la vie engagée et aventureuse de Jean Girard
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Jean Girard (1759-1836) est de ces Loulaysiens ayant eu un destin hors du commun. Jeune prêtre au début de la Révolution, il refuse le contrôle idéologique que la Constitution civile du clergé voulait imposer. Il retourne alors dans sa paroisse natale où il vit caché, exerçant son ministère et, en ces temps périlleux, échappant à de nombreuses reprises à la mort. Le récit de sa vie est rapporté par un manuscrit de 1865, conservé dans les Archives de la paroisse de Saint-Georges-de-Montaigu sous le titre de Chronique paroissiale, et qui a été rédigé par Pierre Remaud (1816-1879), né à "la Côtrelière" du Poiré, et curé de Saint-Georges de 1858 à 1874.
Au-delà de son ton parfois un peu dramatique, ce récit présente l’intérêt de parler de la vie de catégories de la population locale autres que de celles des notables auxquelles souvent s’arrêtent certains historiens.
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M. Jean Girard naquit dans la paroisse de Saint-Hilaire-de-Loulay, en l'année 1759, d'une honnête famille d'artisans. Son père était charpentier. Il fit, à Nantes, une partie de ses études cléricales. Ordonné prêtre, il fut nomme vicaire de Talmond, au mois d'août 1787 ; et, au mois de juillet de l'année suivante, vicaire d'Olonne. Le curé de cette paroisse, déjà avancé en âge, mourut peu après ; M. Jean Girard, son vicaire, lui succéda.
Il y avait alors dans la paroisse d'Olonne un couvent de religieux1. Le supérieur, homme grave et instruit, découvrit sans peine tout ce que le serment à la Constitution civile du clergé, que l'on exigeait en ce moment des ecclésiastiques, renfermait de contraire à la sainte hiérarchie de l'Eglise catholique. Il exhorta M. Girard à le refuser. "Vous êtes jeune, lui dit-il, et plein de courage ; donnez au monde ce bon exemple." La crainte et la timidité n'étaient pas, en effet, les défauts de M. Girard ; on n'a guère vu d'hommes plus énergiques. Une bouillante ardeur, une vivacité qui allait jusqu'à la pétulance et dont il avait peine quelquefois à comprimer les saillies, formaient le fond de son caractère.
Il était d'une très petite taille et jouissait d'une santé parfaite. La force de son tempérament était, chez lui, merveilleusement en rapport avec la fermeté de son âme d'élite. L'épée et le fourreau avaient été faits l'un pour l'autre.
On vint donc lui demander de prêter le serment, un dimanche, pendant qu'il chantait la grand'messe. Avant de répondre à la sommation, il demanda qu'on lui permît d'achever le saint sacrifice, dans la crainte, disait-il d'exciter une émeute dans la population. On le lui accorda. La messe terminée, il prend la formule du serment, monte en chaire et la lit à haute voix ; puis, s'adressant à son peuple : "Ce serment, dit-il, est infâme ; soyez assurés, mes frères, que je ne le prêterai jamais !"
Un moment après, il descendait de chaire pour être arrêté et conduit en prison. Cependant, le supérieur des religieux qui lui avait donné si bon conseil, prêta lui-même ce serment, (triste preuve de la faiblesse humaine)2.
M. Girard fut emmené aux Sables-d'Olonne et enfermé dans la même prison que M. Boitel, curé de la ville. Tous les deux ne tardèrent pas à être transférés de là à Fontenay, alors chef-lieu du département de la Vendée. Là, le geôlier, homme de bien, leur proposa lui-même de faciliter leur évasion. M. Girard en conféra avec son compagnon de captivité. Celui-ci lui répondit : "Peut-être que nous serons repris et traités ensuite plus sévèrement... Pour moi, je suis vieux ; je préfère rester ici et m'abandonner à la Providence."
M. Girard n'était pas homme à goûter un conseil aussi timide. Sa résolution fut bientôt prise. Il s'échappe de la prison et a même le bonheur de sortir de la ville sans être inquiété le moins du monde. Notre fugitif vint ainsi, à travers champs, jusqu'aux environs de l'Herbergement.
Arrivé en ce lieu, presque d'une seule traite, il tombait de fatigues et d'épuisement, Ne sachant à quoi se résoudre, il pria sans doute son bon ange de lui donner une bonne inspiration, et s'arrêta ensuite à une détermination surprenante, mais qui prouve bien la candeur de son âme encore jeune et confiante. Il alla frapper à la porte d'un riche républicain, ennemi reconnu des prêtres, et lui dit sans détours qui il était. "Nous ne sommes pas de même opinion, répondit celui-ci ; mais puisque vous vous confiez à moi, je ne vous trahirait point." Puis, il lui fit servir aussitôt de la nourriture dont il avait un pressant besoin.
Une fois réconforté, M. Girard ne tarda point à reprendre son voyage devenu plus périlleux à cause du voisinage de Montaigu. Il arriva ainsi sans difficulté à Saint-Hilaire-de-Loulay. C'était, avons-nous dit en commençant, le pays de sa naissance ; il y connaissait mieux que partout ailleurs et les lieux et les gens, et pouvait, par conséquent, plus facilement s'y tenir caché. Ce fut là aussi qu'il se fixa et se dévoua. volontairement, pour le bien des âmes et la gloire de Dieu, aux travaux et aux périls que nous allons raconter.
