les 4 cahiers de doléances de Rocheservière
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Tout le monde a entendu parler des Cahiers de doléances de 1789. Le 8 août 1788 une convocation des Etats généraux ayant été décidée pour le 1er mai 1789, chaque ville et chaque paroisse rurale rédigea suivant la tradition un "cahier de paroisse" et élit des délégués. Ceux-ci se retrouvèrent dans chaque chef-lieu de baillage (ici, Nantes) pour rédiger un "cahier de baillage" à partir de ces "cahiers de paroisse", et pour élire leurs députés à la future assemblée des Etats généraux.
Les "cahiers de paroisse" constituent une sorte de "sondage" sur l'état de l'opinion publique en France à la veille de la Révolution, bien que beaucoup d'entre eux aient été rédigés d'après des modèles diffusés par des officines de propagande. Cependant, les "cahiers de baillages", qui devaient théoriquement présenter une synthèses des revendications des paroisses, négligeaient souvent les humbles griefs populaires qui n'intéressaient pas les bourgeois.
D'après le résumé fait devant l'Assemblée constituante le 27 juillet 1789, tous les cahiers étaient d'accord sur les principes suivants...
- le gouvernement français est un gouvernement monarchique,
- la personne du roi est inviolable et sacrée,
- le roi est dépositaire du pouvoir exécutif,
- les agents de l'autorité sont responsables,
- la sanction royale est nécessaire pour la promulgation des lois,
- la nation fait la loi avec la sanction royale,
- le consentement national est nécessaire à l'emprunt et à l('impôt,
- l'impôt ne peut être accordé que d'une tenue d'états généraux à l'autre,
- la propriété sera sacrée,
- la liberté individuelle sera sacrée.
Bref, les "cahiers de doléances" manifestent un loyalisme monarchique et le désir d'une réforme limitant l'arbitraire gouvernemental. le principal désaccord portant sur l'égalité de tous les Français devant la loi et devant l'impôt. Rien ne pouvait annoncer le déroulement futur de la Révolution ni l'œuvre législative de l'Assemblée constituante, qui dépassa de beaucoup le mandat que lui avaient confié les électeurs.
Les cahiers de doléances étant rédigés par paroisse, la commune actuelle de Rocheservière dispose de quatre cahiers de doléances correspondant à chacune des paroisses de Notre-Dame, de Saint-Sauveur, de la Grolle, de Saint-Christophe-la-Chartreuse. Les deux premières ayant été fusionnées en 1790, les deux autres leur ayant été réunies en 1827. Contrairement la plupart de ceux des autres communes du département, ils ont la particularité (avec celui de Saint-Philbert-de-Bouaine) d'avoir été conservés1.
On remarquera dans ces quatre cahiers, l'omniprésence du sénéchal seigneurial (juge) de Rocheservière, Philippe-Charles-Aimé Goupilleau de Villeneuve (1749-1823), sur lequel les habitants s'étaient peut-être défaussés de la charge de leur rédaction, et qui semble y avoir fait prévaloir les idées et les revendications correspondant à ses intérêts propres. Par la suite, alors qu'il s'était fait élire député à la Convention par les quelques notables de l'assemblée départementale, il fut l'un des principaux partisans d'une répression violente en Vendée, tout en demandant qu'elle "épargne les biens des patriotes"2. Enrichi par la Révolution et venant de passer la cinquantaine, il se retira à Montaigu dans l'ancienne demeure des Chabot des Coulandres qui avaient été tués en 1793-1794.
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1 Les cahiers de doléances des communes voisines de Rocheservière et faisant alors partie de la Bretagne ont cependant été conservés, y compris celui de Saint-André-Treize-Voies. On peut les consulter aux Archives départementales de la Loire Atlantique. A ceux-ci s'ajoute le cahier commun pour les trois ordres et pour l'ensemble des paroisses proches des Marches communes de Bretagne et du Poitou, dont il est question dans la page sur l'Assemblée des Marches communes du Poitou et de Bretagne en mars/avril 1789.
2 Sur Philippe-Charles-Aimé Goupilleau de Villeneuve, on pourra lire, de Philippe Bossis, Goupilleau de Montaigu : les apprentissages d'un révolutionnaire vendéen : 1763-1781, Paris, 2006, 768 p.
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CAHIERS DE DOLÉANCES
de Notre-Dame et Saint-Sauveur de Rocheservière
Procès-verbal des habitants composant le Tiers Etat des paroisses et communautés
de Notre-Dame et Saint-Sauveur de Rocheservière en Bas-Poitou.
