédigé le "cahier de baillage" ;
les délégués nantais la firent durer jusqu'au 18 avril dans le but de décourager les délégués ruraux
et de pouvoir faire prévaloir leurs revendications.
La ville de Clisson fait partie de la Sénéchaussée de Nantes et de la Subdélégation de Clisson. Elle comp comportait trois paroisses : Notre-Dame, la Trinité, et Saint-Gilles réunie à Saint-Jacques. Le dénombrement de 1790 y compte 1662 habitants, pour un nombre de feux qui n'est pas donné (sans doute entre 330 et 380)1 et une surface de 928 ha (soit une densité de 181 hab./ km²).
Ce cahier est l'original (Arch. dép. de Loire Atlantique : C 567).
L'Assemblée, annoncée le dimanche 29 mars 1789, s'est réunie dans l’église Saint-Jacques (la plus vaste), a été présidée par Pierre-Marie Dardel, sénéchal, le nombre de présent est de 75 connus2, pour un total de 1193 et les signatures sont au nombre de 77.
Liste des présents :
Noble maître J.B. Bureau, avocat, procureur fiscal de Clisson ; noble maître Jacques Lemesle, avocat, syndic ; maître Joseph Douillard, greffier en chef de la châtellenie de Clisson ; noble maître Charles Bureau de la Robinière, avocat en Parlement ; Me Jean Dabin, notaire royal et procureur ; noble maître Joseph-Alexandre Gouraud, docteur médecin ; noble homme Guillaume-René Boutillier ; maître Jacques-François-Gabriel Massicot, notaire et procureur ; honorable homme Julien Peltier, maître en chirurgie ; Me Augustin Maillochaud, docteur en médecine ; honorable homme Claude Mesnard, maître chirurgien ; Joseph Rigaud, marchand ; François Belleroche père et fils, sellier ; Jean Auberon, arquebusier ; Jacques et et Jean Aubron, teinturiers ; Pierre Aubin, vitrier ; Jean Gaultier ; Jean Le Simple, journalier ; Jean Dabin, chamoiseur ; Pierre Rousseau, chamoiseur ; Joseph Guérin, marchand ; Augustin Grenouilleau, boucher ; Jean Huchet, marchand ; Jean Blanlœil, cordonnier ; Pierre Bonet, tisserand ; Antoine Dugast, fermier ; Louis Becavin, marchand ; Pierre Chiron, marchand ; François Merlet, marchand ; Nicolas Angelard, serrurier ; Joseph Châtellier, coutelier ; François Gogué, marchand ; Pierre Girardeau ; Jacques Bouchaud ; René Lefort, charpentier ; Gabriel Clisson. Marchand ; Pierre Trabil, serrurier ; Pierre Nicolleau, serrurier ; Pierre Lengevin, tonnelier ; Mathurin Bailliard, boulanger ; Julien Desfontaine ; Charles-Mathurin Guilloton ; Pierre Papin, tanneur ; Pierre Lefort, boulanger ; Maurille Rousseau, chapelier ; René Choy, aubergiste ; Jacques Caillaud, marchand ; Pierre Brebion, marchand ; Jacques Thomas, filassier ; Pierre Méchineau ; Pierre Masson ; Simon Couffin, jardinier ; François Cochet ; Pierre Blineau, marchand ; Mathurin Macé ; Etienne Audineau, boulanger ; Jean Morinière ; Jean de La Grange, chapelier ; Pierre Loyret, maréchal ; Pierre Loyret, tailleur ; Pierre Ringeard, marchand ; François Perraud, tonnelier ; Jean Dugast, tonnelier ; Jean Clisson, vitrier ; Jean Veillet du Verger, perruquier ; Jean Hupe ; Jean Gaultier ; Pierre Girardeau ; Jacques Bouchaud ; Julien Desfontaines ; Charles-Mathurin Guilloton ; Pierre Méchineau ; Pierre Masson ; François Rochet ; Mathurin Macé ; Jean Morinière.