Son refuge ordinaire était une meule ou, comme on dit dans le pays, une mouche de bois, élevée dans un taillis, mais dont les fagots étaient disposés de manière à former, au centre, une petite chambre. C'était là qu'il avait son lit, là qu'il priait et confessait ceux qui venaient le trouver.
Il ne disait la sainte messe que la nuit, et presque toujours en des lieux différents, voulant éviter ainsi les surprises et les trahisons auxquelles les prêtres étaient souvent exposés dans ces temps malheureux. La suite de cette histoire en fournira, hélas ! de nombreuses et tristes preuves.
C'était surtout quand il devait bénir un mariage que M. Girard recourait à des précautions qui pouvaient paraître excessives, si elles n'étaient pleinement justifiées par les malheureuses appréhensions dont nous parlons plus haut. Quand le prêtre proscrit avait préparé les futurs époux à recevoir la bénédiction nuptiale, il leur assignait un rendez-vous vers le milieu de la nuit.
Rendus au lieu désigné, les partis ne trouvaient point M. Girard, mais un envoyé de lui qui leur disait de se diriger vers un autre endroit. Et, quand ils y étaient parvenus, un nouveau messager leur apprenait qu'il fallait encore aller plus loin. Ce n'était ordinairement qu'après la troisième ou la quatrième étape, que les futurs époux se trouvaient enfin en présence du prêtre qui les mariait, à la faveur des ténèbres, sans cérémonie et sans un trop grand concours de témoins ; et chacun rentrait ensuite discrètement chez soi, avant le jour.
M. Girard ne négligeait pas le soin des enfants. Après avoir recommandé aux parents de leur enseigner la lettre du catéchisme, il les réunissait quelquefois, par groupes, afin de leur en donner l'explication. Et, quand il les jugeait suffisamment disposés, dans les dernières années des troubles particulièrement, il profitait d'un moment de calme pour les admettre ensemble à la première communion. On conserve encore religieusement le souvenir d'une cérémonie de ce genre qui eut lieu dans l'endroit où se trouve aujourd'hui la grange du presbytère3.
On raconte, à ce sujet, une circonstance de la vie de M. Girard où il donna une preuve bien remarquable de son zèle sacerdotal pour faire communier les enfants. Un excellent instituteur de Sainte-Flaive-des-Loups avait instruit plusieurs enfants et les avait préparés de son mieux à recevoir le pain des anges. Il en informa M. Girard qui ne fit point de difficulté pour entreprendre un voyage bien long et bien périlleux. Evidemment, dans cette circonstance, les anges de ces petits enfants vinrent au-devant de lui et le gardèrent de tout danger. Toujours est-il que le prêtre désiré arriva heureusement au lieu qu'on lui avait désigné. Plusieurs jours durant, il fit des instructions aux enfants ; il les prêcha encore le jour de la communion, et, ce pieux devoir accompli, regagna tout joyeux son cher Saint-Hilaire.
Aucun homme ne posséda plus que M. Girard le talent de contrefaire un personnage dont il voulait jouer momentanément le rôle, Mais la vertu, non plus que le vice, ne peut jamais se cacher entièrement ; en preuve le trait suivant.
C'était dans les environs de Beaulieu, M. Girard, déguisé, se reposait de ses fatigues en prenant un modeste repas, dans l'une de ces petites auberges que l'on rencontre au bord des grand'routes4. Tout à coup s'approche de lui un homme affectant un air chagrin, qui lui dit : "Vous qui voyagez, ne pourriez-vous point nous indiquer où l'on pourrait trouver un prêtre ? Nous avons près d'ici un malade à l'extrémité……" M. Girard, ne connaissant plus d'autre prudence que celle du devoir, lui dit alors ouvertement : "Moi, je suis prêtre !"
Son interlocuteur avait deviné juste….. Sans plus d'explication, le prêtre monte à cheval et se met à la suite de cet inconnu. Chemin faisant, il le prie, plusieurs fois, de lui montrer le lieu où il le conduisait. Celui-ci finit enfin par lui montrer d'assez loin la maison qui doit être le terme du voyage. Comme on approchait, M. Girard avise un jeune garçon qui conduisait un troupeau de vaches. "Mon enfant, lui dit le prêtre, vous avez des malades, chez vous ? - Des malades ? non, Monsieur." - "Comment ! il n'y a pas de malade dans la maison que voilà ?" - "Il y a bien d'autre chose que des malades, réplique l'enfant ; elle est pleine de cavaliers en ce moment ; leurs chevaux sont cachés derrière la maison."
La tradition est unanime pour affirmer que M. Girard était un excellent cavalier. Il montait, en ce moment, un cheval noir qui n'avait encore subi, de la main des hommes, aucune atteinte capable de lui faire perdre sa vigueur et sa force natives. On devine avec quel entrain il piqua des deux, après avoir fait faire demi-tour à sa monture. A l'appel de l'espion, les cavaliers républicains s'élancent sur leurs chevaux, et, se croyant bien sûrs de l'atteindre, négligent de prendre leurs carabines. Mais ils avaient affaire à forte partie. M. Girard conserva sur eux toute son avance jusqu'au moment où ils arrivèrent à un autre poste de cavalerie. Là, de nouveaux cavaliers remplacent les premiers avec des chevaux frais, et gagnent rapidement du terrain sur celui de M. Girard qui était fatigué de cette course à bride abattue. Il est sur le point d'être atteint. L'un des cavaliers qui le serre de plus près, levant son sabre, l'abat sur le pauvre animal, et lui fait une large entaille à la queue. Ce coup, qui pouvait être meurtrier pour M. Girard, le sauva ; car le cheval, se sentant blessé, fit des efforts si prodigieux pour redoubler de vitesse et pourvoir à son salut, que ceux qui le poursuivaient perdirent courage et, finalement, rebroussèrent chemin.