Aujourd'hui, 1er mars 1789, en l'assemblée convoquée au son de la cloche, en la manière accoutumée, sont comparus en l'auditoire et parquet de la juridiction de ce lieu, par devant nous, Étienne Mitteau1, sieur de Bel-Air, doyen des notaires et procureur de cette dite juridiction, ayant pour nous Me René Nœau2, notre greffier ordinaire et faisant les fonctions de président de l'assemblée, M. le sénéchal, noble maître Philippe-Charles-Aimé Goupilleau3 de Villeneuve, avocat au parlement, s'étant récusé, attendu qu'il a été assigné pour cette assemblée en qualité de syndic de la municipalité de ce lieu :
Noble maître Marie-François Cormier de la Martinerie4, avocat en parlement ; noble maître René Mourain de Beauregard, avocat en parlement ; noble maître Nicolas Dorion, sieur de la Tesserie5 et autres lieux, licencié ès lois ; maître Nicolas Nœau6, notaire et procureur ; Jean-François Suë7, maître en chirurgie ; Jean-Baptiste Fayau8, maître en chirurgie ; maître Joseph Clériceau9, procureur ; Jacques-Étienne Arnaud10, huissier royal ; René-Germain Brisson, bourgeois ; maître Jean Mathurin Bouffard11, notaire de cette cour ; Jacques Poyron, huissier royal ; les sieurs Jean Potier, Charles Duroussy12, Pierre Chauvin, Pierre Hervé, François Boyer, Jean Gratton, Pierre Gaboriau, Jean Gard, Jean Barteau et autres habitants en grand nombre, tous nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, compris dans les rôles des impositions, habitants de ce lieu de Rocheservière, composé de cent quarante-sept feux ; lesquels, pour obéir aux ordres de Sa Majesté, portés par ses Lettres données à Versailles, le 24 janvier 1789, pour la convocation et tenue des États généraux de ce royaume et satisfaire aux dispositions du règlement y annexé ainsi qu'à l'ordonnance de M. le lieutenant-général de la sénéchaussée de Poitiers, dont ils nous ont déclaré avoir une parfaite connaissance, tant par la lecture qui vient de leur en être faite que par la lecture et publication ci-devant faites au prône de la messe de paroisse par M. le curé, le premier jour du présent mois et par la lecture et publication et affiches pareillement faites le même jour, à l'issue de ladite messe de paroisse, au-devant de la porte principale de l'église, nous ont déclaré qu'ils allaient d'abord s'occuper de la rédaction de leur cahier de doléances, plaintes et remontrances ; en effet, et y ayant vaqué, ils nous ont représenté ledit cahier qui a été signé par ceux des dits habitants qui savent signer et par nous, après l'avoir coté par première et dernière page, et paraphé ne varietur au bas d'icelles.
Et de suite lesdits habitants, après avoir mûrement délibéré sur le choix des députés qu'ils sont tenus de nommer en conformité desdites Lettres du roi et règlement y annexé, et les voix ayant été par nous recueillies en la manière accoutumée, la pluralité des suffrages s'est réunie en faveur des sieurs Goupilleau de Villeneuve et Suë, ci-dessus établis, qui ont accepté ladite commission et promis de s'en acquitter fidèlement.
Ladite nomination des députés ainsi faite, lesdits habitants ont, en notre présence, remis auxdits sieurs Goupilleau de Villeneuve et Suë, leurs députés, le cahier, afin de le porter à l'assemblée qui se tiendra les 9 et 16 du courant devant M... et leur ont donné tous pouvoirs requis et nécessaires à l'effet de les représenter en ladite assemblée pour toutes les opérations prescrites par l'ordonnance susdite de M. le sénéchal de Poitou, comme aussi de donner pouvoirs généraux et suffisants de proposer, remontrer, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l'État, la réforme des abus, l'établissement d'un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l'administration, la prospérité générale du royaume et le bien de tous et de chacun des sujets de Sa Majesté.
Et, de leur part, lesdits députés se sont présentement chargés du cahier des doléances desdits habitants de Rocheservière, et ont promis de le porter à ladite assemblée et de se conformer à tout ce qui est prescrit et ordonné par lesdites Lettres du roi, règlement y annexé et ordonnances sus datées. Desquelles nomination de député, remise de cahier, pouvoirs et déclarations, nous avons à tous les susdits comparants donné acte et avons signé avec ceux des habitants qui savent signer et avec lesdits députés notre présent procès verbal, ainsi que le duplicata que nous avons présentement remis aux dits députés pour constater leurs pouvoirs ; et le présent sera déposé aux archives ou secrétariat de ce lieu, les dits jour et an que devant.
signé : Goupilleau de Villeneuve ; Suë ; M.-F. Cormier de la Martinerie ; R. Mourain ; Nœau, procureur ;
Jangrat; J. A. Penaud ; Bouffard ; Brisson ; Potier ; Dorion de la Tesserie ; Poyron ; Clériceau ;
Duroussy ; P. Hervé ; P. Chauvin ; J. Gard ; Lejeune ; Gaboriau ; Bayé ; J. Barteau ; P. Loizillon ;
E. Mitteau ; R. Nœau, greffier.
Cahier des plaintes, doléances et remontrances des habitants des mêmes paroisses
Le présent cahier, contenant six feuillets destinés à inscrire les plaintes, doléances et remontrances des habitants composant le tiers état des paroisses Notre-Dame et Saint-Sauveur de Rocheservière, pour leurs députés aux assemblées des trois états qui se tiendront les 9 et 16 de ce mois à Poitiers, a été coté et paraphé par première et dernière page ne varietur, par nous, doyen des notaires et procureurs de la juridiction de Rocheservière, faisant en cette partie, M. le sénéchal d'icelle s'étant récusé attendu qu'il a été assigné dans sa qualité de syndic municipal.
À Rocheservière, le 1er mars 1789
signé : E. Mitteau.
Nous, soussignés, habitants des paroisses de Notre-Dame et de Saint-Sauveur, domiciliés, âgés de vingt-cinq ans, compris au rôle des impositions et composant le tiers état de la ville de Rocheservière, en Bas-Poitou, assemblés ce jour en conformité des ordres du roi, qui nous ont été assignés hier par exploit de Maury, huissier royal, dans la personne de M. Philippe-Charles-Aimé Goupilleau de Villeneuve, notre syndic municipal, donnons procuration spéciale à ceux d'entre nous qui, ci-après, dans la présente assemblée, seront nommés députés aux assemblées qui seront fixées et se tiendront à Poitiers, les 9 et 16 de ce mois, aux fins d'y élire des députés aux États généraux ordonnés par le roi et qui se tiendront à Versailles, le... du mois d'avril prochain, soit qu'ils soient élus auxdits États, soit qu'ils ne soient qu'électeurs, de, pour nous et en notre nom, soutenir nos droits, proposer nos plaintes, doléances et remontrances dans tous les chefs qui suivent et autres que leur suggéreront leur conscience, leur honneur, le respect qu'ils portent à la personne sacrée du roi, à son auguste famille et leur dévouement au bien général de la patrie.