Non présent au procès-verbal, mais signataires selon la copie du greffier :
Joseph Gogué ; Charles Buzic ; François Clisson ; Joseph Ouvrard ; Coycale ; Marlin Guillou ; Audap ; René Ouvrard ; Joseph Dubin ; Philippe Nicolleau ; B. Bretin ; Bertin ; François Grejeau ; R. Peltier ; Jean Blavet ; Sébastien Peridy ; Pierre Ouvrard ; Jean Corbet ; François Gaborit ; Jean Rocquand ; Pierre Bahuaud ; Pierre-Louis Hallard ; Coqcaille ; Esprit Loyret ; Pierre Bonrouet ; Alphonse Petit ; E. Bretin ; Pineau ; Jean Haudebeau ; Claude Bruneau ; Derre ; Guogué ; François du Temple4 ; Pierre Georget ; Clisson ; F. Giot ; J. Roignant ; Duret5.
Élus : Jean-Baptiste Bureau, avocat, procureur fiscal ; Charles Bureau de la Robinière, avocat ; Jacques Lemesle, avocat, syndic ; sieur Louis Gautret père.
Le cahier de doléances de Clisson s'affirme globalement très réformateur, voire "révolutionnaire" au plan social. On n'en attendait pas moins d'une assemblée où, finalement, sous la direction des autorités, officiers seigneuriaux, notables et bourgeois, un tiers environ des feux étaient représentés. C'est une forte proportion quand on sait que trois paroisses se rassemblaient dans une seule église.
Inspiré manifestement de la "philosophie des lumières", le texte se distingue par son apologie de la loi ; en revanche, il ne parle jamais du roi, sauf à propos de chasse ! Ce qui est symptomatique... Bien que non organisé systématiquement, il contient un véritable programme politique dont les sources intellectuelles sont choisies : le philosophe anglais John Locke, inspirateur de réformes constitutionnelles, adversaire de la monarchie absolue, mais aussi Turgot, le praticien réformateur malheureux qui n'est pas oublié ici, après treize ans...
Parmi les acteurs, le groupe d'officiers, agents seigneuriaux, réclame l'abolition de la vénalité des charges et la suppression du régime féodal6. Il se saborde donc allègrement ; mais ces gens de loi ont conscience d'être indispensables à l'énoncé des réformes. Ils passent à l'attaque anti-nobiliaire, inattendue celle-là, et très rare : les nobles ces ennemis de la souveraineté de la Nation sont toujours en trop grand nombre. Il est vrai qu’une seule famille était capitée, au début du siècle, dans la ville, et sept seulement en 1789. Mais les nobles des campagnes environnantes fréquentaient, semble-t-il, de plus en plus, leurs hôtels de Clisson. Et surtout, la grande noblesse de Cour, tel le Prince de Rohan Soubise, dominait encore la place, avec les restes d'un château prestigieux et des "terres", dont la Roche-Sibien, en Gétigné...
La haute noblesse de Cour est étrangère aux populations, bien qu'elle paie 80 % du dixième puis du vingtième à Clisson (impôt proportionnel, en principe, aux revenus). Une bonne part du revenu foncier net quitte le pays. Les anciennes obligations des seigneurs ne sont plus observées. A la suite d'un procès perdu, Rohan-Soubise abandonne l'entretien indispensable des ponts sur la Moine et la Sèvre (1750). Leur dégradation importante nuit aux transports.
La noblesse locale, par ailleurs assez médiocrement possessionnée en domaines, est divisée. Sa nobilité, ses alliances sont remises en cause (la Chambre des Comptes de Bretagne à Nantes fournit de nouveaux nobles). Elle réside plutôt sur la paroisse Saint-Jacques (Lenfant de Louzil, de Liger...) alors que le clergé distingué (chanoines de la Collégiale) habite Notre-Dame7.
La bourgeoisie locale brocarde les nobles et le clergé ; le cahier envisage même "l'arrondissement des paroisses", ou des suppressions (Saint-Gilles avait été réunie à Saint-Jacques en 1771). Elle s'en prend aux dîmes et finalement aux revenus d'Eglise. Les chanoines percevaient des redevances seigneuriales et des rentes multiples qui grevaient les biens de campagne, or il n’était pas possible de les amortir...