M. Girard fut heureux de revoir Saint-Hilaire, après avoir échappé à un pareil danger. En arrivant à l'écurie, son cheval, exténué, se coucha ; et, comme on n'avait pas, pour faire sa litière, d'autre chose que des herbes fraîches, il y contracta une maladie dont il mourut peu de jours après. M. Girard ne put s'empêcher de le pleurer, comme on pleure un sauveur et un ami fidèle.
Le danger vraiment effrayant qu'il venait de courir n'empêcha pas ce digne prêtre de continuer à exposer sa vie pour visiter les malades et leur procurer les secours de la religion. Nous en citerons d'autres exemples.
Une nuit, on était venu le chercher pour confesser un malade de la paroisse de Vieillevigne. M. Girard suivait son conducteur, mais non sans inquiétude. Déjà le jour commençait à poindre, et le prêtre redoublait d'instance pour savoir où on le menait. Son guide lui montra enfin une maison encore éloignée. "C'est là, lui dit-il, que se trouve le malade." Le prêtre, promenant alors ses regards autour de lui, découvre une bergère matinale et court à elle en disant : "Les bleus ne sont-t-ils pas par ici." - "Si, dans cette maison," répond l'enfant, désignant précisément la maison où on le conduisait. M. Girard tourne bride aussitôt et disparaît comme un éclair. Une décharge se fait entendre derrière lui, une balle siffle à ses oreilles... Heureusement, il en est quitte pour la peur et n'est nullement atteint. Les soldats du guet-apens qu'on lui avait tendu se trouvaient sans montures ; ils n'essayèrent même pas de le poursuivre.
M. Girard usait souvent d'un stratagème qui lui réussit à merveille pour circuler dans la campagne, lorsqu'il allait porter aux malades les secours de son saint ministère : il se déguisait en petit marcelot5 ou marchand ambulant, et voyageait avec une hotte sur le dos. Or, un jour qu'il traversait la route royale de Nantes à Montaigu, il fit une fâcheuse rencontre : deux gendarmes l'arrêtèrent au passage et se mirent à fouiller sa hotte, au fond de laquelle ils trouvèrent... un bréviaire ! Devant une pareille pièce de conviction, il n'y avait pas de défense possible ; le curé déguisé était de bonne prise. On lui met les menottes et on l'emmène vers Nantes. M. Girard crut que sa dernière heure était arrivée. Il suivait tristement les gendarmes, en rêvant noyades et Bouffay. Mais il n'alla pas jusque là. L'un des deux gendarmes qui le conduisaient était un homme de bien auquel il répugnait de se prêter à un crime inutile. Chaque fois qu'on rencontrait une auberge, celui-ci avait toujours soif et priait son camarade d'entrer avec lui. Le camarade buvait sans précaution, tandis que lui s'observait, en vue de faciliter l'évasion du prisonnier. On devine le reste. Bientôt seul capable d'exercer la surveillance, le bon gendarme laissa une telle liberté à M. Girard qu'il semblait l'inviter à s'échapper de ses mains. Ce fut compris et promptement exécuté. Le fugitif vint faire couper ses menottes à une petite forge appelée la Sallerie, située au-dessus de Saint-Hilaire. Elle a appartenu, depuis ce temps, à la famille de feu M. l'abbé Hervouet, ancien curé de Boulogne, mort à Montaigu où il s'était retiré6.
M. Girard trouva souvent un gîte sûr chez les parents de l'abbé Hervouet, et c'est par eux que nous connaissons un certain nombre des faits remarquables de la vie de ce digne confesseur de la foi. Ils habitaient la métairie de la Preuille. située à quelques mètres seulement du château seigneurial. M. Girard se promenait, un jour, dans le château, lorsqu'il fut envahi par une troupe de soldats républicains. S'élancer et gravir par l'intérieur jusqu'au sommet de l'une des tours fut pour lui l'affaire d'un instant. Il s'y tint blotti entre les pièces de la charpente, tant que dura la visite domiciliaire. Puis, la troupe était à peine sortie, qu'il sortait lui-même par une porte opposée, portant, comme un travailleur, une serpe à la main et une fourche sur son épaule. Les soldats le virent traverser ainsi toute la prairie du château sans le moindre soupçon à son sujet.
