Cugand en 1788, vu par M. Du Boûeix
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En 1788, dans sa "Topographie médicale de de la ville et l'hôpital de Clisson en Bretagne et de ses environs", Michel Du Boüeix (pour respecter l'orthographe qu'il se plaisait parfois à donner à son nom) évoque Cugand, paroisse voisine de celles de Clisson, mais qui était situées dans les Hautes Marches communes de Bretagne et de Poitou, avec celles de Gétigné, Boussay et la Bruffière.
Cette "Topographie médicale...", publiée dans le Journal de la Médecine, Chirurgie, Pharmacie, etc. de juin 1788, reprend en partie ce qu'en dit Jean-Baptiste Ogée dans son Dictionnaire historique et géographique, de la province de Bretagne. Les aspects de Cugand qu'elle aborde, complète l'Etat des usages de la paroisse de Cugand en 1788, laissé par Jacques Dechaille, recteur de la paroisse, et les "Observations" faites de 1760 à 1780 par le même dans les registres paroissiaux de Cugand.
Voici donc ce qu'écrit M. Du Boûeix sur Cugand dans sa "Topographie médicale..." :
Cugand, à 3/4 de lieue est-sud-est, dans les Hautes Marches communes de Poitou et Bretagne1 ; 950 communiants.
Cette paroisse, arrosée dans toute sa longueur par la rivière de Sèvre, présente une chaîne de coteaux riants et pittoresques hérissés de groupes de rochers granitiques, entremêlés d'arbres et de terres en labour, coupés par des ruisseaux, dont il y en a un très-considérable qui coule du sud au nord et se décharge dans la Sèvre. Les terres éloignées de la rivière sont un peu plus froides et plus humides que celles des coteaux.
Les débordements de cette rivière causent de grands dommages, à raison de la grande quantité de moulins à drap, à papier, à farine, etc., établis sur son rivage. On ne trouve dans cette paroisse ni forêts, ni marais. Les eaux qu'on y boit sont bonnes et de source vive. On y trouve deux sources qui paraissent minérales : l'une coule dans un bassin découvert, au milieu d'un pré où les habitants du bourg vont laver leur linge. Ce bassin, peu profond, ne gèle jamais en hiver, quelque froid qu'il fasse. Il fond la glace qu'on y jette, et il dépose un limon noirâtre et onctueux. L'autre source se trouve dans un pré, près du village de Gomiez ; elle est froide et paraît ferrugineuse. Un fabricant de draps de ce village, attaqué de la gravelle, prétendait, il y a quelques années, que cette eau le soulageait. Ces deux sources n'ont pas été analysées.
La végétation et la vigueur des animaux sont fortes dans cette paroisse. On y élève quantité de bestiaux. Toutes les terres sont très-exactement cultivées en seigle surtout, en froment et menus grains. Les laboureurs laissent reposer leurs terres pendant trois années, pour après les ensemencer trois ans de suite, en changeant ordinairement de grains.
Il n'y a presque pas de vignes, le pays n'y étant pas propre. Les habitants sont assez robustes et bien constitués. On y voit des vieillards d'un âge très-avancé, qui passent souvent 80 ans. Ils se nourrissent assez bien et se vêtissent de même d'étoffes de laine, qui se fabriquent dans le pays. Ils sont laborieux, d'assez bonnes mœurs, d'un caractère gai et ouvert. Le petit peuple y a plus qu'ailleurs d'aisance et de ressources, qu'il trouve dans les papeteries, la filature des laines, etc. Il y a des paysans (métayers) très riches. J'en connais qui possèdent depuis 2000 jusqu'à 8 ou 9000 livres de revenu annuel, en propriétés. Ils sont bien mieux logés que dans les pays vignobles.
Les épidémies ne font pas de grands ravages dans ce canton, et l'on n'y connaît point de maladies épidémiques. Cependant on trouve, dans le bourg où il y a des pauvres et dans quelques villages, parmi les ouvriers occupés en grand nombre à filer et à carder les laines, des écrouelles, des ophthalmies habituelles et lippitudes, occasionnées sans doute par l'attouchement continuel de ces laines grasses et les exhalaisons fétides de l'huile qui sert à leur préparation. Ces ouvriers sont nécessairement malpropres. C'est la classe indigente et surtout les enfants qui sont employés à cet ouvrage.
