Des moulins de la Feuillée au Manège enchanté
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Les moulins de la Feuillée, sur Cugand, et à l'autre extrémité de la chaussée commune, ceux de Persimon, sur Gétigné, ont une existence connue remontant au moins aux années 1500-1520. Ils sont installés sur un site hydraulique bipolaire, c'est à dire avec des moulins sur chacune des rives de la Sèvre, et constitué ici d'une chaussée longue de 54 mètres et formant un dénivelé de près d'un mètre. Aux XVIe et XVIIe siècles, ces "moulins de la Feillée", le "moulin de haut" et le "moulin de bas", sont des moulins à blé ayant chacun son coursier. Dans les actes notariés on les voit tenus durant des générations par les membres de la famille Richard1.
En 1688, les registres paroissiaux indiquent qu'ils ont été remplacés par des moulins à papier2. En 1729, ils sont exploités par des Beliard et Coudrin, et produisent des papiers dits "grand et petit cornet" (c'est à dire de format 36,5 x 45,9 cm et 39,2 x 50,6 cm) et "Armes de Hollande" (a priori de format 32,5 x 42 cm et de qualité différente)3. Une enquête, décidée par Turgot en 1776 indique qu'en 1779, avec les quatre moulins voisins d'Antières, ils produisent, par unité, de l'ordre de 830 rames par an (une rame étant constituée de 500 feuilles quel que soit le format du papier). A la même date on recense sur le site de la Feuillée 8 compagnons et 5 femmes travaillant dans les deux moulins.
Le village et le moulin à papier de la Feuillée sur le cadastre de 1813 de Cugand
(environ 460 x 300 m - le haut du plan est orienté vers le sud-ouest).
Les deux moulins (A 704) appartiennent alors à Paul Daguenet habitant les maisons proches (A 755-756).
Incendiés en 1793, ils sont alors abandonnés. Après 1796 Paul Dagnet ("Daguenet" selon les registres cadastraux de 1813) les reconstruit à peu près à l'identique. Il faudra attendre seize ans pour qu'en 1812, ils finissent par retrouver leur production précédente, et une gravure de F. Donné, représentant le "moulin de haut" montre qu'il a des étendoirs intégrés. En 1837, Paul Dagnet qui avait introduit (peut-être un peu tardivement) un cylindre pour le broyage des chiffons deux ans plus tôt, vend les moulins de la Feuillée et leurs dépendances à Paul Cheguillaume.
Ce dernier, négociant nantais, avait déjà établi en 1827 une filature de laine au moulin de la Forge, aussi à Cugand, puis en 1832 à celui de l'Arsenal qui lui faisait face sur Gétigné, et envisageait d'étendre sa production. Il détruisit les deux moulins à papier de la Feuillée pour les remplacer vers 1840 par une filature de coton. Les deux coursiers cédèrent la place à une roue unique plus large dont les effets se firent sentir sur le moulin de Persimon, situé sur l'autre rive, et surtout sur celui de Plessart, plus en aval et possession de Lemot. Ceci entraîna une forte dégradation des relations avec le détenteur du domaine de la Garenne, qui fut particulièrement mécontent de voir l'harmonie de son paysage modifiée par les nouveaux bâtiments édifiés pour abriter les métiers.
En 1846, Paul Cheguillaume ajouta une autre construction pour installer une première machine à vapeur de 6 CV, remplacée vers 1851 par une autre plus puissante. Les bâtiments actuels (avant leur incendie en 2016) sont (étaient) ceux de la filature initiale des années 1850-1860, en particulier le grand corps clissonnais à trois étages sur rez-de-chaussée, perpendiculaire à la Sèvre nantaise, et qui ont abrité les cardes, batteurs, renvideurs et métiers. En 1855, 500 à 600 ouvriers travaillaient sur les trois sites de l'Arsenal, de la Forge et de la Feuillée. Sur ce dernier, la grande cheminée tronconique sur assises de brique et dominant les rives de la Sèvre semble un peu plus tardive car ne correspondant pas à l'emplacement donné sur les plans de 1851 ; face à la Garenne-Lemot, elle symbolisait l'opposition de l'industrialisation à un domaine se voulant consacré à l'art, à l'agrément et à la tranquillité.
La filature de la Feuillée vers 1890, d'après un en-tête de papier à lettres.
La tannerie de la Feuillée vers 1920, d'après un en-tête de papier à lettres
(à gauche de la cheminée : l'extension des ateliers de séchage de peaux).
En 1896, Armand Braud, tanneur à Clisson achètera la filature de la Feuillée à Joseph Cheguillaume qui avait pris la suite de son père Paul en 1863. L'usine fut transformée en tannerie mégisserie et fortement étendue vers l'aval. Revendue en 1914 à Laurent Desbois, tanneur à Pont Rousseau, elle sera transformée en 1923 en chamoiserie, c'est à dire en fabrique cuirs souples, tels ceux utilisés pour la fabrication de gants. En 1925 elle passe sous la direction de Louis Danot, puis en 1932 de son fils, Max. Les effectifs de la tannerie qui avaient été d'une centaine de personnes en 1915, seront d'une cinquantaine en 1939, et iront en régressant par la suite.
L'ancien moulin de la Feuillée, vu du nord-ouest, dans les années 1980,
la Sèvre, cachée par les arbres, coulant à ses pieds...