Une autre fois, M. Girard se trouvait dans une autre ferme. La maîtresse de la maison aperçoit tout à coup des soldats qui s'avançaient vers la maison et sur le point d'y entrer. Elle avertit son hôte qui lui répond par ces seuls mots : "Il faut nous résigner à mourir ! - Pas encore, fit-elle ; j'ai une idée : faîtes semblant d'être fou et permettez-moi de frapper sur vous." Puis, sans attendre de réponse, elle se met à tapager à haute voix. En ce moment, les soldats envahissent la maison, demandant s'il n'y avait point par là un calotin. "Un calotin, dit la femme, en voilà un fameux ici ; tâchez donc de l'emmener et de m'en débarrasser bien vite !" Puis recommençant son carillon, elle frappe sur M. Girard à coups de pied et à coups de poing. Celui-ci, jouant admirablement son rôle d'insensé, ne cessait de répéter en patois ces mots : "Eh ! bé, dounne-me dau pain !…" - "Tu viens de manger ; va-t-en !" disait la femme, feignant une grande colère. Finalement, elle lui coupe un gros morceau de pain, et, alors seulement, il consent à partir... Les soldats qui s'étaient tu, durant toute cette scène, demandent aussitôt à la fermière de les conduire dans tous les logements pour y chercher le prêtre qu'ils savent bien, disent-ils, être caché quelque part dans sa maison. Elle se montre d'une complaisance extrême et leur ouvre toutes les portes... Toutes les perquisitions sont inutiles. "Je gage, dit l'un d'eux, que celui qu'elle a mis à la porte au commencement de notre visite, c'est le calotin que nous cherchons !" - "Eh ! bien, dit-elle, si c'est lui, courez après !"
Voici un autre fait encore plus émouvant.
M. Girard confessait un malade, dans un village. Il s'était fait accompagner du sacristain, nommé Chauveau. Pendant que le prêtre était en fonction, celui-ci- était de faction, montant la garde à la porte. La précaution n'était pas vaine, Trois soldats armés apparaissent tout-à-coup, à distance. "Vite, vite, l'absolution, dit vivement Chauveau, voilà les Bleus !" – "Nous ne pourrons échapper ? réplique M. Girard." - "Si, si, je m'en charge, suivez-moi ! Je vais les tuer !…" Et de fuir. Ils avaient fait à peine quelques centaines de pas hors de la maison, qu'ils rencontrent un champ de genêt. Chauveau ordonne à M. Girard de s'y cacher. Puis, dès qu'il aperçoit les trois soldats venant à sa poursuite, il se met à courir à toutes jambes en criant continuellement : "Monsieur l'abbé, Monsieur l'abbé, n'allez pas si vite, attendez-moi, je suis pris !"
Tout en s'éloignant d'un pied agile notre homme regardait de temps en temps du coin de l'œil à quelle distance le suivaient les trois Bleus, imitant en cela un célèbre guerrier de l'antiquité que, pour sûr, il ne connaissait point7. Quand il les voit séparés les uns des autres par une course inégale, il s'arrête, et s'appuyant sur un échalier qu'il vient de franchir, dit au soldat le plus près de lui : "Venez me prendre. Je n'en puis plus !" Mais comme celui-ci posait les mains sur l'échalier pour le franchir à son tour, Chauveau lui assène sur la tête un vigoureux coup de bâton qui le couche par terre sans mouvement. Il lui arrache aussitôt son fusil, court au-devant du second, et, d'un coup bien ajusté, l'étend raide mort. L'arme du second lui sert à tuer le troisième, qui, ayant entendu le coup de feu, ne se tenait aucunement sur ses gardes, et pensait que le fugitif n'était plus. Sans perdre un instant, Chauveau, tout hors de lui, revole au premier, lui prend son sabre et lui en porte un coup terrible. Pleinement rassuré désormais, il se met à considérer sa victime et reconnaît qu'elle vit encore. L'humanité et le sens chrétien reprenant alors le dessus, il crie de toutes ses forces : "Monsieur l'abbé ! Monsieur l'abbé ! venez vite ! vous pourrez peut-être l'administrer." M. Girard, accourut tout tremblant d'émotion ; il eut, en effet, le temps de confesser le soldat et de lui administrer l'extrême-onction.
Le malheureux fut ensuite transporté dans la ferme voisine, mais ce fut pour y mourir au bout de quelques heures, malgré tous les bons soins qui lui furent prodigués.
On rapporte que M. Girard ne pouvait jamais raconter ce dernier trait sans pleurer à chaudes larmes, tant le souvenir de ce massacre l'affectait péniblement.
Toujours traqué, toujours poursuivi par la trahison, le pauvre prêtre était sans cesse obligé de changer de domicile. Néanmoins, l'une de ses résidences ordinaires était la Bernerie, dont le propriétaire, M. Dugast, appartenait à l'ancienne bourgeoisie. Une nuit que M. Girard couchait à la maison, on frappe soudainement à la porte. Il sort du lit le premier en rassurant ses hôtes : "Qu'on me laisse faire, dit-il, je me charge de tout arranger." Il court ouvrir aux visiteurs nocturnes, et feignant d'être le domestique du logis, leur demande poliment ce qu'ils veu1ent à cette heure. Il leur dit cela en excellent patois, avec un calme et une tranquillité qui ne trahissent pas l'ombre d'une émotion. "Nous venons chercher un calotin caché chez vous", répond la troupe. - "Un calotin chez nous ! reprend M. Girard d'un air mystérieux et baissant la voix ; cela serait bien possible ; car le citoyen Dugast est un aristocrate... Je m'aperçois qu'on me cache bien des choses." - 'Tu vas nous conduire partout..."
