6 juin 1832 : "l'affaire de la Pénissière"
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Aux limites de la Bernardière et de la Bruffière, à la Pénissière-de-la-Cour, s'élèvent quelques ruines témoins d'une affaire qui s'y déroula le 6 juin 1832.
Le contexte historique
En 1815, la fin du règne de Napoléon 1er mettait un terme à près de 23 ans de guerre pour la France. Le restauration de la monarchie provoqua quelques inquiétudes pour les républicains locaux. Cependant la garantie de la possession des acquisitions faites grâce à la Révolution, et le suffrage censitaire (à l'époque, moins de 50 électeurs législatifs pour le canton de Montaigu) leur permit de préserver ce qui était pour eux l'essentiel : leur fortune et leur position sociale. Dans le même temps, en 1828, le succès populaire du voyage de la duchesse de Berry dans la région lui faisait croire que le soulèvement vendéen avait eu lieu par une fidélité dynastique. Renouer avec le passé était-il une chose encore possible pour le nouveau régime ?
Mais les temps avaient changé. En juillet 1830, une brève révolution parisienne obligea Charles X à abdiquer en faveur de son petit-fils le comte de Chambord, "Henri V" (âgé de 10 ans), mais c'est son lointain cousin Louis-Philippe d'Orléans qui récupère le pouvoir.
Deux ans plus, tard, la duchesse de Berry, mère de "Henri V", va tenter une insurrection pour établir son fils sur le trône. Dans le Midi les choses tournent mal pour elle. Elle espère réussir dans l'Ouest où un soulèvement est prévu pour début juin 1832…
La Pénissière 175 ans après et 18 ans avant "l'affaire" de 1832.
Une tentative sans espoir
Ce sera un échec. Les troupes du pouvoir en place quadrillent la région. Les soutiens de la duchesse sont limités. Les quelques combats qui ont lieu tournent court, que ce soit à Maisdon, à Montbert, à Paulx ou au Chêne de Vieillevigne.
Cependant de tous ces faits d'armes, ce sera celui de la Pénissière de la Bernardière qui marquera le plus les mémoires, bien que ce soit une affaire dont les détails nous sont mal connus. En effet, les troupes chargées de la répression n'ont laissé que des rapports très contradictoires. De l'autre côté, alors qu'il semble que les participants n'étaient pas plus de cinquante, ceux qui revendiquèrent plus tard la gloire d'avoir pris part à cet ultime combat "vendéen" seront bien plus nombreux.
Voici ce qui en est dit dans le "Rapport de l'affaire de la Pénissière", par M. Eugène Girardin, chef de la division de Clisson, armée royale de la Vendée, 2e corps, à son altesse royale Madame, duchesse de Berry, régente du royaume".
"Le 5 juin j'étais sur la commune de La Boissière lorsque l'ordre donné par Votre Altesse Royale de prendre les armes me fut communiqué.
Je me portai aussitôt à La Bernardière, située à une lieue de Clisson et de Montaigu, afin de diriger en personne la prise d'armes de ce canton. Je m'établis au château de La Pénissière avec mon état-major et quelques volontaires, le tout formant un effectif de quarante-cinq hommes. J'envoyai ordre aux capitaines de par la ville de prendre les armes et d'opérer ce mouvement sans éclat, parce que mon rassemblement ainsi placé, me mettait à même de me porter rapidement sur toutes les paroisses de mon commandement, d'y proclamer le gouvernement légitime et d'entraîner le reste de la population.
Après cette disposition je m'éclairai sur la situation du pays. les renseignements qui me parvinrent me firent connaître le péril de ma position : en effet je me trouvais seul en armes, dans le voisinage de Nantes, la division de MM. Le Chauff et La Courbejolière ayant été battue et entièrement démoralisée le jour précédent à Maisdon.