Clisson est alors une localité industrieuse. Le textile (toiles, serges, flanelle...) occupe trois cents personnes intra-muros, et plus du double dans les quatre paroisses des Hautes Marches Communes de Bretagne et de Poitou (Gétigné, Boussay, Cugand, la Bruffière). C'est là que s'accumule la population et non dans la ville. Les produits nouveaux en lin-coton ou coton s’y développent. Les "Vallées" de la Loire (Saint-Julien-de-Concelles, Basse-Goulaine) fournissent une part du lin. La mode favorise les étoffes légères, d'où l'installation, en 1785, d'une manufacture d'indiennes.
Les tanneries sont en bordure de la Sèvre, elles rappellent l'abondance du bétail dans la région. Les Marches concentrent le travail métallurgique (forge de Fouques en Cugand) et les quatre papeteries à la Feuillée et à Antières, où est déjà présent Julien Ouvrard, le futur homme d’affaires de Napoléon. Ces entreprises sont liées à Nantes. L’ensemble est dynamique. Clisson est le centre commercial pour les vins, l'élevage (marché aux bestiaux du vendredi, de mars à novembre) et les textiles (halles spécialisées) ; d'où les revendications contre les "barrières" douanières, et en faveur de transports faciles et à bon compte (si la Sèvre était navigable de Clisson à Monnières... le coût du transport des vins serait six à sept fois plus faible que n'est celui du roulage).
L'acrimonie anti-nobiliaire vient certainement en partie de cette situation : on a laissé les routes se dégrader alors que 10 000 véhicules "descendent" annuellement sur Clisson (Duboüeix)8.
Dans ce cadre manufacturier et commerçant, il est normal de parler "lettres de maîtrise" et "certificat de bonnes mœurs" pour les jeunes et nouveaux compagnons. On note le souci de connaître les origines de chacun, grâce aux registres paroissiaux ; ce qui peut s'expliquer par les conditions de l'emploi et les courants migratoires propres aux Marches, véritables refuges, où contrebandiers, faux sauniers et fraudeurs de tout poil sont de passage ou résidents.
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DEMANDES ET DOLÉANCES
des habitants composant le Tiers Etat de la ville de Clisson9
pour être présentées à l’assemblée général le 1er avril 1789
Art. 1. Demander une législation claire, impartiale, exempte des saillies, du caprice et de l'intérêt particulier.
La loi doit être uniforme dans l'endroit où elle s'étend, également à tous les ordres de l'Etat, parce que toute exemption de la loi est une injure faite à la loi et à la société.
Art. 2. L'abolition de la vénalité des charges.
Les récompenses doivent être invariablement le partage des membres les plus utiles à la chose publique. Les places accordées à l'incapacité et à la médiocrité sont des vols faits au mérite, et toujours préjudiciables à la société.
Art. 3. La responsabilité des personnes préposées à l'emploi des finances. Une malheureuse expérience ne fait que trop sentir aujourd'hui la nécessité de cette demande.
Art. 4. Le droit pour tout citoyen d'aspirer à tous les emplois et toutes les charges civiles et militaires, dont ses talents, ses services et ses vertus pourront le rendre digne.
Personne ne travaille à se rendre utile, quand les bienfaits, les honneurs et les grâces ne sont le prix que de la naissance, de la fortune et de la faveur.
Art. 5. La réformation du code civil et criminel. Tout le monde en connait la nécessité.
Art. 6. La réformation de la coutume de notre province.
- Plusieurs articles sont tombés en désuétude, d'autres sont restés sujets à l'interprétation ; et enfin beaucoup paraissent ridicules et absurdes10.
- Les mêmes lois ne peuvent être bonnes dans toutes les circonstances. Utiles dans un temps, elles deviennent inutiles et nuisibles dans un autre. Ainsi Locke, en donnant des lois à la Géorgie américaine, ne voulut point qu'elles durassent au-delà de cent ans.
Art. 7. La suppression des droits de contrôle ; ou du moins un nouveau tarif qui ne laisse rien à l'interprétation et à l'arbitraire. La perception de l'impôt doit être simple et facile. Une perception compliquée est une vexation qui ne sert, contre l'intérêt du gouvernement, qu'à enrichir le traitant11.