Ils commenceront d'abord par proposer d'assurer aux députés de la province aux États généraux un traitement honnête, soit pour leur voyage et retour, soit pour chaque journée de leur séjour à Versailles. Nous pensons à cet égard que la décision prise par les États du Dauphiné est très juste et qu'il serait à propos de la suivre.
Ils représenteront, aux tenues des assemblées de Poitiers, que nous sommes bien éloignés et que nous regarderions comme une ingratitude de notre part de révoquer en doute les vues bienfaisantes du roi ; que nous avons la confiance la plus juste et la plus entière dans sa bonté paternelle et dans le génie tutélaire que la France, dans ces temps orageux, a le bonheur d'avoir dans son sein13 ; mais que ce serait rendre illusoires les projets de bienfaisance de Sa Majesté si, aux États généraux, on comptait les suffrages par ordre et non par tête : les intentions du roi étant que les députés du tiers état y soient en nombre égal à ceux des autres ordres réunis, la balance des suffrages ne serait plus gardée si l'on cessait de voter par tête ;
Que dans le nombre de députés qui seront élus, les uns pouvant s'absenter, les autres décéder, il est à propos de suivre encore à cet égard la résolution prise par le Dauphiné de députer à leur suite un certain nombre de députés qui seront toujours prêts à succéder à ceux dont la place, par quelque événement que ce soit, pourra vaquer ; et que cette précaution est d'autant plus indispensable qu'il sera sans doute représenté à Sa Majesté que ses vues pour l'égalité des suffrages seront trompées et la majorité toujours prépondérante au préjudice du tiers état, s'il est vrai, comme on l'assure, que les princes du sang, les ministres et les grands officiers de la Couronne soient membres nés des États généraux ; qu'il serait, à la vérité, injuste de suspecter la droiture de ces grands et respectables personnages, mais que dans une assemblée aussi auguste, où nous serons responsables à la postérité la plus reculée de tout ce que nous ferons pour le maintien de ses droits comme des nôtres, il nous est indispensable de ne laisser aucun doute même dans l'opinion publique qu'il est donc de la justice du roi, dans cette occasion, d'ordonner en faveur de ses fidèles sujets du tiers état une augmentation de ses députés, proportionnellement au nombre de ceux qui excéderont celui prescrit pour les deux autres ordres.
Nous donnons pouvoir à ceux d'entre nous que nous députerons ci-après de demander que l'assemblée provinciale soit convertie en États pour cette province14, lesquels seront composés de même manière et sur les mêmes principes qui viennent d'être prescrits pour les États généraux et dont les membres des trois ordres seront toujours librement élus et jamais nommés par autorité; et comme par ce moyen, les intendants deviendront inutiles, demander qu'ils soient supprimés, parce que leur entretien et leurs appointements, onéreux à l'État, tourneront alors à leur avantage;
De demander encore qu'aucune loi ne puisse à l'avenir être établie, aucun subside imposé, que du consentement des États généraux, dont les tenues seront déterminées à époques fixes, ainsi qu'une commission intermédiaire d'iceux, composée de même des membres des trois ordres librement élus ;
Nous leur recommandons de prendre connaissance de la dette de l'État et de s'occuper des moyens de l'acquitter les plus simples, les plus faciles et les moins onéreux ;
De consentir à l'aliénation des domaines de la Couronne comme de ceux du clergé qui en sont susceptibles ; de demander la réforme et la suppression de plusieurs maisons et ordres religieux, réduction de plusieurs autres, parce que nous pensons que si les domaines qui en dépendent étaient en partie aliénés, le prix qui en proviendrait, employé à payer les dettes et plusieurs de ces vastes maisons qui servent seulement au logement de deux ou trois religieux, destinées de distance en distance au casernement des troupes, il en résulterait un double et inappréciable avantage pour l'État.
De demander qu'il soit accordé à tous les curés indistinctement un revenu fixe et honnête, proportionné à leurs travaux et au nombre de leurs paroissiens ; de solliciter une loi qui interdise la pluralité des bénéfices sur la tête d'un même ecclésiastique, lorsque son revenu excédera dix mille livres de rente ; que les abbayes, prieurés et bénéfices, distribués justement et accordés au mérite, non à la faveur, par une commission sage qui sera établie à cet effet, soient pour ceux qui les posséderont un moyen de remplir avec honneur les devoirs de leur état, de secourir les indigents et les familles qui en auront besoin ;
Que tous les prélats, abbés et bénéficiers, soient tenus de résider, hors les cas d'une nécessité absolue et reconnue telle, sinon leurs revenus, à proportion de leur absence, seront dévolus au roi.
Plusieurs évêques de France ayant le droit de donner des dispenses de parenté au deuxième degré pour les mariages, demander que cette faculté devienne générale et qu'on ne soit plus forcé de se pourvoir à grands frais, à cet effet, à la cour de Rome. Remontrer que, pour ces dispenses, les bulles, les annates15 et autres droits qu'on paie à la cour de Rome, il est à propos et même indispensable pour le bien de l'État de suivre l'exemple de plusieurs souverains de l'Europe; demander, en conséquence, que notre auguste monarque en soit, comme eux, le dispensateur. Le respect infini qu'à tant de titres nous portons au Saint Père ne perdrait pour cela rien de ses droits ; ce respect, étant attaché à sa personne et à son éminente qualité, est assez garanti par nos mœurs religieuses, sans qu'il soit besoin davantage de l'être en faisant sortir annuellement du royaume des sommes immenses pour l'augmentation de ses revenus et qu'il serait infiniment plus convenable de les employer aux besoins de l'État, lorsque nous pouvons le faire sans causer aucun tort à notre religion.