Néanmoins je me vis forcé de tenir encore quelques heures cette position dangereuse pour reposer ma petite troupe, et surtout exécuter les ordres que j'avais reçus. Le 6 à onze heures du matin, le feu des sentinelles perdues m'avertit que j'étais attaqué par une partie de la garnison de Clisson. En quelques minutes deux compagnies d'élite et une compagnie du centre du 29e régiment de ligne, investirent La Pénissière. L'ennemi fut reçu aux cris de vive Henri Cinq et en même temps un feu bien nourri partit de nos croisées. Les soldats de l'usurpateur après quelques feux de peloton s'emparèrent d'une chapelle ruinée, se postèrent derrière les murs du jardin et de la cour, y pratiquèrent des créneaux, et se mirent le moins possible à découvert, nos feux étant extrêmement meurtriers. J'avais recommandé à mes hommes de tirer avec le plus grand sang-froid, injonction qui produisit le meilleur effet. Le bruit de la fusillade attira bientôt sur moi plusieurs détachements du cantonnement voisin et enfin le reste de la garnison de Clisson ; cet accroissement de forces du côté de l'ennemi et l'abandon dans lequel j'étais laissé par les autres chefs, me mirent dans le plus grand danger : cependant j'étais résolu de tenir ; pas un homme de ma troupe n'a donné de signe de faiblesse, on savait que je ne voulais me rendre à aucune condition, on avait compris qu'il y allait de l'honneur de se défendre courageusement et de vendre cher sa vie. Déjà plusieurs fois l'ennemi s'était ébranlé pour venir à l'assaut, toujours il avait été repoussé avec pertes.
Un drapeau noir avait été arboré par lui, des cris de mort se faisaient entendre de toutes parts, et irrité d'une résistance à laquelle il n'était pas accoutumé, il mit le feu à plusieurs corps de bâtiment qui lui servaient de rempart, de sorte qu'en moins d'une heure tout fut dévoré par les flammes. Sur. les deux heures, nouvelle disposition de la part des assaillants ; des sapeurs et plusieurs piquets de grenadiers protégés par les feux du reste de la troupe firent brèche dans un lieu couvert de mon feu, et se glissèrent le long des murs de la maison, les tambours battirent la charge, et il fut clair que l'ennemi voulait nous débusquer à tout prix, ce qui lui était facile en considérant sa supériorité et le mauvais état des portes et des croisées basses.
Je retirai à l'instant tous mes hommes du rez-de-chaussée, n'étant pas assez fort pour le conserver, fis barricader la porte qui donnait au premier étage et je me disposai à recevoir vigoureusement cette attaque qui devait me mettre si près de l'ennemi. Il fut reçu par des feux si meurtriers qu'il ne persista malheureusement pas dans sa résolution de nous prendre à la baïonnette. Je dis malheureusement parce que la disposition que je venais de faire pour le recevoir et notre enthousiasme étaient tels, que sa perte eût été bien plus considérable, néanmoins celle qu'il avait essuyée ne fut pas sans fruit pour lui. Avant de se retirer, il mit le feu à une des fenêtres basses et à la porte principale qu'il avait essayé de défoncer, puis il se borna à entretenir la fusillade sur nos croisées où les balles pleuvaient sans interruption.
Cependant le feu nous gagnait peu à peu et il se préparait une nouvelle attaque, on nous avait crié de nous rendre en nous représentant notre petit nombre et le désavantage de notre position, nous ne répondîmes que par des cris d'amour pour le noble héritier de saint Louis. Sur les quatre heures, le pas de charge se fit entendre, de nouveau une partie des assaillants recommença l'attaque du côté du jardin et de la cour toujours en glissant près des murs. Ils furent reçus à grands coups d'espingoles et de carabines qui tuaient et blessaient un grand nombre d'hommes. Malgré nos feux continuels sur les assaillants, une compagnie de grenadiers parvint à enfoncer la porte d'une salle basse donnant sur le jardin, dans le même moment une compagnie du centre entrait dans ce même appartement par la croisée.