Art. 8. La suppression du droit de franc-fief. Cet enfant de la féodalité est, de tous les droits, le plus contraire à la tranquillité du citoyen roturier. Il cause une perte de temps considérable à ceux qui sont appelés au bureau12. On demande instruction sur instruction. Il faut des titres ; on va, on vient, on cherche, on ne trouve rien13. Et voilà la source intarissable des procès qui portent le trouble dans les familles, et livrent la fortune des orphelins14 à tous les caprices des officiers du domaine15. D'ailleurs ce droit cause beaucoup plus de mal que de bien, puisque y compris les dix sous pour livre, le produit n'est, année commune, que d'environ un million pour tout le royaume.
Art. 9. Le rachat de tous les droits féodaux.
Il ne peut y avoir que des gens parvenus qui puissent rester attachés à ces droits tyranniques. On peut consulter sur cette matière un petit ouvrage intitulé "Inconvénients des droits féodaux", imprimé sous le ministère de M. Turgot.
Art. 10. La suppression de la milice.
Ce corps d'infanterie, formé d'hommes levés au sort dans les villes, bourgs et villages du royaume, présente une espèce d'hommes dégradés en apparence, parce qu'on leur a ôté ce qui fait leur apanage : la liberté. Cette manière de former la milice paraît exiger des changements devenus nécessaires pour le citoyen et pour l'Etat. L'expérience et le temps démontrent ce qu'on avance d'une manière bien sensible.
Art. 11. La suppression des justices seigneuriales remplacées par des justices royales, et la création d'un nombre suffisant de notaires royaux associés à la communauté des notaires, et reçus sur l'attestation de la dite communauté. Il est inouï qu'un Etat qui exige des lumières et de la droiture, reçoive indistinctement dans son sein toutes sortes de personnes.
Art. 12. Etablissement de maréchaussée à Clisson où l'impunité enhardit le crime depuis longtemps. Vols, assassinats, viols. Tout cela se commet dans ce canton16.
Art. 13. Un règlement qui défende aux propriétaires de louer des maisons aux inconnus, lorsqu'ils ne font point apparoir17 d'un certificat qui fasse preuve de leur probité. On en voit la raison.
Art. 14. L'exacte recherche de la noblesse en présence de commissaires nommés par le Tiers.
On se plaint que la noblesse augmente chaque année sa classe, en admettant des étrangers à faire juger au parlement un état qu'ils devraient être préalablement assujettis à faire constater dans le lieu de leur origine. La raison en est que leurs titres peuvent être compris dans la révocation de 1640 par Louis XIII. Dans celles de 1661 à 1664, et enfin dans celle de 1715. Au reste les écrivains ne craignent pas de dire que la dernière réformation a été mal faite, et conséquemment a fait plus de mal que de bien.
Les nobles, ces ennemis de la souveraineté et de la Nation, sont toujours en trop grand nombre. La noblesse héréditaire ne peut être regardée que comme un abus pernicieux qui n'est propre qu'à favoriser l'indolence, la paresse et l'incapacité d'un ordre de citoyens, au préjudice de tous.
Art. 15. La circonscription la plus scrupuleuse et le plus grand respect pour toutes les lettres confiées à la poste18, et la vérification du tarif qu'on suit dans ses bureaux. Il ne parait pas conforme à celui de 1759, qui, cependant, est le dernier rendu pour fixer la taxe.
Art. 16. Une loi qui défende aux banqueroutiers d'acheter aucun fond, même de placer leur argent à titre de constitution19 ; il suffirait, pour cet effet, de déclarer les contrats non exécutoires.
Art. 17. La liberté de la presse, comme utile à prévenir les abus, et comme un frein puissant contre l’homme élevé en dignité qui oserait abuser de son crédit20.
Art. 18. La suppression des droits de traites et autres de cette nature ; et le reculement des barrières aux frontières, afin que le commerce intérieur soit parfaitement libre d'entraves nuisibles à l'industrie21.
Art. 19. L'augmentation de la paie militaire, pour le soldat seulement, afin de le fixer davantage au service. Il est injuste qu'une classe destinée à se sacrifier pour la gloire du Royaume, et la sûreté de nos propriétés n'ait pas une existence plus heureuse.
Art. 20. Un règlement relatif aux réparations des presbytères22 et autres bénéfices ecclésiastiques.
- Ces réparations sont toujours ruineuses pour les héritiers des titulaires, parce que les bénéficiers sont souvent peu disposés à prendre sur leur revenu pour l'entretien d'objets dont ils n'ont pas la propriété.