...et vue du sud-sud-ouest toujours à la même époque,
avant sa destruction par un incendie en décembre 2016...
Vu du sud-sud-ouest, l'ancien moulin de la Feuillée dans les années 1980,
avant sa destruction par l'incendie de décembre 2016.
En 1966, Serge Danot (1931-1990) qui depuis 1952 s'était lancé dans des activités de spectacles4 pris aussi, brièvement, la succession de son père Max à la tête de la chamoiserie de la Feuillée. Les temps ayant changé, celle-ci cessera son activité en 1968.
Serge Danot en 1966, devant les foulons de la chamoiserie de la Feuillée ;
à droite sa chienne Poluchette, qui servit de modèle pour Pollux.
En 1964 Serge Danot avait créé dans d'étroits locaux de la banlieue parisienne le concept du "Manège enchanté", une série télévisée de courts films d'animation, destinés aux très jeunes enfants.
Dans l'univers du "Bois joli", le Père Pivoine joue de l'orgue de Barbarie et préside aux destinées du Manège enchanté. Il est arrivé là depuis fort longtemps et est entouré de personnages qui, êtres humains ou animaux sont tous dotés de la parole. Parmi ceux-ci le chien à l'accent anglais, Pollux, est devenu rapidement le personnage emblématique de la série ; grognon, capricieux, gourmand, couard, il abandonne tout pour un sucre. Son amie Margote est une petite fille maligne et raisonnable qui résout les situations difficiles et qui met tout en œuvre pour que l'harmonie règne au sein du village. Zébulon, un bon génie farceur perché sur un ressort, se transporte là où il veut grâce aux mots magiques "tournicoti, tournicoton" afin de tirer ses amis de fâcheuses postures. L'escargot timide et enrhumé Ambroise, est toujours prêt à rendre service, a la passion des cailloux et des livres, et, grâce à ses connaissances encyclopédiques, donne des leçons aux autres. La vache Azalée est frivole, se prend pour une diva et adore les fleurs. Basile est un garçonnet débrouillard et plein de ressources...
Le succès fut immédiatement au rendez-vous : en juin de cette même année 1964, la télévision française de l'époque commanda 18 series de 13 épisodes, qui seront suivis par d'autres. Rapidement les locaux parisiens s'avérèrent insuffisants et, fin 1966, Serge Danot décida de venir établir ses studios dans la tannerie familiale de la Feuillée. C'est de là que Pollux et ses amis eurent pendant une trentaine d'années une carrière qui leur fera franchir les frontières, parler de multiples langues, et survivre un temps au décès de leur père en 1990.
Extrait de la fresque de la salle des contes de la Maison de l'enfance de Clisson
(Jean-Pierre Garreau et Léonard Jaunet).
Au pays du Bois Joli et autour du Manège enchanté, on reconnaîtra de gauche à droite :
la vache Azalée, Pollux, l'escargot Ambroise, le Père Pivoine et son orgue de Barbarie, le génie Zébulon,
le Bonhomme Jouvence, Basile et Coralie
(absente de cette partie de l'image : l'incontournable Margote).
Depuis 2013, c'est au moulin de la Feuillée que c'est installé le siège de "Hellfest". Ce festival qui se déroule à Clisson est devenu un des trois plus importants Festivals de Musique en France, réunissant, en juin de chaque année en temps normal et depuis 2006, des dizaines de milliers de partisans et plusieurs milliers de partisanes de l'américanisation culturelle5.
En décembre 2016, le manque d'entretien des lieux et la négligence ont été à l'origine d'un incendie qui a ravagé et entièrement détruit l'ancien moulin de la Feuillée.
La Feuillée au début de l'année 2017.
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1 Pour les sources spécifiques aux moulins de la Feuillée, on se reportera dans les Arch. dép. de la Vendée principalement aux cotes 2 E 76, 9 M art. 8, S 554 et 557 et 1269 ; ainsi que dans les Arch. dép. de la Loire Atlantique aux cotes 4 E 2, 4 E 5.
Voir aussi : Dufournier (Benoît), "L'exploitation de la force hydraulique de la Sèvre Nantaise, les évolutions d'une technique", in Revue 303, n°3, 1984 ; ainsi que "L'industrialisation de Sèvre nantaise", in Clisson ou le retour d'Italie, 1990, p. 250-251.
En 2011, l'association "Clisson Histoire et Patrimoine" a fait paraître Histoire d'un site industriel, la Feuillée de la chamoiserie au Manège enchanté, 54 p.
2 Sur ces moulins à papier, voir : Raymond (Bernard), Moulins à papier, papeteries de la Sèvre nantaise, 2011, 128 p.
3 Voir : Gaudriault (Raymond), Filigranes et autres caractéristiques des papiers fabriqués en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, 1995, 322 p.
4 Parmi les autres réalisations de Serge Danot, on retiendra la série télévisée "les Pourcelots" en 1966, le spectacle en plein air "la Bataille de Torfou" en 1967, le film "la Bataille de Cholet" dans la série télévisée Les grandes batailles de l'Histoire en 1974, ou encore, dans la suite du Manège enchanté, "Pollux et et le chat bleu" en 1970, qui ne rencontra pas le succès escompté...
5 Ce festival a été l'objet d'une thèse de doctorat de sociologie soutenue à Tours en 2016 par Corentin Charbonnier et intitulée "La communauté métal : le Hellfest comme lieu de pèlerinage".
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