Cet appartement communiquait au principal escalier que l'ennemi se proposait d'enlever, ce qui lui eût donné les moyens de nous écraser par son grand nombre ; déjà il tentait d'enfoncer la porte de communication, lorsque des décharges parties des meurtrières pratiquées au plafond, nettoya en instant l'appartement et le joncha de morts et de blessés. Après ces terribles décharges faites au dehors et au dedans tout ce qui restait battit en retraite. L'ennemi n'osa même pas retirer ses blessés qui ne tardèrent pas à être la proie des flammes, car le feu faisait des progrès effrayants. L'ennemi revint encore deux fois à la charge et toujours avec aussi peu de succès ; alors de six blessés, je n'avais qu'un homme hors de combat. L'ennemi au contraire avait déjà de cent vingt à cent cinquante hommes tués ou blessés, ainsi que j'ai pu le juger approximativement ; cependant ma position devenait de plus en plus horrible, j'avais espéré tenir jusqu'à la nuit où la retraite eût été faite avec moins de dangers, mais à six heures on ne pouvait plus résister, le feu nous gagnait de toutes parts, la fumée nous aveuglait et de minute en minute nous étions menacés d'être brûlés vifs, nous n'avions presque pris aucune nourriture depuis vingt quatre heures, nous n'avions ni vivres pour réparer nos forces épuisées, ni eau pour étancher une soif ardente causée par la chaleur de l'incendie et huit heures de combat. Je jugeai qu'il était temps de faire brèche. L'escalier par lequel nous devions descendre brûlait déjà... j'annonçai à mes hommes que j'avais pris la résolution de me jeter au milieu de l'ennemi. Je les trouvai disposés à affronter la mort.
Je les haranguai, et j'eus la satisfaction de les voir animés de la même rage qui me possédait. Oui, me dirent-ils, nous mourrons avec vous, nous serons glorieux de mourir pour Henri V. J'ordonnai de me suivre en recommandant de faire bon usage de leurs armes quand ils seraient mêlés aux soldats de Louis-Philippe.
Nous traversâmes deux appartements au milieu des flammes et arrivâmes à une porte sur laquelle l'ennemi tirait continuellement. Il fallut sortir et passer sous le feu des soldats embusqués derrière les murs crénelés. Nous nous élançâmes par une brèche du mur du jardin, dans un pré, où nous nous trouvâmes au milieu de deux cents hommes accourus pour nous couper la retraite. C'est ici le lieu de dire qu'il se fit de notre côté des actions d'éclat qui mériteraient de trouver leur place dans ce rapport, mais que je signalerai plus tard à Votre Altesse Royale. C'est là que mon pauvre frère Emmanuel de Girardin a été tué à mes côtés. Dans cette retraite l'ennemi doit avoir perdu plus de trente hommes parmi lesquels un officier. Arrivés au bas du pré, nous nous trouvâmes de nouveau entourés, mais nous pûmes nous dégager à coups d'espingoles et passer un ruisseau, derrière lequel je pus rallier mon monde. Je me dirigeai sur Treize-Septiers où je fus rejoint par huit de mes hommes que le feu avait séparé de moi à la Pénissière, et qui avaient échappé miraculeusement aux flammes. Ces huit hommes après ma sortie avaient combattu pendant plus d'une heure, tuant tous ceux qui ont osé monter à l'assaut, enfin la chambre étant en feu, l'ennemi les croyant brûlés, on sonna la retraite - et les braves gens ont pu se sauver à la faveur des ténèbres.
Dans cette affaire, j'aime à rendre à mes hommes cette justice qu'ils ont tous fait également leur devoir. Cependant je citerai particulièrement mes trois frères, officiers supérieurs de la division, qui pendant le combat ont constamment donné l'exemple d'un sang-froid et d'une intrépidité que je ne crains pas de signaler. Parmi les officiers inférieurs je nommerai MM. de Chevreuse, Thomasy, Guinefolle, Auben, l'Évêque, Touche, Motreuil, Ripoche, Lecomte et Raffegeau. Trois sous-officiers Boulo, Beauchamp et Juret se sont fait remarquer.