- Il paraîtrait convenable d'assujettir les bénéficiers au paiement d'une somme annuelle, au profit de la paroisse pour les cures ; et pour les autres bénéfices, au profit d'une chambre ecclésiastique23 : lesquelles paroisses et chambres ecclésiastiques resteraient chargées des réparations des bénéfices qui les concernent.
Art. 21. La suppression du centième denier pour les successions collatérales.
Il est peu de personnes qui ne sachent par expérience combien ce droit entraîne d'inconvénients. L'héritier doit se présenter dans les différents bureaux où les biens sont situés : conséquemment il faut quelquefois faire bien des voyages. Il faut dans chaque bureau représenter des titres, ou affirmer positivement qu'on n'en a point. Dans ce dernier cas, on force à donner une évaluation aux biens que souvent on ne connaît pas, sauf au fermier à prouver qu'elle est insuffisante ; ce qui lui est permis de prouver par experts aux frais des redevables. Qu'on joigne à tout cela les peines et les amendes, et qu'on calcule ce qu'il en coûte à l'héritier pour ce droit odieux, dont l'évaluation, arbitraire dans la perception24, est de toutes les injustices, la plus révoltante.
Art. 22. La suppression des commissaires départis. Ils deviennent inutiles, si les provinces se gouvernent par elles-mêmes25. Dans une bonne administration, il ne doit y avoir aucune place qui ne soit nécessaire.
Art. 23. Une loi qui enjoigne aux juges de motiver leurs sentences et arrêts. Ce serait peut-être un moyen d'empêcher la partie condamnée d'interjeter un appel téméraire.
Art. 24. Une meilleure organisation dans les Etats de cette province.
Celle des Etats de Dauphiné26 est sans contredit la meilleure, puisqu'elle a l'approbation générale. Il est sans exemple qu'une assemblée, où l'on doit s'occuper des intérêts publics et particuliers, admette d'une manière indéfinie27, par la seule raison qu'on les croit nobles, des citoyens, dont la plupart sont tout au plus capables d'administrer leurs affaires domestiques. Quelles décisions peut-on attendre de cette cohue tumultueuse28.
Art. 25. La répartition de l'impôt indistinctement sur tous les ordres. C'est le vœu de tous les citoyens sensés et équitables.
Art. 26. Un règlement qui enjoigne impérieusement aux boulangers d'avoir dans leurs boutiques des balances avec des poids de cuivre, portant une marque apparente qui certifie qu'on les a rectifiés sur l'étalon. Les acheteurs pèseraient le pain et ne seraient tenus de payer que la pesanteur29.
Art, 27. L'exécution en Bretagne de l'arrêt du Conseil portant suppression de la corvée30 ; et la contribution à l'entretien des chemins par tous les ordres indistinctement.
Art. 28. L'assujettissement de la noblesse et du clergé au logement des gens de guerre et à la fourniture aux casernes31, par la raison que la sûreté de l'Etal est un bien commun à tous les ordres.
Art. 29. Un règlement qui fixe un certain temps de travail pour les jeunes ouvriers ; lequel temps expiré, il leur serait délivré gratuitement des lettres de maîtrise sur un certificat de leurs talents et bonnes mœurs. Ce serait le vrai moyen de faire naître et entretenir l'émulation.
Art. 30. L'arrondissement des paroisses ; de sorte que le clocher soit, autant qu'il est possible, au milieu, et qu'il n'y ait aucune rivière considérable à passer. On sent l'avantage que cela procurerait32.
Art. 31. La suppression de la dîme ecclésiastique. On pourrait assurer la subsistance des curés et des évêques sur les fonds des bénéfices simples, qui n'exigent ni résidence, ni fonction, et qui autorisent les titulaires à réunir deux choses contradictoires, l'oisiveté et le salaire33.
Art. 32. Le rachat des dîmes inféodées. Elles entraînent les mêmes inconvénients que les dîmes ecclésiastiques.
Art. 33. Etablissement de greniers dans chaque province pour prévenir la disette. Par ce moyen le pauvre serait toujours assuré de trouver du grain à un prix raisonnable.
Art. 34. Egalité des peines pour les trois ordres. Rien n'est plus injuste et plus contraire à la raison qu'une loi qui honore un ordre, en flétrisse un autre pour te même crime.