La visite domiciliaire fut si stricte et si rigoureuse que le chef de la troupe voulut reconnaître le sexe de chacune des personnes rencontrées dans la maison. Chambres, corridors, greniers, tout fut éclairé, fouillé, scruté par les soldats avec l'aide et les indications de M. Girard. Ils désespéraient de trouver le calotin tant cherché, cause de leur visite, quand M. Girard leur dit, comme après réflexion : "Mais, citoyens, vous n'avez pas visité la cave !... A ce mot, un éclair de joie illumina les visages des citoyens soldats. Cependant, là comme ailleurs, vaine fut leur recherche : ils y trouvèrent du vin, mais point de calotin. "On nous avait pourtant bien dit, fit l'un d'eux, qu'il y avait un prêtre caché à la Bernerie…" - "A la Bernerie, répliqua M. Girard, mais il y a deux Berneries, citoyen ! C'est ici la grande. Il y a encore la petite où reste le métayer. Lui aussi, c'est un aristocrate, et le calotin pourrait bien être chez lui." - "Veux-tu nous y conduire !" dit le chef, charmé de la complaisance et de la naïveté du prétendu valet. - "Bien volontiers, citoyens. C'est à deux pas d'ici : nous serons bientôt rendus."
Les recherches minutieuses que l'on fit dans cette dernière habitation durèrent jusqu'au jour, sans amener, comme on le pense bien, aucune découverte. Alors, les émissaires du gouvernement révolutionnaire, enchantés de plus en plus de ce qu'ils appelaient l'esprit naturel et l'ingénuité du petit paysan, dirent à M. Girard : "Tu es un bon enfant ; veux-tu venir avec nous à Montaigu ?… Tu parleras au commandant ; tu raconteras tout, et tu nous vaudras mieux qu'un procès-verbal !" - "Avec plaisir, répond M. Girard, je serai bien aise de voir un général."
Arrivés à Montaigu, les soldats présentent leur compagnon au commandant comme le petit domestique du citoyen Dugast, de la Bernerie. "Il vous racontera, ajoutent-ils, toutes les recherches que nous avons faites dans notre expédition." Le général fait approcher le jeune paysan et l'interroge. Celui ci lui raconte alors avec esprit, et dans son meilleur patois de Saint-Hilaire, toutes les aventures de la nuit précédente. Il plut tellement au général que celui-ci lui dit, à la fin : "Ah ! ça mon garçon, tu n'as pas déjeuné ?… - Non, mon général. - "Passe par ici !" Et il l'introduisit dans une grande salle où il lui montre une table toute couverte de viandes.
"Dans nos villages, dit le prétendu paysan, nous ne sommes point accoutumés à manger de la viande de boucherie ; nous nous contentons de légumes ou d'un peu de caillé avec notre pain." La vraie excuse de M. Girard, (qu'il se garda bien de dire, celle-là,) c'est que ce jour-là était un vendredi. Le général ne le soupçonna même pas. "Eh bien ! aimes-tu le fromage, alors ?" reprit-il. - "Sais pas… faut que j'en goûte, fit-il, en piquant la pointe de son couteau dans le morceau. Il goûte... "Ah ! s'écrie-t-il aussitôt, il y a du lait là-dedans ; je mangerai bien de ça." Et, sans se faire prier davantage, il coupe un énorme morceau de pain et de fromage qu'il dévore à belles dents.
Cependant, le général ne l'abandonnait pas un instant ; il lui faisait toujours de nouvelles questions. "Avant de te renvoyer, lui dit-il enfin, je veux te faire visiter le château,. tu verras nos armes, et tu pourras dire aux Brigands combien nous sommes forts." En s'y rendant, il lui montre une cour toute remplie de bestiaux : "Vois-tu ces bœufs et ces vaches... nous avons pris tout cela aux Brigands, et nous les mangerons." - "Vous avez là des vaches que je reconnais, dit M. Girard, elles appartiennent à un bon citoyen ; c'est vraiment dommage de lui faire tort. Si vous me le permettez, je lui emmènerai ses vaches, en m'en retournant ; il sera bien content." – "Emmène-les, si tu veux, fit le chef ; car nous n'en manquons pas." Or, les susdites vaches étaient celles de M. le curé de Saint-Hilaire-du-Bois, paroisse limitrophe de Saint-Hilaire-de-Loulay.
M. Girard, ayant enfin pris congé du commandant, partit emmenant les deux vaches. Comme il arrivait à la sortie de ville, le soldat de faction lui demande sa carte. "Ma carte ?" - "Oui, il vous faut une carte pour sortir." - Pour sortir ?… je viens de chez le général, et il ne m'en a point parlé..." - Eh ! bien, retourne lui en demander une ; on ne sort pas sans carte." - "Dans ce cas-là, garde mes vaches, je vais y aller." Il retournait précipitamment vers le général, quand quelqu'un le reconnaissant l'arrête et lui dit tout bas : "Il y a un malade à l'extrémité dans la prison ; ne pourriez-vous point aller le confesser ?" On va voir que la demande ne fut pas vaine.
De retour chez le commandant de place, M. Girard lui demande une carte pour sortir... "Tiens, c'est vrai, je n'y avais pas pensé tout à l'heure." - "Général, dit alors M. Girard, vous avez dans la prison un homme que je connais et qui a un compte à régler avec moi... On m'a dit qu'il était malade ; et, s'il vient à mourir, je perdrai beaucoup... voulez-vous me permettre d'aller lui parler ?" - "Va lui parler ; je ne m'y oppose pas." Muni d'une permission, M. Girard pénètre dans la prison, confesse le malade qui était le propre frère du R.P. Baudouin, restaurateur de nos séminaires diocésains. M. Girard ne s'en tint pas là : avec une témérité aussi héroïque qu'audacieuse qui fut bénie de Dieu, parce qu'elle avait pour but le salut d'une âme, il revint, le lendemain, et usant du même stratagème auprès du général, il pénétra de nouveau dans la prison, et communia le moribond qui mourut peu après, bénissant Dieu et son dévoué ministre.