Nous prescrivons à nos députés de solliciter vivement la réformation des lois civiles et criminelles. A l'égard des lois civiles, demande qu'elles soient simplifiées, la multiplicité des tribunaux restreinte, que les juridictions subalternes étant devenues un fléau des peuples par les abus qui s'y sont introduits, il serait salutaire d'établir, de distance en distance, des sièges royaux auxquels on attribuerait la connaissance de toutes affaires possibles, portées ci-devant à tous les tribunaux connus sous le nom d'attribution16 et dont la suppression est nécessaire ;
Ne donner que deux degrés de juridiction aux affaires ; déterminer d'une manière simple et uniforme les moyens de les faire promptement décider ;
De solliciter que, dans les sièges royaux comme dans tous les autres, les citoyens de tous les ordres pourront être admis ; que toutes charges de magistrature ne soient données, à l'avenir, ni à la naissance, ni à la fortune ni au crédit, mais au seul mérite et, de préférence, à d'anciens avocats qui auront fait preuve de talent et de vertu et comme une récompense de leurs travaux ; qu'aucun sujet du roi, de quelque état et qualité qu'il soit, ne puisse impunément violer les lois.
Nous leur recommandons de ne pas oublier la révocation de l'ordonnance nouvelle de M. le lieutenant général de Poitiers, pour la raison qu'elle est contraire au texte même de la coutume concernant les mariages des mineurs ; qu'il n'est pas juste qu'il en coûte à cet égard à tous les justiciables de la sénéchaussée, assez écrasés d'ailleurs, et qu'outre les frais, cette formalité entraîne des longueurs et des retardements qui font souvent manquer des mariages prêts à s'effectuer, ce qui nuit infiniment à la population ;
A l'égard des lois criminelles, nous leur donnons plein et entier pouvoir d'en demander la réformation, attendu que nos mœurs ayant changé avec le temps, l'ordonnance de 1670 doit nous paraître aussi extraordinaire aujourd'hui qu'à son époque le devaient être, aux yeux de ses rédacteurs, les épreuves de l'eau et du feu et les combats judiciaires17 ;
De demander que les peines soient proportionnées aux délits et que la peine de mort soit seulement réservée pour les plus grands forfaits ;
De demander que la province de Bretagne cesse d'être réputée province étrangère à la nôtre18, ce qui ne doit plus être puisque nous sommes tous régis par les mêmes lois et soumis au même souverain ;
D'insister surtout sur la proscription des aides19, traites20 et gabelle21 et autres droits qui entravent le commerce, ruinent les citoyens et absorbent, par leur perception, le plus clair revenu de l'État, formant un code inconstant, journellement augmenté de commentaires privés, de lois le plus souvent ignorées du peuple, que la fiscalité invente et dans lequel tout est effrayant jusqu'à la nomenclature devenue enfin, par son ensemble révoltant, une science également malheureuse et funeste à ceux qui la professent et à ceux qui l'ignorent ;
Outre la proscription des impôts ci-dessus, demander l'abolition de la taille22, des corvées23, des décimes24, des francs-fiefs25, des vingtièmes26 ; les faire tous convertir dans un subside unique auquel contribueront tous les citoyens de tous les ordres, selon leurs facultés et sans distinction, de la manière la plus juste et la. plus facile qui sera décidée par les États généraux ; faire cependant ordonner que, sur le total du subside, il sera annuellement prélevé une certaine somme qui sera employée à l'entretien des grandes routes et des ponts de tous les endroits de la province qui en auront le besoin le plus urgent;
Ils demanderont aussi qu'on puisse se rédimer des redevances féodales27, des droits de péage28 et de minage29, de l'extinction du droit d'échange30 et de la diminution de ceux de contrôle31 ;
La réforme de toutes les ordonnances concernant les eaux et forêts; et qu'on encourage, autant qu'on pourra, l'agriculture, le commerce et les arts ;
De représenter qu'il est temps que le tiers état, si fidèle au roi, si utile à la patrie, sorte enfin de l'avilissement dans lequel il a été plongé jusqu'à ce jour et que le moment est venu de faire respecter, dans tous les cas, la dignité de l'homme et les droits du citoyen ;
Qu'il est de l'intérêt de l'État de récompenser le mérite et la vertu partout où ils se rencontrent, de faire naître l'émulation, une noble rivalité entre les citoyens de tous les ordres et de faire juger par la nation, par le vœu public, ceux qui d'entre eux méritent le mieux d'être promus aux places et aux dignités;
Nous nous en rapportons enfin à eux sur tout ce que leur honneur et leur conscience leur prescriront pour établir l'union entre tous les ordres pour assurer la prospérité du royaume, la fortune, l'honneur, la liberté et la vie de tous les citoyens.
Fait et arrêté par nous, habitants, soussignés, les autres habitants ayant déclaré ne le savoir, à notre assemblée de ce jour tenue au parquet et auditoire de ce lieu, le 1er mars 1789, en présence de M. Mitteau de Bel-Air, doyen des notaires et procureurs qui a présidé sur la récusation de M. le sénéchal, attendu qu'il a été assigné pour la convoquer dans sa qualité de syndic municipal.
signé : Goupilleau de Villeneuve ; Suë ; M.-F. Cormier de la Martinerie ; R. Mourain ; Nœau, procureur ;
Jangrat; J. A. Penaud ; Bouffard ; Brisson ; Potier ; Dorion de la Tesserie ; Poyron ; Clériceau ; Duroussy ;
P. Hervé ; P. Chauvin ; J. Gard ; Lejeune ; Gaboriau ; Bayé ; J. Barteau ; P. Loizillon ; E. Mitteau ;
R. Nœau, greffier.
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1 Mitteau (Etienne), sieur de Bel-air, notaire et arpenteur des maîtrises particulières des eaux et forêts de Poitiers et Fontenay-le-Comte, fils d'Etienne et de Laurence Huet, avait 48 ans quand il épousa, à Notre-Dame de Rocheservière, le 12 avril 1775, Louise-Esprit Huet, fille de noble homme Jean-René, sieur du Cerclais, et de Claire Thomasset.