Art. 35. La suppression de toutes les capitaineries royales34, celles où le Roi chasse exceptées.
Il en résulterait une économie considérable pour l'Etat, un soulagement inappréciable pour le cultivateur, et la destruction de cette foule d'abus35 qu'entraîné le droit de chasse.
Art. 36. La liberté à tout citoyen de chasser sur ses terres exclusivement à tout autre. C'est un droit attaché à la propriété36.
Art. 37. La liberté individuelle de tout citoyen, de sorte qu'il ne puisse jamais en être privé sans l'observation des formes. Une sage police doit être le soutien de la liberté. Elle n'est à craindre que pour la licence.
Art. 38. La conservation des privilèges de la province.
Art. 39. La suppression des privilèges d'exemption et la conservation des privilèges d'illustration37.
Dans un vaste empire38 l'homme de mérite ne peut être vu et connu de tous ; il est donc juste et avantageux d'accorder des distinctions à la vertu, à la valeur et aux connaissances, afin que la personne décorée puisse obtenir du public les hommages qui lui sont dus. Mais ces décorations ne doivent jamais être le prix de l'or.
Art. 40. Une nouvelle forme d'enregistrement pour les baptêmes. Nos lois sur cette matière, toujours attentives à l'intérêt des familles, et au bon ordre de la société, exigent impérieusement, pour assurer les preuves de l'état des personnes, que les actes de baptêmes soient inscrits sur deux registres publics, dont l'un doit être déposé tous les ans au greffe du Siège royal, et l'autre demeurer entre les mains du curé. Elles joignent à cela les dispositions convenables pour régler plus exactement ce qui regarde la forme des registres, ainsi que celle des actes qui doivent être transcrits. Elles veulent qu'il y soit fait mention du jour de la naissance, du nom donné à l'enfant, de celui des père et mère, parrain et marraine. Voilà assurément tout ce qu'il faut pour assurer l'état de l'enfant ; mais il semble qu'on pourrait ajouter quelque chose pour les preuves de la parenté. Ce serait d'exiger qu'on marque le lieu de l'origine des père et mère ; ainsi que cela se pratique dans les publications de mariages. Cela faciliterait beaucoup les recherches auxquelles les familles sont souvent nécessitées.
Ainsi signé :
R. Audap, Louis39 Gautret, Gabriel Clisson [marchand], Pierre Gautret [marchand), Menard Chirurgien40, Joseph Chatelier [coutelier], B. Bretin, F. Greyo, Martin Guillou, F. Gogué [marchand], J. Bertin, R. Pèlerin, Philippe Nicolleau, Nicolleau [serrurier], Pierre Georget, J. Blavet, Sébastien Peridy, Jean Lagrange [charpentier], François Giot, Pierre Le Fort [boulanger], Joseph Ouvrard, Pierre Ouvrard, Jean Gautier, J. Corbet, F. Gabarit, P. Louis Allard, Jean Roignant, Pierre Bahuaud, Joseph Gogué, François Perraud, J.41 Dabin, Caucal, Pierre Duret, Alphonse Petit. Esprit Loiret, G. Clisson [marchand], Pineau, E. Bretien, Jean Haudbaud, Claude Bruneau, Derre, J. Le Peltier, Clisson, P. Aubin, J. Guerin [marchand], P. Chiron [marchand], Jean Bahuaud, François Gautret [marchand], François Merlet [marchand], François Merlet, François Belliard, Haigron, Gogué, François Belleroche [sellier], P. Aubry, J. Clisson [vitrier], Alphonse Pierre42 Loiret, François Du Temple, Aubron [arquebusier], [noble maître] Louis Bonin [docteur en médecine], Pierre Marie43 Dardel, sénéchal, président de l'assemblée, Douillard44, greffier45.
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1 2000 habitants selon M. Duboüeix, médecin et maire en 1790, chiffre probablement repris du Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, de Jean-Baptiste Ogée, 1778, t. 1, p. 225.