Quant à M. Girard, il eut le bonheur de sortir encore cette fois de Montaigu, sain et sauf ; mais non sans avoir couru, paraît-il, un grand danger ; car, sa sœur y étant allée, peu de jours après, rencontra un de ces hommes que l'on appelait alors réfugiés, parce qu'ils quittaient les campagnes pour se retirer dans les villes, croyant y trouver plus de sécurité. Il lui dit : "Citoyenne Girard, dis à ton frère d'être plus prudent une autre fois ; il est venu deux jours de suite à Montaigu : je l'engage à n'y plus reparaître…"
M. Girard y reparut néanmoins, et voici à quelle occasion : Un officier de la garde nationale de la ville se mourait. Comme il paraissait fort triste, ses compagnons lui demandèrent quelle était la cause de son chagrin. Après avoir longtemps refusé de répondre, le moribond céda enfin à leurs importunités et dit : "Je vous avouerais bien le sujet de ma tristesse ; mais à quoi bon, vous ne voudrez rien faire pour la soulager ?" Comme ceux-ci protestaient, et avec serment : "Eh ! bien, leur dit-il, je voudrais avoir un prêtre, pour me confesser avant de mourir." - Tu seras satisfait, dit l'un d'eux aussitôt, je connais quelqu'un de Saint-Hilaire qui nous indiquera sûrement l'endroit où l'on pourra trouver un prêtre caché." On va trouver l'individu en toute hâte, et on lui inspire assez de confiance pour l'engager à aller faire à M. Girard la proposition de les suivre, Celui-ci n'hésite pas un instant, et vient se confier aux envoyés. Ils s'étaient munis d'un costume de garde national ; on l'en revêt, et vite à cheval. Le voilà à 1'entrée de la ville. "Qui vive ?" crie la sentinelle. - "Garde national". - "Passez". Le prêtre arrive ainsi sans obstacle jusqu'auprès du malade, le confesse et lui confère le sacrement d'Extrême-Onction. Quelques instants plus tard, M. Girard sortait de la ville, comme il y était entré, sans la moindre difficulté, grâce à son déguisement, tout heureux d'avoir rempli son ministère sacerdotal, et ouvert les portes du ciel à un pauvre pécheur en le réconciliant avec Dieu.
Il ne devait pas être toujours aussi heureux, ou plutôt, il devait l'être bien davantage, puisqu'il fut jugé digne de souffrir pour la cause de Dieu des tourments tels, qu'ils lui auront valu, j'en suis convaincu, la palme des martyrs.
M. Girard fut donc arrêté, un jour, et renfermé dans les prisons de Montaigu. Le commandant, pour s'en débarrasser, le fit jeter dans une basse cave du château, toute remplie d'eau. Le pauvre prêtre devait indubitablement s'y noyer et y périr misérablement. Cependant, son heure n'était pas encore venue. En se débattant contre la mort, il rencontra dans un mur une pierre faisant saillie, de celles que les maçons appellent pierres passantes.
Soulevé par l'eau et se cramponnant le long de la muraille, il parvint à s'élever à la hauteur de cette pierre et à s'en faire un point d'appui, de manière qu'en se tenant droit, il avait la tête entièrement hors de l'eau. Qu'allait-il advenir ?.. Plus de vingt-quatre heures se passèrent, et le pauvre prêtre demeurait toujours dans cette position critique, se reposant tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre, pour essayer de tromper la fatigue, priant sans doute de toute son âme et faisant à Dieu le sacrifice de sa vie pour le salut de ses bourreaux... Le froid et la faiblesse s'emparant de tout son corps, le faisaient trembler convulsivement et ne lui permettaient plus de demeurer encore bien longtemps debout. Il allait donc retomber dans l'eau, quand il entendit du bruit au-dessus de sa tête. C'était un soldat qui venait de la part du commandant pour retirer de l'eau le corps de la pauvre victime, que l'on croyait bien noyée depuis longtemps.
Quelle ne fut pas sa stupéfaction, en voyant le cadavre qu'il venait chercher se dresser vivant le long du mur, dans la position effroyable que nous venons de décrire ! En entendant sa faible voix monter vers lui, suppliante comme une prière d'outre-tombe, pour implorer sa pitié, le soldat fut pris de peur et courut au plus vite rendre compte de ce qu'il venait de voir au commandant. "Reste tranquille, lui dit celui-ci visiblement ému, je me charge de l'affaire." Et, quelques instants après, le commandant allait lui-même retirer de l'eau le pauvre martyr et le faisait évader secrètement.
Tout porte à croire que cette terrible scène se passa en hiver. Toujours est-il que notre confesseur de la foi y souffrit horriblement, et qu'il lui fallut toute la force de son tempérament pour sortir vivant de ce puits. Tous ses cheveux tombèrent, et il en perdit presque entièrement la voix, à tel point, du moins, qu'il lui était impossible de chanter.