2 Nœau (René), sieur de la Guyonnière, époux de Rose Violleau.
3 Goupilleau (Philippe-Charles-Aimé), sieur de Villeneuve, sénéchal de Rocheservière, né à Montaigu le 19 novembre 1749, fils de Philippe-Aimé-Alexis, procureur fiscal de Montaigu, et de Jeanne-Gabrielle Guitter, devint membre de l'Assemblée Législative, puis de la Convention Nationale, et mourut à Montaigu le 1er juillet 1833. La bibliothèque municipale de Nantes possède de lui une très importante correspondance.
4 Cormier (Marie-François), sieur de la Martinerie, avait épousé Céleste-Marguerite-Françoise Du Vau ; il fut maire de Rocheservière en 1790.
5 Dorion (Pierre-Nicolas), sieur de la Tesserie, époux de Marie-Magdeleine Clériceau ; il fut procureur de la commune de Rocheservière en 1790.
6 Noeau (Nicolas-François), sieur des Rivières, notaire et procureur des juridictions de Vieillevigne et de Rocheservière, fils de Pierre, chirurgien-juré, et de Françoise Bossis, était né en la paroisse de Notre-Dame de Rocheservière, le 22 août 1742, et avait épousé, à Saint-Christophe-la-Chartreuse (autrefois dénommée Saint-Christophe-de-Chartreuse ; le 16 août 1774, Marie-Catherine Esnard, veuve de Louis-Michel Violleau, chirurgien-juré.
7 Suë (Jean-François), fils d'Alexandre, aussi maître en chirurgie, et de Catherine Gautier, épousa à Notre-Dame de Rocheservière, le 21 novembre 1781, Marie-Henriette Du Vau, fille de Michel et de Marie-Madeleine Morisson, et veuve de Julien-Joseph Pavageau.
8 Fayau (Jean-Baptiste}, sieur de la Pampinière, maître-chirurgien-juré, fils de Jean-Baptiste et de Jeanne-Marguerite Clériceau, épousa à Notre-Dame de Rocheservière : 1° le 18 juin 1753, Marie-Louise-Marie Grousseau, qui décéda le 20 novembre 1761, et 2°, au même lieu, le 12 janvier 1763, Perrine-Jacquette-Aimée Mitteau.
9 Clériceau (Joseph-Marie), né en la paroisse de Saint-Sauveur de Rocheservière, le 16 janvier 1761, était fils de François-Jacques, notaire et procureur de la juridiction de Rocheservière, et de Marie-Louise Guémard.
10 Arnaud (Jacques-Etienne], sieur de Vilgais, fils de Gabriel et de Louise de Boiscourbeau, épousa à Notre-Dame de Rocheservière, le 17 février 1751, Marie Febvre, veuve d'Etienne Rocheteau.
11 Bouffard (Jean-Mathurin), notaire et huissier royal, fils de Charles-Augustin, huissier royal, et de Jeanne Gauvereau avait épousé à Rocheservière, le 28 octobre 1766, Marie-Madeleine Tulleuvre, fille d'Etienne et de Catherine Cormier.
12 Duroussy (Jean-Charles), époux de Marie-Magdeleine Bourget.
13 Necker.
14 Depuis le XIVe siècle, les états provinciaux, composés de représentants des trois ordres de la nation, lesquels étaient élus de la manière qui fut suivie pour les Etats-Généraux de 1789, se tenaient régulièrement chaque année et votaient les subsides qui, sans cette formalité, ne pouvaient être régulièrement perçus (Chéruel : Dictionnaire historique des Institutions, Mœurs et Coutumes de la France).
15 Taxe ou redevance particulière payée à l'autorité ecclésiastique supérieure, à l'occasion de leur nomination, par ceux qui étaient pourvus d'un bénéfice. Dans le principe, cette taxe équivalait au revenu d'une année du bénéfice ; plus tard, elle fut proportionnée à ce revenu.
16 Par des lettres d'attribution, le roi conférait à des commissions et à des juridictions subalternes le pouvoir de juger une affaire en dernier ressort.
17 L'ordonnance criminelle d'août 1670 réglait la compétence des diverses juridictions, prévôtale, présidiale, seigneuriale, ainsi que les formes de la procédure. L'accusé obtenait quelques garanties : il devait être interrogé vingt-quatre heures après son arrestation et toujours dans un lieu public, mais la question et la torture étaient maintenues. (Chéruel : Histoire de l'Administration Monarchique en France, depuis l’avénement de Philippe-Auguste jusqu'à la mort de Louis XIV, t. II, p. 268.)
18 La province de Bretagne était dite Pays d’État, c’est-à-dire jouissait du privilège d’avoir des assemblées provinciales. Les pays d'Etat votaient l'impôt qu'ils devaient payer et en faisaient la répartition. L'impôt voté par les Etats provinciaux portait le nom de don gratuit. La quotité de ce don était le principal sujet du débat et l'affaire la plus importante pour les agents du Gouvernement. Les États provinciaux devaient aussi pourvoir aux autres dépenses provinciales parmi lesquelles figuraient les dépenses mêmes qu'entraînaient la session des Etats et les gratifications votées aux gouverneurs, intendants et principaux fonctionnaires de la province. Le don gratuit variait de province à province et même d'année en année, selon les besoins du Gouvernement. (A. Chéruel : Dictionnaire historique des Institutions, Mœurs et Coutumes de la France, t. II, p. 960.)