2 Nommés au procès-verbal.
3 Y compris tous les signataires et présents non mentionnés dans la liste du procès-verbal.
4 De la paroisse du Temple de Clisson.
5 Ces trois derniers noms portés au bas du cahier.
6 Le président et sénéchal ne parait pas s’être engagé.
7 Les deux couvents de la Trinité (Cordeliers et Bénédictines) sont assez pauvres.
8 Michel Duboüeix (ou Michel Du Boüeix), médecin des épidémies et correspondant de l’Académie royale de médecine, a écrit une intéressante Topographie médicale… de la région (Arch. dép. de Loire Atlantique : C 626). Il sera élu maire en 1790.
9 C’est le cahier commun à quatre paroisses de la ville : Notre-Dame, la Trinité, Saint-Jacques et Saint-Gilles. La Madeleine (du Temple) a son cahier particulier.
10 Chez les partisans "éclairés" des réformes, l’incompréhension d’une coutume ou d’un usage est systématiquement qualifiée ainsi.
11 Ou "partisan" ; celui qui a conclu avec le Roi un "traité" l’autorisant à lever taxe ou impôt.
12 Du contrôle des actes.
13 Il s’agit de vérifier le statut de la terre : noble ou roturière.
14 Nombreux, en raison du taux de mortalité.
15 Nous dirions, aujourd’hui, fonctionnaires de l’Enregistrement et des Domaines.
16 Au contact des Hautes-Marches de Bretagne et de Poitou, région privilégiée. Clisson fait peut-être figure de refuge pour les malfaiteurs et contrebandiers ; ce qui expliquerait la demande suivante.
17 Ne montrent pas un certificat.
18 Il y a des indiscrétions et détournements.
19 Rentes constituées.
20 Réputation.
21 Activité.
22 Les grosses réparations incombent à la paroisse ; les locatives au curé ou à ses héritiers, d’où des litiges.
23 Service financier de l’évêché.
24 Doit être faite d’après le revenu net. Taux faible : 1 % ad valorem.
25 Visée décentralisatrice. Les intendants des Généralités sont en cause.
26 Les événements de Grenoble sont donc connus et la place décisive occupée par le Tiers Etat.
27 Limiter les anoblissements.
28 Attaque contre la noblesse bretonne aux États (plusieurs centaines de présents à chaque tenue).
29 Défiance à l’égard des poids et mesures en raison de leur multiplicité.
30 Remplacement, fin 1786, par une redevance en argent.
31 Le "casernement" n’est pas payé par les privilégiés.
32 Déjà Saint-Gilles de Clisson avait été réunie à Saint-Jacques.
33 Ces bénéficiers peuvent être en effet sans emploi.
34 Circonscriptions de chasse attachées aux forêts royales avec personnel spécialisé.
35 Non-respect de la réglementation sur le temps, les cultures, le gibier…
36 D’où l’universalité de cette doléance et bien que le gibier soit res nullius.
37 Mérite reconnu.
38 Etat.
39 Sieur… père, nommé député, ainsi que les avocats Jean-Baptiste et Charles Bureau qui n’ont pas signé le cahier. Le premier est procureur fiscal de la seigneurie de Clisson, le second est mentionné dans le procès-verbal sous le nom de sa propriété "de la Robinière".
40 Honorable homme, maître.
41 Maître… notaire royal et procureur.
42 Maréchal ou tailleur.
43 Noble homme, avocat et sénéchal de la châtellenie de Clisson. A ce titre, le premier officier de la seigneurie.
44 Greffier en chef de la châtellenie.
45 Le quatrième député était maître Jacques Le Mesle, avocat, correspondant de la Commission intermédiaire, qui n’a pas signé non plus, bien que syndic de la ville. On observera que les signatures mentionnées ne sont pas originales, et que le greffier a pu en oublier quelques-unes dans sa copie… Seulement 30 des 85 mentionnés ou signataires du P.V. ont signé le cahier, dont quelques notables, le sénéchal et le greffier. 32 des signataires du cahier ne sont pas signataires ou nommés au P.V. On peut supposer une véritable scission ; la majorité des présents cités au P.V. de l’assemblée n’aurait-elle pas approuvé le cahier ?...
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CAHIER DE DOLÉANCES
de la paroisse de
la Madeleine du Temple de CLISSON
(texte et commentaire par Philippe Bossis)
La paroisse de la Madeleine du Temple, faubourg de Clisson, fait partie de la Sénéchaussée de Nantes, et de la Subdélégation de Clisson. Le dénombrement de 1790 y compte 260 habitants1, pour un nombre de feux et une surface de la paroisse non précisés.