Le village appelé Antier, sur la rive gauche de la Sèvre, est presque tout occupé par des manufactures de papiers et cartons. Il s'y en fabrique de toutes grandeurs et qualités. Ces papeteries, avec d'autres qui sont situées une demi-lieue plus bas, forment une branche de commerce très considérable.
Les ouvriers de ces manufactures sont ordinairement pâles et maigres. J'en ai vu quelques-uns mourir phthisiques. Ils ont ordinairement les jambes œdémateuses. Les salleronnes (filles employées au triage des papiers, à les plier, nettoyer, etc.), sont sujettes aux suppressions, à la chlorose, et les douleurs rhumatismales, les rhumes et catarrhes attaquent souvent les ouvriers.
Il y a de plus quantité de fabricants de gros draps de laine, appelés serge, qui forment encore un commerce très important et fort étendu. Ceux-ci sont sujets aux mêmes maladies que les cardeurs et fileurs de laine, en outre, à l'œdématié et aux ulcères des jambes. Il y a aussi des tisserands en lin et coton.
Les habitants de cette paroisse sont en général actifs, industrieux et laborieux.
Depuis une douzaine d'années, un particulier, mort depuis peu, chef et propriétaire d'une fonderie de canons établie à Nantes, a construit au village de Fouques, en Cugand, à 1/4 de lieue de Clisson, une forge ou fonderie très-considérable et qui le devient de plus en plus, étant aujourd'hui entre les mains d'un négociant fort riche. L'usage de cette manufacture, dont les roues sont mues par les eaux de la Sèvre et font jouer plusieurs marteaux et soufflets à la fois, est de refondre et reforger tous les débris de canons et autres ouvrages en fer manqués à la fonderie de Nantes, tous les rebuts appelés carcas, et les ferrailles qu'on recueille de toutes parts, qu'on transporte de Nantes ici et qu'on y reporte ensuite ouvrés. Quoique les frais de ce double transport, qui se fait par terre, en grande partie, à 6 grandes lieues de distance, ceux de main-d’œuvre, etc., soient très-considérables, cette manufacture vaut 12 000 livres, quittes et nettes, de produit annuel à son propriétaire. Les ouvrages sont du fer en baguettes pour les chevilles de navires, du fer plat, des pivots de moulins à sucre pour l'Amérique, dont on façonne les extrémités dans le même atelier, au moyen d'un gros tour mis également en jeu par l'eau de la rivière.
Ces forgerons sont maigres, pâles, sujets aux maladies inflammatoires, aux péripneumonies, etc.
On m'a assuré qu'on avait trouvé de l'antimoine, en creusant les fondements de cette forge. Un apothicaire d'ici m'a même dit avoir possédé, mais égaré depuis, un gros morceau de ce minéral qu'un maçon lui avait donné. Voilà le seul indice que j'aie pu me procurer sur un fait qui doit, s'il est vrai, s'être passé il y dix à douze ans ; mais je doute de sa réalité. On ne trouve aux environs de cette forge que de la roche granitique très-dure, et nulle autre pierre, si ce n'est quelques silex.
Durant la Révolution, les troupes républicaines détruiront systématiquement ces "moulins à drap, à papier, à farine, etc., établis sur son rivage". Il faudra attendre les années 1810-1820 pour qu'ils soient reconstruits, à l'exception des forges qui ne s'en relèveront jamais.
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1 Vers 408 ou environ, l'empereur Honorius, voulant arrêter les progrès des Bretons et empêcher leurs courses sur les terres de l'empire, mit des garnisons dans les lieux ou sont aujourd’hui les bourgs de Gétigné, Cugand, Boussay. Ces garnisons, exposées à des dangers continuels, ne seraient pas restées longtemps dans le devoir, si on ne les eût dédommagées par des privilèges extraordinaires. Honorius leur donna des exemptions, qui furent confirmées, dans la suite, par les empereurs, par les souverains de Bretagne et par les rois de France, et dont les habitants de ces lieux jouissaient à d'autant plus juste titre, que leur pays a toujours été depuis le théâtre des guerres civiles et de celles de religion. Ces mêmes paroisses, appelées Marches, jouissent encore aujourd'hui d'une grande partie des mêmes exemptions, quoique la même cause ne subsiste plus.
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