19 Les aides comprenaient : les aides ordinaires, consistant dans le droit de vingtième ou d'un sou par livre sur la vente en gros des boissons ou autres denrées ; les aides extraordinaires ou subventions dues pour payer les frais d'une guerre ; les octrois, qui étaient des aides accordées aux villes, d'abord par les seigneurs et plus tard par le roi, et frappaient principalement les boissons. Les rois se réservaient une part de leur produit.
20 Les traites consistaient en droits de douane sur les importations et les exportations.
21 La gabelle était un impôt mis sur le sel. En Poitou, il était du quart du prix de la vente. Le peuple devait renouveler tous les trois mois, qu'elle fût consommée ou non, la provision qu'on lui avait imposée.
22 Impôt à la fois personnel et territorial levé sur les roturiers on -proportion de leurs biens et de leurs revenus. Elle se distinguait des aides, en ce qu'elle portait sur les terres ou maisons possédées par les roturiers, tandis que les aides frappaient les denrées diverses. — La taille serve consistait en une certaine somme de deniers prélevés sur les serfs ou hommes taillables. (v. Chêruel, loc. citat. ; — Bitton : "les Juridictions Bas-Poitevines", in-8°. An. de la Soc. d'Émul. de la Vendée, 1889, p. 131).
23 Journée de travail ou de charroi, due au seigneur par un paysan ou par ses bêtes.
24 Dit aussi généralement impôt du dixième : taxe que les rois levaient autrefois sur les revenus de leurs sujets, tant laïques qu’ecclésiastiques, afin de subvenir aux besoins extraordinaires de l'Etat. Plus tard, cette taxe fut levée ordinairement ou extraordinairement sur le clergé de France.
25 Droit payé par un roturier quand il acquérait un fief, et dû au seigneur immédiat et à tous les seigneurs médiats, en remontant jusqu'au Roi.
26 Voir ci-dessus : impôt du dixième.
27 La liste en serait trop longue ici. On consultera avec profit la liste qu'en a dressé M. Bitton, dans l'Annuaire de la Soc. d'Émul. de la Vendée, 1859, p. 130-133.
28 Droit payé pour passer un pont, suivre un chemin, traverser une seigneurie.
29 Droit sur le mesurage des blés vendus dans la seigneurie, tenant son nom du vase destiné à ce mesurage, appelé mine, et ayant une contenance de 78 litres.
30 Droit seigneurial et féodal qui faisait partie des petits domaines.
31 "Le Code du Contrôle et du l'insinuation des Actes s'est tellement accru et multiplié que les contribuables ne peuvent, le plus souvent, juger avec connaissance de ce qu'ils doivent payer, et les employés des domaines ne le savent eux-mêmes qu'après de longues études". Necker, Compte rendu, p. 37.
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CAHIER DE DOLÉANCES
de Notre-Dame de la Grolle
Nous soussignés, habitants de la paroisse de Notre-Dame-de-la-Grolle, domiciliés, âgés de vingt-cinq ans, compris au rôle des impositions et composant le Tiers-État de la paroisse de la Grolle, en Bas-Poitou, assemblés ce jour, en conformité des ordres du Roi qui nous ont été signifiés le 27 du mois dernier, par exploit de Maury, huissier royal, dans la personne de Nicolas Mandin, premier membre de la municipalité, en l'absence du syndic, donnons procuration spéciale à ceux d'entre nous1 qui ci-après et dans la présente assemblée seront nommés députés aux assemblées qui se tiendront à Poitiers les 9 et 16 de ce mois, aux fins d'y élire des députés aux États-Généraux ordonnés par le Roi et qui se tiendront à Versailles, le 27 du mois d'avril prochain, de proposer aux dites assemblées nos plaintes, doléances et remontrances ainsi et de la manière qui suit.
Ils réuniront tous leurs efforts pour parvenir à une parfaite intelligence avec les députés soit du Tiers [État]2 soit des deux autres ordres, parce que, dans une circonstance aussi intéressante [que celle] qui les rassemblera, leur intérêt étant commun avec celui de l'État, leur unanimité doit être de même ; mais ils observeront exactement de ne voter que par tête et non par ordre, autrement ce serait rendre inutile la bienveillance que le Roi manifeste à l'égard de ses fidèles sujets du Tiers-État,
Ils s'occuperont de faire décerner à chacun des députés aux États-Généraux des appointements honnêtes et satisfaisants et de la manière qui sera jugée la plus convenable par l'assemblée des Trois-Etats.
Nous les autorisons aussi à prendre de concert les moyens les plus propres à liquider les dettes de l'État d'une manière glorieuse pour les Français, et de la concilier cependant autant qu'ils le pourront avec l'intérêt général du royaume et de tous les citoyens en particulier.
Notre province, déjà trop accablée d'impôts, souffre encore du voisinage de la Bretagne, dont cependant elle devrait tirer du soulagement et des avantages. Forcés d'en tirer les denrées nécessaires à la consommation des habitants et d'y transporter les leurs, leur marche est toujours embarrassée par les persécutions d'une foule de commis qui, sur le moindre prétexte et souvent sur les raisons les plus frivoles, exercent sur eux des saisies sans fin, sont tout à la fois juges et parties, et finissent par les ruiner par des accommodements forcés ou après les avoir traduits de tribunaux en tribunaux.
Cet inconvénient ne provenant que de ce que la Bretagne est réputée étrangère au Poitou, il serait digne de la bonté du Roi de briser ces entraves, puisque, depuis plusieurs siècles, Poitevins et Bretons, nous sommes tous français et soumis au même maître.