Ce cahier est l'original (Arch. dép. de Loire Atlantique : C 567), mais proche de ceux du voisinage (cf. celui de Maisdon).
L'Assemblée s'est réunie le lundi 6 avril au "lieu ordinaire des délibérations" (sacristie ?), a été présidée par Babin de Bourneuil, le nombre de présent est inconnu, les signatures sont au nombre de 9. Les élus seront M. Firmin de Bourneuil, major du régiment des garde-côtes, et maître François Robert.
La paroisse du faubourg sud de Clisson, la Madeleine du Temple tire son nom de l'existence d'une commanderie des Templiers (moines-soldats). L'Ordre de Malte en a hérité. C'est une seigneurie ecclésiastique qui relève du roi. Au nord, elle s'étend en bordure de la Sèvre, au sud sur les limites de Cugand. Elle dispute à ses voisines le contrôle des bords de la rivière où s'activent tisserands et tanneurs. La population est très pauvre : sur cent-deux capités, sept seulement paient une taxe supérieure à une livre (deux journées de travail). Le prêtre desservant une commanderie est, en général, un modeste congruiste, réduit à la portion congrue, qui ne reçoit pas de dîme2. L'Ordre de Malte, au contraire, principal bénéficier mais absent, est perçu comme riche, sa réputation est mauvaise, autant que sa capacité à faire l'aumône sur place.
Une très étroite frange de notables domine l'assemblée tenue un lundi, jour inhabituel, veille de l'assemblée de sénéchaussée à Nantes. Le rédacteur commet à son propos une erreur de date...
Le texte va à l'essentiel : égalité fiscale et suppression des banalités devenues archaïques (moulin, four).
C'est un bourgeois, Babin de Bourneuil, "vivant noblement", allié à la petite noblesse locale, qui préside ; il a fait une carrière militaire, d'où ses responsabilités à la tête d'un régiment (160 hommes) de milice garde-côte. En temps de paix, sa résidence à Clisson ne paraît pas étonnante.
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CAHIER CONTENANT LES DOLÉANCES
du général de la paroisse de la Madeleine du Temple, de Clisson
Le six avril l'an mille sept cent quatre-vingt-neuf, le général de cette paroisse assemblé au lieu et à la manière accoutumée, conformément aux intentions de Sa Majesté pour nommer des députés pour les représenter dans la ville de Nantes le onze3 du présent mois à l'assemblée du Tiers Etat de ce diocèse, a nommé Monsieur Firmin de Bourneuil, major du régiment des garde-côtes, et Mr François Robert, auxquels ils donnent pleins pouvoirs de les représenter, de faire les demandes suivantes, et toutes autres qu'ils jugeront convenables, promettant les avoir pour agréables.
Art. 1. La répartition égale des impôts sur les trois ordres proportionnellement à leurs facultés.
Art. 2. La suppression de la corvée.
Art. 3. La suppression des moulins et fours banaux.
Art. 4. La suppression des franc-fiefs.
Art. 5. Que la portion congrue de notre curé, qui est de l'ordre de Malte4, soit également payée, ainsi que toutes les autres pensions.
Arrêté les jour et an ci-dessus, sous les seings de ceux qui le savaient, les autres ayant déclaré ne le savoir.
Pierre Bordron, François Belliard, Jacques Blouin, François Rineau, René Bouchaud, François Luno, Jean Droneau, François Robert, Firmin de Bourneuil.
Les restes de l'église de la Madeleine du Temple vers 1900
(dessin de Joseph Boutin).
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1 Chiffre arrondi fortement semble-t-il.
2 Le casuel du curé est nul, dit-on par ailleurs.
3 Le rédacteur commet une erreur de date, il s’agit du 7 avril, lendemain de cette assemblée. Ce jour-là, seul de Bourneuil est présent à Nantes.
4 Il est le successeur direct de l’ordre du Temple. L’ordre percevait lui-même les redevances ecclésiastiques. Les curés étaient à portion congrue donc modestement rémunérés : 700 livres (à une époque où la rétribution d'une journée de travail d'un journalier était de l'ordre de 1,25 à 1,5 livre). .
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