Quand, dans la suite, on lui parlait des souffrances qu'il avait endurées pendant les tristes jours de la Révolution, et notamment de ce que nous venons de raconter, le saint prêtre se contentait de dire avec une héroïque simplicité : "Il est bien vrai qu'il ne faisait pas beau dans cette cave…"
Enfin, on touchait au moment où Dieu avait résolu de mettre un terme à cette affreuse persécution du clergé fidèle et de la sainte religion. Les persécuteurs eux-mêmes avaient compris qu'ils ne pourraient jamais dompter par la force l'héroïque Vendée, ni même la pacifier sans faire des concessions à ses idées religieuses. Déjà, ils laissaient les prêtres circuler librement, et M. Girard ne se cachait plus. Un jour, néanmoins, qu'il partait pour aller visiter un malade dans la paroisse de Vieillevigne, cinq vigoureux campagnards de Saint-Hilaire-de-Loulay voulurent l'accompagner, pour le défendre, disaient-ils, en cas d'attaque. M. Girard se serait bien passé de cette escorte ; mais elle s'imposait en quelque sorte. Il s'en débarrassa le plus tôt qu'il put. Ceux-ci l'avaient à peine quitté, qu'il est arrêté par quatre soldats qui débouchent d'un fourré et le conduisent à leur capitaine. Le capitaine l'accueille avec politesse. "Vous allez voir un malade, monsieur le curé ? lui dit-il ; je vais vous donner quelques-uns de mes soldats pour vous accompagner. Ah ! Monsieur le curé, continua-t-il, c'est vous seuls, prêtres, qui avez une véritable influence sur ces populations ; c'est vous seuls qui pouvez les pacifier et mettre fin à des maux que nous déplorons. Je vous en prie, Monsieur le curé, travaillez à établir la paix. Aujourd'hui, nous la désirons autant que vous." Pendant un bon quart d'heure, M. Girard entendit le capitaine lui faire un sermon sur ce ton. Puis, en manière de péroraison, celui-ci ajouta en terminant : "Allez voir votre malade, et, à votre retour, vous nous direz la messe." Le prêtre s'excusa en disant qu'il n'avait pas ce qui lui était nécessaire pour cela ; que ses ornements lui avaient été enlevés par les soldats de la République. "Si vous pouviez me faire connaître les voleurs ! Je vous les ferais bien rendre, moi," répliqua l'officier. Le prêtre ne pouvait répondre à cette question. Il eut également mille peines à se débarrasser des soldats qu'on voulait lui donner pour escorte, et dont la présence aurait été pour lui tout à fait importune et sujette à de graves inconvénients.
Cependant, M. Girard continuait d'habiter la paroisse de Saint-Hilaire, et il est probable que, sans le retour de M. Thouzé, ancien prêtre de cette paroisse, il ne l'eût jamais quittée. Le vaillant confesseur de la foi lui abandonna ce poste qu'il avait si bien gardé et où il avait tant travaillé ; il se retira à la Boissière-de-Montaigu.
La mémoire de Jean Girard transmise par un vitrail de l’église de Saint-Georges-de-Montaigu,
paroisse où il passa 35 ans de sa vie.
L'infatigable pasteur se trouvait à Saint-Georges, vers la fin de 1800, lorsque M. Fouasson, l'ancien curé, revint d'Espagne. C'était un soir ; M. Girard était au confessionnal, quand on vint lui dire que M. Fouasson était dans le bourg. Il s'empressa d'aller à sa rencontre pour le saluer et lui remettre, pour ainsi dire, sa paroisse entre mains. Pour lui, il quitta encore ce poste pour se retirer de nouveau à la Boissière, jusqu'en 1803, époque à laquelle mourut M. Fouasson qu'il remplaça définitivement, cette fois, comme curé de Saint-Georges.
Ce ne fut pas sans difficulté que le nouveau curé réussit à s'implanter dans la paroisse. C'est qu'en effet, M. Girard n'était pas seulement strict et sévère pour lui-même, mais, suivant une expression que j'ai souvent entendu répéter, il ne passait jamais sur rien, ce qui veut dire que jamais il n'eut connaissance d'un désordre sans l'attaquer et le combattre. Son intolérance sous ce rapport le rendit odieux à certains bourgeois. Une protestation contre son retour fut dressée, signée et envoyée à l'autorité ecclésiastique. On y disait, en propres termes, que l'on ne pouvait voir dans l'église un homme qui chantait comme un c...on. C'était une allusion (indignement formulée) à l'extinction de voix que le saint prêtre avait gagnée dans les caves du château de Montaigu.
M. Girard n'eut pas de peine à triompher de cette opposition. Il en avait connu d'autres ! Toutefois, 1es quelques habitants qui s'étaient déclarés contre lui ne se tinrent pas pour battus. Un infernal complot fut de nouveau tramé contre sa réputation et sa vertu. Une femme du village de la Chapelière, étant venue au bourg pour ses relevailles, reçut une somme d'argent pour le calomnier publiquement d'une manière infâme.
Cette monstrueuse accusation fit sur l'esprit du R.P. Baudouin, de Chavagnes, une si fâcheuse impression, qu'il conçut vis-à-vis de M. Girard, une défiance dont il ne put jamais se débarrasser entièrement, au dire de M. Testaud, ancien curé de la Boissière. Telle ne fut pas l'appréciation de Mgr Paillou, évêque de la Rochelle, quand il entendit parler de cette affaire. Usant alors d'une locution qui lui était familière dans la conversation : "Bah ! Bah ! s'écria-t-il, je connais l'abbé Girard,. ce sont des calomnies !"