De toute cette affaire j'ai eu huit hommes tués et dix blessés. L'ennemi de son côté, d'après le calcul approximatif que j'ai fait et tous les renseignements qui me sont parvenus, doit avoir eu de cent cinquante à cent quatre-vingt hommes hors de combat. Enfin il est de fait que nous avons combattu pendant huit heures contre une force de huit à neuf cents hommes de troupes aguerries."
Eugène Girardin maintint quelques jours encore sous les armes les rescapés de la Pénissière, bivouaquant dans des fermes de Treize-Septiers et de la Bruffière. Puis le 11 juin, il donna le signal de la séparation, sauvegardant ainsi ses hommes et échappant lui-même à l'arrestation.
Pendant ce temps, la duchesse de Berry avait gagné Nantes où elle était entrée clandestinement le 9 juin. Elle s'y cachera jusqu'à sa capture puis son emprisonnement, en novembre de cette même année.
L'agitation se maintint encore quelques temps dans la région avec en particulier la "bande à Depienne" qui jouait les Robins des bois du côté de la Boissière et de Saint-Georges, bénéficiant des sympathies d'une large partie de la population, jusqu'à son démantèlement dans l'été 1833.
Une cause désormais dépassée
Le temps de la monarchie était passé, même s'il n'était pas possible de l'admettre pour bien de ses partisans. En 1871-1875, on put même croire à une nouvelle possibilité de Restauration, mais encore eût-il fallu que "Henri V", l'héritier de la couronne, en fût lui-même convaincu. Et quand celui-ci mourut en exil en 1883, c'est l'idée même de monarchie que ses "fidèles vendéens" enterreront avec lui.
La liste la moins incertaine de ceux-ci dans l'affaire de la Pénissière semble être la suivante : les 4 Girardin (Eugène, Emmanuel, Victor, Égisthe), Lévêque, Auclerc, Jamin, les 3 Fouré, Aubry, Leclerc, Raffegeau (Pierre, de Saint-Germain-sur-Moine), Motreuil (Athanase, de Vernantes), Jaulin père et fils, Mony, Augé, Juret, les 2 Aubert, Bondu, Guinefolle, Thomassy, Chevreuse, Bouleau, Jarry, Touche, Monnier (Louis, le clairon), Blandin, Ripoche, Gazeau (ouvrier à Montfaucon), Martin, les 2 François, Guignard, Viaud, Papin, Hervouet (de la Bernardière), Auray, Beauchamp, les 2 Poiron, Lecomte, Rousselot, Brebion, Lefort, Dubois (Jean-Baptiste, de Saint-Julien-de-Concelles), Gaignart (de Montigné-sur-Moine), Douillard (de la Bernardière). (d'après, entre autres, la Bouillaie des ancêtres, n°90, 2003).
Les témoignages de première main sur cette affaire sont peu nombreux. Du côté des défenseurs, ce sont le récit qu'en fit Eugène-Charles Guignard, et le "Rapport de l'Affaire de la Pénissière" d'Eugène Girardin, cité ci-dessus. Du côté des assaillants, ce sont les rapports de Georges, commandant du 29e de ligne, et de Bureau de la Robinière, capitaine de la garde nationale de Clisson, bases de la version officielle de l'événement.
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Le travail historique le plus fiable et le plus récent sur "l'affaire de la Pénissière" est certainement celui de Thérèse Rouquette dans La folle équipée de la duchesse de Berry, 2004, p. 274-281.
En leur temps d'autres ont pu l'évoquer, selon leurs sensibilités et prises de positions idéologiques, comme on pourra le lire sur la page suivante en cliquant sur : "le combat de la Pénissière d'après divers historiens"... du XIXe siècle.
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