Nous recommandons particulièrement à nos députés de s'occuper de tout ce qui peut favoriser le commerce, les arts et l'agriculture, le premier des arts. Pour enrichir notre province, et notre canton en particulier, il serait indispensable d'ouvrir des communications, creuser des canaux, raccommoder nos chemins, bientôt impraticables, et reconstruire nos ponts qui n'existent plus que par débris.
La félicité des peuples dépendant toujours de la bonté du Souverain, de sa bienfaisance et de sa vertu, il y manque cependant toujours quelque chose lorsque les lois qui les gouvernent sont imparfaites ou abusives ; et il en est ainsi de presque toutes celles qui nous régissent actuellement, soit au criminel, soit au civil. Nous recommandons donc expressément à nos députés de se plaindre expressément de ces lois et d'en demander la réformation. Depuis longtemps un cri général s'est élevé contre elles, le moment est venu de le faire taire. L'humanité se révolte lorsqu'elle voit qu'un citoyen, qui pour le plus léger intérêt a le droit de prendre un défenseur, est privé de cette ressource lorsqu'il est accusé d'un crime capital, dont souvent il est faussement accusé. L'équité se révolte également lorsqu'on, voit que, par les abus introduits dans les tribunaux, un citoyen qui réclame les droits les plus légitimes est souvent obligé de les abandonner, dégoûté par des subtilités et épuisé par les différents degrés de juridiction par lesquels on le force de passer. Il est donc de toute nécessité de réformer toutes ces lois, soit au civil soit au criminel, et de fixer d'une manière invariable, positive et sage, les intérêts et la fortune, l'honneur, la liberté et la vie des hommes.
Nous leur donnons pouvoir de demander expressément l'extinction de tous droits d'aides, traites, gabelles, décimes, tailles, corvées, francs-fiefs, vingtièmes et autres impositions qui, soit dans leur perception soit dans leur répartition, occasionnent toujours des difficultés, souvent la ruine des citoyens, et absorbent les plus clairs revenus de l'État. Il serait à propos de convertir le tout dans un seul subside. Nous sommes persuadés qu'à l'exemple d'un grand nombre de citoyens des premiers ordres, tous les autres s'empresseraient de contribuer également selon leurs facultés.
Ils demanderont aussi l'extinction des droits de péages et de minages, et qu'il soit permis de se rédimer des redevances féodales à un taux honnête et qui sera déterminé par les États-Généraux.
Nous leur déclarons enfin que, pressés par le temps et ne pouvant leur donner une plus longue liste des abus dont nous sommes les victimes depuis trop longtemps, et qu'il est indispensable de réformer, nous nous en rapportons à. leur conscience et à leur honneur pour tout ce qu'ils jugeront à propos de décider, de concert avec les députés des autres ordres, pour la prospérité de l'Etat et le bien de tous les sujets du Roi, soit en général soit en particulier.
Fait et arrêté par nous habitants soussignés, les autres habitants3 ayant déclaré ne le savoir, en notre assemblée de ce jour, 1er mars 1789, et en présence de M. le Sénéchal de cette juridiction, qui s'est avec nous soussigné.
Mathurin Brisson, Nicolas Mandin, Pierre Rambaud, Pierre Epiard, François Caillaud, Pierre Parois,
Pierre Barreau, René Buet, Jean-Charles Favron, Jacques Gaboriau, Goupilleau de Villeneuve.
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1 Mathurin Hervé, le seul député qu'élurent 19 habitants, après la rédaction de leur Cahier de doléances, etc. etc., ne savait pas écrire, ainsi que le porte le procès-verbal d'élection.
2 Les mots ajoutés entre crochets ont paru indispensables pour le sens du texte.
3 Jean et Pierre Ayriau, Jean Buet, Pierre Bulteau, Louis Douaud, Louis Graizaud, Mathurin Hervé, Louis Parois et Pierre Sorin.
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CAHIER DE DOLÉANCES
de Saint-Christophe-la-Chartreuse
Nous habitants de la paroisse de Saint-Christophe-de-la-Chartreuse, en Bas-Poitou, âgés de vingt-cinq ans, compris au rôle des impositions, assemblés ce jour en vertu de la convocation qui a été faite le 1er de ce mois par M. notre curé et publication de la lettre du règlement du Roi et de l'ordonnance y jointe, tous laboureurs, pour répondre aux vues bienfaisantes de notre bon Roi et faire parvenir jusqu'à lui, en présence de la nation qu'il rassemble autour de sa personne sacrée, nos plaintes et nos réclamations, et pour concourir avec tous nos frères au redressement des abus de toutes les parties de l'administration dont nous ressentons les effets plus que tous autres, vu notre éloignement et l'espèce d'abandon dans lequel on nous laisse, nous avons unanimement prié M. Sauvaget des Landes, notre syndic, le seul d'entre nous qui sache écrire, de rédiger le présent cahier de nos doléances pour être remis à celui de nous que nous nommerons pour notre député1 aux assemblées indiquées les 9 et 16 de ce mois, à Poitiers, dans la forme suivante,
Il se plaindra [de ce]2 qu'il semble qu'on ne songe à nous que pour nous faire payer des impôts multipliés et mal répartis, dont le poids nous est devenu [si] insupportable que nos récoltes et nos travaux ne suffisent pas pour les acquitter-et qui nous réduisent plus de la moitié de l'année à la misère la plus extrême, nous exposant nous et nos enfants à périr de faim.