Le mari de cette femme qui avait probablement aussi reçu de l'argent, pour payer sa complicité, fit beaucoup de bruit et de scandale à ce sujet. Il en vint jusqu'à menacer, dans l'église, le respectable prêtre de son bâton, et celui-ci se vit un jour obligé, pour le faire sortir, de faire appel aux assistants. On prit l'individu par les pieds et par la tête, m'a raconté un témoin oculaire, et on le jeta dehors ; car personne, à Saint-Georges, ne croyait à la culpabilité du vénéré pasteur.
Mais si Satan a son heure, Dieu a toujours aussi la sienne qui est celle de la justice rendue, de la vérité et de la vertu reconnues et glorifiées. Donc un jour vint où la femme coupable tomba malade et fit parvenir à M. Girard sa prière de venir la confesser. Comme l'état de la malade pouvait permettre quelque délai, M. Girard exprima le désir qu'on allât chercher un autre prêtre. M. Bomard, curé de Chavagnes, fut mandé. Celui-ci, en traversant le village, s'adjoignit six hommes et entra avec eux dans la maison de la malade. Puis, lui adressant la parole en présence de tous ces témoins, il dit : "Vous êtes sûr le point de paraître devant Dieu ; rendez hommage à la vérité et avouez que vous avez calomnié votre pasteur." - Oh ! oui, s'écria-t-elle aussitôt, je l'ai calomnié, et je ne voulais point mourir sans l'avoir fait connaître. C'est Monsieur *** (elle désignait ici nommément un bourgeois du bourg) qui m'a donné 12 francs pour m'engager à parler comme je l'ai fait."
De cette famille il ne reste plus aujourd'hui (1865), à Saint-Georges, qu'une vieille femme réduite à mendier son pain après avoir dépensé, avec son défunt mari, une petite fortune qui lui procurait une honnête aisance.
Tels sont les faits les plus remarquables de la vie de M. Jean Girard.
En 1825, il eut pour premier vicaire son neveu, M. Gabriel Girard. Le saint prêtre supporta les fatigues du saint ministère jusqu'à la plus extrême vieillesse. Dans ses derniers jours, il se faisait soutenir sous les bras pour aller à l'église, et aussi pour offrir le saint sacrifice de la messe.
Il mourut le 15 mars 1836, à l'âge de 77 ans.
Le 31 octobre 1867, pendant qu'on enlevait les terres de l'ancien cimetière de Saint-Georges, les restes mortels de M. Girard, parfaitement reconnus aux marques extérieures qui les accompagnaient, furent recueillis religieusement, en présence de M. le curé de la paroisse, de M. le maire et d'un grand nombre de paroissiens. Plusieurs d'entre eux voulurent s'approprier et conservent encore avec vénération des parcelles et fragments de son chapelet, de son bréviaire, et des ornements sacerdotaux qui le couvraient, quoiqu'ils fussent en partie consumés.
Le 2 novembre. jour de la Commémoraison des fidèles trépassés, les ossements de M. Girard et de M. Fouasson, renfermés dans un même cercueil, avec ceux de deux autres anciens curés du lieu, furent déposés dans l'église sur un catafalque et, après la cérémonie, transportés avec pompe dans le nouveau cimetière. La paroisse tout entière leur faisait cortège. On déposa les restes de M. Jean Girard dans un caveau qui avait déjà reçu ceux de feu M. Gabriel Girard, son neveu et successeur, décédé le 26 décembre 1858.
(Manuscrit de M. Remaud, ancien curé de Saint-Georges, portant la date de 1865)
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1 Les Cordeliers. (V. dans la Monographie de N.-D. de Garreau, par l'abbé Pontdevie, le ch. Ve).
2 S'il s'agit vraiment ici du supérieur, ou gardien, ce dernier point ne doit pas être exact. Le P. Jean-Baptiste Triquerie, qui eut ce titre jusque vers l'époque révolutionnaire, refusa le serment et fit une mort de martyr de la foi, le 21 janvier 1794. - Le dernier gardien d'Olonne, le P. Mathurin-Etienne Mauclerc, s'embarquait aux Sables pour l'Espagne dès le 24 juin 1792. - Abbé Pontdevie. (Loc. cit. p. 52-53).
3 Il s'agit ici de l'ancien presbytère. Cela va de soi.
4 Nous rappellerons au lecteur qui s'étonnerait de voir parler ici de grand'route, que la grand'route des Sables à Nantes et celle de Montaigu à Nantes dont il est question dans ce récit, étaient construites dès 1787, (V. Thibaudeau. Histoire du Poitou ; préface du tome 1er).
5 C'est ainsi qu'en patois vendéen on désigne souvent les petits merciers ou colporteurs qui vendent des lacets, des aiguilles, etc. et parcourent les campagnes, ce qu'ils appellent chiner.
6 Le bon gendarme dont il est ici question vint, quelques années plus tard, faire visite à M. Girard, en son presbytère de Saint-Georges. On devine avec quelle affectueuse et chaleureuse reconnaissance, le curé lui serra la main.
7 Le dernier des Horaces, vainqueur des trois Curiaces.
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