[Il se plaindra] de la manière dont on en use pour les milices qui tous les ans nous enlèvent les plus forts d'entre nous et les plus propres à cultiver nos terres [et] les force presque tous de nous abandonner pour se retirer dans le pays des Marches de Poitou et de Bretagne, où ils sont à couvert de ce fléau ; ce qui fait que le pays des Marches, qui nous touche, nous est très préjudiciable en ce point comme en une infinité d'autres, et que pour notre soulagement il serait bien temps qu'il cessât de jouir de privilèges dont la cause ne subsiste plus.
Il se plaindra du mauvais état de nos chemins, que nous sommes dans la nécessité d'entretenir partout hors de notre canton. Les corvées accablantes converties en argent devraient être anéanties, et [il faudrait] qu'à leur place on nous astreignit, chacun dans nos paroisses, à entretenir nos chemins. Par ce moyen, de proche en proche, il s'établirait dans tout le royaume une communication non interrompue. Il est injuste que notre argent destiné aux corvées soit tout employé pour le Haut-Poitou.
[Il se plaindra de ce] que nous payons tout, tandis que les ecclésiastiques et les nobles ne paient presque rien et qu'ils insultent jusqu'à notre misère, [et de ce] que nous souffrons infiniment de l'administration des intendants et de leurs subdélégués qui, outre qu'ils sont mal répartis dans leurs arrondissements, sont pour la plupart des tyrans subalternes qui commettent mille injustices et sont toujours sûrs de l'impunité. Un commissaire du Roi, lors de la tenue des assemblées provinciales, serait plus utile et moins onéreux au peuple.
Il serait plus avantageux pour nous d'être, comme la Bretagne, mis en pays d'États dont les membres, dans tous les ordres, seraient élus librement et non par autorité, comme à l'assemblée provinciale de Poitiers ; et la tenue de ces États devrait être dans le centre de la province et non dans la capitale, qui en est à l'extrémité, pour éviter des frais de voyage et faciliter la communication des instructions.
Et comme nous souffrons infiniment d'une ordonnance du présidial de Poitiers, concernant les mariages des mineurs, [nous le chargeons] d'en demander la révocation.
Il se plaindra encore [de ce] que le revenu des bénéfices est perdu pour les paroisses dans lesquelles ils sont situés ; que ceux qui en sont pourvus les consomment pour la plupart dans la capitale, au lieu de remplir sur les lieux l'intention de leurs fondateurs ; qu'il serait nécessaire de les forcer à y résider, ou, dans le cas contraire, consentir à l'aliénation des domaines qui en dépendent ; qu'il est triste de voir les riches bénéficiers faire un aussi mauvais usage de leurs revenus excessifs tandis que notre bon pasteur, notre respectable curé qui nous instruit, nous soulage, qui jour et nuit nous administre les secours de la religion, qui souvent vient essuyer nos larmes, a à peine de quoi vivre.
Il se plaindra aussi [de ce] que les abus qui se sont introduits dans l'administration de la justice nous constituent en des longueurs et des frais énormes lorsque nous sommes forcés d'y avoir recours, et qu'il est devenu indispensable d'en faire ordonner la réforme. Pour l'abréviation de nos procès, le Parlement de Paris étant trop éloigné de nous, il serait à propos de faire créer dans la province de nouveaux tribunaux, dont les places seraient distribuées à ceux qui seraient jugés les plus capables de les remplir et jamais vénales.
[Il remontrera] que la taille, la gabelle, les aides, les francs-fiefs, les décimes, la capitation, les vingtièmes et tous les autres tributs devraient être convertis en un seul, auquel contribueraient également et sans distinction les trois ordres de l'État ;
Que le Tiers-État n'a pour lui que des distinctions avilissantes, que c'est cependant de lui dans tous les genres que dépendent la force, le soutien et le bonheur de l'État, que c'est de lui que se composent les armées, que c'est lui qui vivifie le commerce et les arts, qu'un de nous tient le soc de la charrue lorsque l'autre monte aux autels, que c'est de lui que reçoit tous ses secours l'humanité souffrante ; que c'est en un mot une vérité déchirante, que c'est lui le [Tiers-État] qui est le plus utile à l'État et cependant le plus méprisé des ordres, et qu'il est temps, dans ce siècle de lumières, d'en faire participer les membres à tous les honneurs, prérogatives et avantages suivant leurs mérites et leurs vertus.
Nous lui recommandons de proposer que les députés aux États-Généraux soient pris dans tous les différents cantons de la province, qu'il y en ait autant du Haut comme du Bas-Poitou ; que ce ne doit pas seulement être les habitants des villes mais encore ceux des campagnes, puisque le vœu de notre auguste souverain est d'écouter les réclamations des habitants des lieux les plus écartés et ignorés de son royaume, et que cela est d'autant plus juste qu'on nous a dit que le Bas-Poitou payait plus d'impositions que le Haut-Poitou.3
René Bernard, Jean Bouron, Michel Brochard, Louis Cavoleau, Jean Charrier, Pierre. Chauvin,
Mathurin Corneteau, Pierre Devineau, Mathurin Douillard, François Graisaud, Pierre Jaunâtre, Jean Loué,
Pierre et René Martin, Charles Mollé, Jean et Jean Rousseau et François Sorin.
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1 Le syndic Georges Sauvaget, des Landes, à l'élection duquel concoururent, le 2 mars 1789, vingt habitants, tous laboureurs, dont voici la liste :
René Bernard, Jean Bouron, Michel Brochard, Louis Cavoleau, Jean Charrier, Pierre Chauvin, Mathurin Corneteau, Pierre Devineau, Mathurin Douillard, François Graisaud, Pierre Jaunâtre, Jean Loué, Pierre et René Martin, Charles Mollé, Jean et Jean Rousseau et François Sorin.
2 Les mots ajoutés entre crochets ont paru indispensables pour le sens du texte.
3 La copie de Goupilleau ne donne pas la date indiquée par le procès-verbal d’élection.
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